Santé et environnement : il est temps de sonner l’alerte… et l’expertise

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vendredi 5 octobre 2012

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Cette tribune a été publiée dans les pages Rebonds de Libération le 5 octobre 2012.

Au-delà de l’électrochoc médiatique, politique et scientifique, l’étude du professeur Séralini et de son équipe sur la toxicité d’un maïs génétiquement modifié et d’un pesticide a le mérite de (re)mettre en débat deux notions qui nous apparaissent fondamentales, l’expertise et l’alerte. Hasard ou coïncidence du calendrier, ce début d’automne, le groupe écologiste du Sénat a fait une proposition de loi relative à la création de la Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte en matière de santé et d’environnement qui devrait passer en première lecture le 15 octobre prochain.

Nous ne pouvons que nous en réjouir puisque cela fait maintenant plusieurs années que la Fondation Sciences citoyennes (FSC) réclame une telle avancée législative, inspirant largement les travaux des sénatrices et sénateurs dépositaires du projet. Il ne faudrait pas que cette discussion soit renvoyée au second plan aux prétextes qu’il suffirait d’aménager les textes de loi existants ou qu’une structure telle que la Haute Autorité de l’expertise et de l’alerte serait trop onéreuse en période de vaches maigres. Et pour cause, ces questions sont absolument cruciales dans un contexte ou la science, devenue techno-science, est plus que jamais marchandisée, pilotée voire bradée par des lobbies en mal de profits immédiats.

Les scandales sanitaires et environnementaux apparaissent au point de se demander si le concept de génération spontanée cher à Aristote ne serait pas à remettre au goût du jour. Ce n’est pas de génération spontanée dont il est question ici mais plutôt de générations présentes et futures.

Combien de cas de cancers évités si les lanceurs d’alerte sur l’amiante avaient été écoutés ?

Combien de scientifiques placardisés pour avoir dénoncé la dangerosité de tel ou tel produit ?

Sans jouer les oiseaux de mauvais augures ou les adorateurs du complot permanent, il est urgent que celles et ceux qui font face dans leur quotidien à un produit, un procédé, une substance susceptible d’être nuisible pour la santé et/ou l’environnement puissent lancer l’alerte sans craindre la férule – le mot est faible – de leur hiérarchie, de l’opinion, de marchands et d’industriels menacés ou d’experts autoproclamés.

Cette dernière notion, celle d’expertise, est elle aussi fondamentale. Comment envisager l’analyse de la dangerosité et les précautions qu’elle impliquerait (ou non) sans qu’une expertise contradictoire en bonne et due forme ait eu lieu ? Des exemples récents, notamment à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), ont montré que les conflits d’intérêts étaient beaucoup trop nombreux pour que l’expertise ne soit laissée entre les mains de quelques-uns. Dans ces mêmes pages, Sylvestre Huet [journaliste à Libération, ndlr], stigmatisait la méthode utilisée par l’équipe de Gilles-Eric Séralini pour faire connaître son étude sur le maïs OGM («Les rats, les OGM et l’opération de communication», Libération du 25 septembre 2012). Il est regrettable que celui-ci ne l’ait pas comparée à celle permise par les dispositifs sanitaires actuels pour la mise sur le marché de produits comme les OGM qui autorisent les producteurs d’OGM, au nom du secret industriel, à conserver secrètes les données de leurs études, contrôlant ainsi toute contre-expertise. Dans cette procédure, la santé publique ne pèse pas lourd face aux intérêts commerciaux. Les critères qu’énonce Sylvestre Huet pour améliorer l’expertise publique sont tout à fait louables. Mais encore faut-il que tout le monde y soit assujetti. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et c’est cette situation qui pousse les lanceurs d’alerte comme Gilles-Eric Séralini à utiliser parfois des méthodes extrêmes.

Il est temps de trancher ce nœud gordien. Avec une loi simple et claire, s’appliquant à tous, permettant à la fois de protéger les lanceurs d’alerte et une expertise au-dessus de tout soupçon.

La balle est aujourd’hui dans le camp de la chambre haute. Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, vous savez ce qu’il vous reste à faire si vous ne voulez pas que vos enfants et petits-enfants vous reprochent dans quelques années de ne pas avoir su prendre vos responsabilités en temps et en heure.