Quelle politique scientifique pour entrer dans le 21e siècle ? Vers un nouveau contrat entre recherche et société

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jeudi 21 octobre 2004

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Résumé des analyses et propositions de la note

Les contributions au débat de ces derniers mois sur l’avenir de la recherche en France ont le plus souvent mis l’accent sur le manque de moyens et de postes de la recherche publique et sur la réforme des structures susceptibles d’améliorer la « productivité » de la science française. Mais la crise de notre système de recherche, d’expertise et d’innovation est autrement plus profonde. Nos sociétés traversent trois transformations majeures qui sont autant de défis pour nos institutions de recherche et leurs rapports avec la société :

- La marchandisation de la science : rôle accru de la connaissance dans la production et la captation de la valeur ajoutée économique, affirmation des normes marchandes dans la production et la validation des savoirs, mise en concurrence mondiale des systèmes de recherches nationaux, montée de nouvelles formes d’appropriation des savoirs et du vivant, exhortations à la « compétitivité » des chercheurs de la part des dirigeants des organismes et des politiques.

- La montée des aspirations citoyennes : élévation du niveau culturel et demande de participation plutôt que de délégation, prise de conscience que tout « progrès » n’est pas bon à prendre et doutes sur la capacité de la science à contrôler les effets de ses propres découvertes, émergence d’une « société de la connaissance disséminée » où de multiples associations et organisations non-gouvernementales contribuent à la production de savoirs et d’innovations qui font la richesse de notre démocratie, du lien social et de notre économie.

- L’entrée dans un monde fini où les effets secondaires des technologies ne peuvent plus être négligés : la science devenue technoscience, qui a voulu maîtriser la planète sur le mode de la conquête, est aujourd’hui questionnée dans ses paradigmes et amenée à jouer un rôle nouveau (principe de précaution, développement durable).

Dans ces conditions, il s’agir de refonder notre système de recherche, autour d’un nouveau contrat entre recherche et société, de nouvelles missions et orientations de la recherche et de nouveaux modes d’interaction avec les acteurs porteurs de besoins et d’intérêts non marchands de la société civile. Le scénario que prône la Fondation Sciences Citoyennes est celui d’une alliance forte entre les chercheurs et la société civile. Aller vers ce scénario a pour condition préalable l’existence d’une recherche publique forte. La Fondation Sciences Citoyennes appuie donc pleinement les demandes des chercheurs pour des moyens accrûs. Mais il s’agit aussi de transformer les orientations, les modes de décision, les pratiques d’expertise, et les rapports entre la recherche et la société.

Sur les missions et l’orientation de la recherche

À eux seuls, la recherche militaire et les programmes technologiques nucléaire, aéronautique et spatial absorbent plus de 40% de la dépense publique de recherche. De plus, comme le montrent les indicateurs présentés dans cette note, la France accuse un déficit considérable de recherche dans la plupart des domaines liés au développement durable et à la santé publique : santé environnementale et toxicologie, écologie, énergies renouvelables, agriculture biologique et durable, chimie et ingénierie vertes ne doivent pas rester orphelin de recherche en France. Nos propositions sont donc

- D’investir massivement dans ces domaines clé du développement durable et de la santé publique : développement durable et principe de précaution peuvent devenir les moteurs de l’ambition scientifique et technologique française et européenne.

- Reformuler et élargir les missions de la recherche publique. Outre la mission cognitive et la mission de formation, cette note met l’accent sur :

l’apport de connaissances plurielles en amont des choix sociétaux (expertise publique, exploration de la pluralité des mondes socio-techniques possibles) (Proposition 4.4),

l’appui à l’innovation, dans une acception élargie incluant l’innovation à but non lucratif disséminée dans la société (Proposition 4.4),

la défense de la connaissance comme bien public (annexe 2).

