Une presse scientifique sous influence : l’exemple de l’étude sur le maïs OGM NK603

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jeudi 28 novembre 2013

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En septembre 2012, Gilles-Eric Séralini (GES) et son équipe publiaient dans Food and Chemical Toxicology (FCT), une grande revue scientifique internationale, la plus longue étude de toxicologie (2 années) jamais réalisée sur un maïs génétiquement modifié (NK603) ainsi que sur l’herbicide Roundup auquel ce maïs a été rendu tolérant1, deux produits de l’entreprise Monsanto. S’est alors engagée à l’encontre de Séralini une campagne de dénigrement d’une violence extrême, cherchant non seulement à discréditer le scientifique mais aussi l’homme lui même2. Le rouleau compresseur d’un puissant lobby scientifico-industriel s’est mis en marche depuis cette parution avec pour mission prioritaire d’organiser le retrait de l’article de cette revue, ce qu’il est en passe d’obtenir. Un courrier daté du 19 novembre envoyé par la revue FCT au professeur Séralini va en effet dans ce sens.

Il est crucial de revenir sur les conditions de cette rétractation tant elle montre les dérives qui guettent la presse scientifique. FCT est un journal à comité de lecture (c’est-à-dire où toute acceptation de publication est consécutive à une expertise par les pairs), un système considéré comme une garantie de qualité et d’indépendance par le monde scientifique et au-delà. L’article de GES et de son équipe est donc passé par cette étape avant sa parution.

Début 2013, un fait particulièrement troublant est intervenu à FCT avec la nomination, comme éditeur associé, M. Richard E. Goodman. Il est chargé plus spécifiquement des biotechnologies, alors même que le bureau éditorial du journal compte déjà un expert sur la sécurité des aliments OGM en la personne de José L. Domingo, professeur de toxicologie et de santé environnementale. Et les états de service de M. Goodman sont éloquents : certes professeur de l’Université du Nébraska et spécialiste des allergies alimentaires, mais également employé chez Monsanto de 1997 à 2004, ayant publié des articles scientifiques pour le compte de cette entreprise, et très impliqué dans les activités de l’ILSI (International Life Science Institute), un lobby mondial déguisé en association de promotion scientifique, financé par les industries agro-chimiques et agro-alimentaires fabricantes d’OGM3.

Il y a trois jours, l’éditeur en chef du journal FCT contactait GES pour l’informer — plus d’un an après sa publication ! — qu’il entamait une procédure de rétractation de son article. Dans son courrier, il reconnaît l’honnêteté, la sincérité et l’intégrité scientifique du Pr. Séralini mais justifie sa décision par le caractère peu concluant des résultats de l’étude, s’appuyant sur les arguments éculés relatifs à la souche de rat prétendue inadéquate (car sensible aux cancers) et au nombre insuffisant de rats testés par groupe. Ces critiques et toutes les autres attaques de l’étude ont pourtant déjà fait l’objet de réponses argumentées4 du Professeur Séralini et de ses co-auteurs — réponses que le journal FCT a d’ailleurs publiées (toujours selon le processus d’expertise par les pairs) — et suscité la réaction de plus de 300 scientifiques internationaux qui ont apporté, auprès du journal FCT5, leur soutien argumenté à cette étude.

Les raisons avancées par l’éditeur de FCT ne peuvent pas justifier le retrait d’une publication, d’autant que celui-ci maintient les précédents articles — dans le même journal — des études pourtant plus courtes (90 jours) réalisées par Monsanto et ayant conduit à l’autorisation du maïs incriminé (NK603) et d’autres plantes génétiquement modifiées, alors que ces études ont été réalisées sur la même souche de rat et avec les mêmes effectifs6

Pour rappel, toutes les attaques sur le fond dont “l’étude Séralini“ a fait l’objet émanent soit d’agences d’expertise qui sont à la fois juges et parties puisqu’elles ont contribué — directement ou indirectement — à l’autorisation des produits incriminés (maïs NK603 et/ou Roundup), soit d’experts, souvent autoproclamés, dont les liens avec les industriels des semences ou des pesticides sont apparus évidents7. En outre, les conclusions desdites agences ne découlaient pas de contre-expertises indépendantes et se sont avérées être le résultat d’une action concertée8.

Cette affaire confirme une fois de plus la force du lobbying de l’industrie des OGM qui s’inscrit dans la durée. Il  accroît son pouvoir et investit des champs de plus en plus diversifiés malgré quelques reculades stratégiques affichées. Il surfe sur le refus de nos sociétés et particulièrement des autorités politiques de traiter sérieusement les conflits d’intérêts, ce qui permet le développement d’une connivence entre scientifiques et industriels au mépris de l’intérêt général. Aussi, la Fondation Sciences Citoyennes ne peut que s’alarmer de cette infiltration rampante avérée de la presse scientifique et déplore que celle-ci puisse par faiblesse, déshérence morale ou complicité participer à son propre dévoiement.

Contacts : Jacques Testart et Christian Vélot – contact[at]sciencescitoyennes.org – 01 43 14 73 65

Communiqué de presse « Une presse scientifique sous influence : l’exemple de l’étude sur le maïs OGM NK603 »

En anglais : Press Release ‘Scientific press under corporate influence: the example of the GM maize NK603 study’

1 Séralini, G.E., Clair, E., Mesnage, R. Gress, S., Defarge, N. Malatesta, M. Hennequin, D. Spiroux de Vendômois, J. (2012) Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize. Food and Chem. Tox. 50:4221-4231
2 http://www.lefigaro.fr/sciences/2013/01/09/01008-20130109ARTFIG00671-ogm-les-liaisons-dangereuses-du-pr-seralini.php
3 http://www.independentsciencenews.org/science-media/the-goodman-affair-monsanto-targets-the-heart-of-science/
4 http://www.criigen.org/SiteFr/images/stories/traduction-r%E9ponses%20aux%20critiques_s%26ralini%26al_fct2013.pdf
5 http://www.criigen.org/SiteFr/images/liste-soutienssci-ges%20%281%29.pdf
6 Hammond, B., Dudek, R., Lemen, J., Nemeth, M., 2004. Results of a 13 week safety assurance study with rats fed grain from glyphosate tolerant corn. Food Chem Toxicol 42, 1003-1014.
Hammond, B., Lemen, J., Dudek, R., Ward, D., Jiang, C., Nemeth, M., Burns, J., 2006a. Results of a 90-day safety assurance study with rats fed grain from corn rootworm-protected corn. Food Chem Toxicol 44, 147-160.
Hammond, B.G., Dudek, R., Lemen, J.K., Nemeth, M.A., 2006b. Results of a 90-day safety assurance study with rats fed grain from corn borer-protected corn. Food Chem Toxicol 44, 1092-1099.
7 http://blogs.rue89.com/de-interet-conflit/2012/11/12/ogm-la-guerre-secrete-pour-decredibiliser-letude-seralini-228894
8 http://www.lyoncapitale.fr/Journal/Lyon/Actualite/Le-mensuel/Etude-Seralini-sur-les-OGM-la-riposte-des-agences-sanitaires-etait-concertee