Valérie Pécresse a raison : oui, la science est en crise, et cette crise ne sera surmontée que si les scientifiques s’ouvrent à la société. Mais, le constat étant posé, il est naïf d’affirmer, comme le fait la ministre de la Recherche (Le Monde, 21 septembre), que les défis sanitaires et environnementaux auxquels nous sommes confrontés « resteront insurmontables si notre société ne renoue pas avec la confiance qu’elle accorde traditionnellement à ses scientifiques (car) c’est d’eux que viendront les réponses que nous attendons aujourd’hui ».Confrontée aux effets secondaires de certaines technologies, une bonne partie de notre société estime au contraire que tout « progrès » n’est pas bon à prendre, et doute à juste titre de la capacité de la « technoscience » à contrôler les effets de ses propres innovations. Parallèlement, les capacités de recherche et d’expertise des forces associatives, syndicales et citoyennes, constituent dorénavant un véritable « tiers-secteur scientifique », tâchant de répondre aux besoins sociaux et écologiques croissants mais négligés par les orientations scientifiques dominantes, qu’elles soient le fait de l’Etat ou de l’industrie. La science est en effet à mille lieues des aspirations citoyennes. A eux seuls, la recherche militaire et les programmes technologiques nucléaire, aéronautique et spatial absorbent plus de 40 % de la dépense publique de recherche. De plus, la France accuse un déficit considérable de recherche dans la plupart des domaines liés au développement durable : santé environnementale et toxicologie, écologie, énergies renouvelables, agriculture biologique et durable, chimie et ingénierie vertes, etc.
Encourager les instituts de recherche à établir des « partenariats public-privé » qui confèrent à l’industrie le contrôle des programmes de recherche, faire rentrer les entreprises dans les universités, évaluer les chercheurs en fonction du nombre de brevets déposés et du « facteur d’impact » de leurs publications, et en général encourager plus avant la privatisation de la recherche, comme le propose le gouvernement, ne feront qu’aggraver la crise.
Car c’est bien la marchandisation de la science qui est la cause principale de la fracture entre science et société. Si la connaissance joue un rôle accru dans la production et la captation de la valeur ajoutée économique, en retour les normes marchandes se sont imposées dans la production et la validation des savoirs, au point que l’on assiste à une véritable privatisation de la connaissance et du vivant. Aux Etats-Unis, des compagnies se permettent d’acheter des départements entiers de recherche universitaire, telle la firme BP, en passe de s’offrir l’université de Berkeley contre un modeste chèque de 500 millions de dollars.
Or on ne peut pas à la fois déplorer, comme le fait Valérie Pécresse, qu’« aux yeux du public, le scientifique ne ressemble plus à ces aventuriers du savoir que je rencontre », et vouloir faire des chercheurs des businessmen. Car les principes qui régissent le monde des affaires sont différents des règles de validation des savoirs scientifiques, et ce malgré l’accumulation de codes de déontologie ou de comités d’éthique. Le premier objectif d’une entreprise est de faire du profit. On ne peut pas exiger d’un chercheur qu’il soit d’abord « compétitif » et espérer que cette injonction reste sans effet sur sa déontologie, ou sur les priorités de son institut.
La domination de la logique de profit dans le secteur scientifique a des effets graves et pernicieux : au-delà de l’hégémonie de certaines disciplines scientifiques jugées, à tort ou à raison, plus rentables à court terme, combien de chercheurs ont vu leur carrière brisée pour avoir fait état de résultats contraires aux intérêts financiers ? Crédits coupés, diffamation, entrave à la publication et « mise au placard » sont le lot de ces « lanceurs d’alerte ». C’est tout simplement la liberté de la science qui est en jeu. Dans ces conditions, et compte tenu de la pénurie des recrutements, comment s’étonner de la désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques ?
Pour faire face aux défis du XXIe siècle, il faut aller plus loin que les déclarations d’intentions et refonder notre système de recherche autour d’un nouveau contrat entre science et société, de nouvelles missions et orientations de la recherche et d’une alliance forte entre les acteurs de la recherche publique et la société civile, porteuse d’intérêts non marchands.
C’est le sens des propositions de la Fondation sciences citoyennes pour le Grenelle de l’environnement : permettre aux associations et aux citoyens de participer à l’orientation de la recherche, donner aux instituts de recherche publique la possibilité de s’engager dans des partenariats avec la société civile – sur le modèle des partenariats recherche publique/société civile (PICRI) mis en place par la Région Ile-de-France -, soumettre le crédit impôts recherche à des critères d’écoconditionnalité, élaborer une loi pour la protection des lanceurs d’alerte et pour garantir expertise indépendante, transparente et contradictoire. Pour réconcilier les scientifiques et les citoyens, il s’agit de faire réellement entrer les sciences en démocratie.
Eric Gall et Jacques Testart sont administrateur et président de la Fondation Sciences Citoyennes.
Article paru dans l’édition du 27.09.07