- Cadrer les financements publics de la R&D privée sur des orientations technologiques liées à des objectifs socio-économiques clairs (Proposition 4.5)

Sur la démocratisation des choix scientifiques et techniques

- Mise en débat (notamment autour d’une conférence de citoyens) et l’adoption tous les quatre ans (loi de programmation) d’un « programme cadre national de recherche et développement » définissant le volume et la répartition des efforts publics entre domaines de recherche et d’innovation. (Proposition 4.1)

- Renforcer et réformer l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques (OPECST) (Proposition 4.2)

- Ouvrir les structures de programmation de la recherche aux acteurs de la société civile (Proposition 4.3)

Sur le développement du tiers secteur de la recherche citoyenne, de l’expertise associative et de l’innovation coopérative et de ses partenariats avec la recherche publique

Pour faire des aspirations et des initiatives de la société civile un des moteurs de la recherche et de l’innovation, nous proposons de :

- Créer aux niveaux régional et national des fonds d’initiative (type « Chèque expertise ») accessibles à des associations qui souhaitent effectuer ou commanditer une contre-expertise sur tel ou tel problème à teneur scientifique et technique (Proposition 5.1)

- Ouvrir aux acteurs du secteur associatif non marchand le bénéfice des dispositifs d’appui aux PME en matière de recherche et à l’innovation (Proposition 5.2 )

- Favoriser la mobilité professionnelle des chercheurs entre monde associatif et recherche publique : allocations de thèse et détachements (Proposition 5.3)

- Ouvrir des crédits substantiels pour financer les projets de recherches associant laboratoires publics de recherche et associations (Proposition 5.4)

- Créer au Ministère de la recherche une Direction « Science et société » (Proposition 5.5)

- Repenser la politique de « culture scientifique et technique » comme politique de « citoyenneté scientifique et technique » (Proposition 3.1)

Sur la réforme du dispositif français de l’expertise et de son interface avec la recherche

- Généraliser et renforcer le modèle « agence d’expertise », en supprimant ou absorbant les instances d’expertise « ancienne manière » (Proposition 6.1)

- Clarifier et formaliser les rapports entre expertise, débat public et décision (Proposition 6.2)

- Formaliser et contractualiser la participation d’experts associatifs porteurs d’intérêts publics dans les comités d’expertise et de concertation (Proposition 6.3)

- Créer une Haute Autorité de la déontologie, la transparence et la qualité de l’Expertise (Proposition 6.4)

- Dans les secteurs d’amont de l’expertise publique, transformer le statut des institutions à statut équivoque du point de vue des conflits d’intérêts (Proposition 6.5)

- Renforcer le rôle incitateur des agences vis-à-vis des organismes et universités par des crédits accrus aux agences pour des appels d’offre de recherche (Proposition 6.6)

Cette note est le produit de la réflexion d’un groupe de travail de la Fondation Sciences Citoyennes coordonné par Christophe Bonneuil, Jean-Paul Gaudillière et Jacques Testart.

Composition du groupe : Taos Ait Si Slimane, Fabien Amiot, Andrée Bergeron, Luc Berlivet, Pierre Castella, André Cicolella, Olivier Clément, Laurent Dianoux, Jérôme Elissalde, Rafael Encinas de Munagorri, Jean-Paul Gaudillière, Béatrice Janiaud, Glen Millot, Claudia Neubauer, Jacques Pasquier, Sezin Topçu.

Le texte a bénéficié d’une relecture externe par des chercheurs citoyens, des acteurs de la politique scientifique, des spécialistes du champ « sciences, technologies et société », et par des responsables associatifs : Philippe Aigrain, Rémi Barré, Dominique Boullier, Matthieu Calame, Hélène Cherrucresco, Patrick Gestin, Marie-Angèle Hermitte, Pierre-Benoit Joly, Robert Joumard, Marc Lipinski, Claire Marris, Dominique Pestre, Bernard Rolland et Juan Roy de Menditte.

La note n’engage évidemment pas ces relecteurs externes et n’exprime que les positions de la Fondation Sciences Citoyennes.

Ce projet a été rendu possible grâce au soutien de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme.