Pour une science citoyenne

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mardi 14 décembre 2004

Miniature

Ce que l’on a voulu faire, c’est partir de l’exemple des OGM mais pour poser le problème, en amont de ces techniques, du système de recherches qui les a générés. Donc aujourd’hui, on va essayer de poser le problème de la globalisation de la recherche et de la domination du  » tout génétique  » en biologie ; et les OGM sont un des avatars de cela, de même que la génomique ou toute une série de technologies d’intervention sur l’humain. Donc ce que l’on va essayer de voir ce sont les transformations profondes des systèmes de recherche, notamment en sciences de la vie, dans les dernières 25 années avec la généralisation des brevets et ses conséquences pour voir à quel point la science a été touchée de plein fouet par le phénomène de la mondialisation néo-libérale et qu’il est important d’introduire cette thématique de la recherche dans le mouvement alter-mondialiste.

L’autre objectif de cette réunion c’est d’échanger entre mouvements européens sur les contre-feux, les résistances, les campagnes qui sont en cours, aussi bien venant de mouvements de chercheurs que d’ONG et de mouvements citoyens.

Et puis ce que l’on va essayer de faire aussi, parce que c’est important d’être propositionnel ici, c’est d’esquisser des alternatives pour une autre politique de recherches en sciences du vivant qui serait au service du développement durable, on va discuter du rôle du principe de précaution dans la réorientation de la recherche, discuter de priorités scientifiques alternatives au  » tout génétique « , discuter de propositions pour mettre en place une démocratie qui soit vraiment participative pour l’élaboration des choix techniques et scientifiques.

Le constat de départ de cette rencontre c’est, d’une part, la privatisation croissante des savoirs et la montée du marché comme pilote dominant de la recherche.

Alors je pense que vous êtes au courant que l’on peut dater ça autour de 1980 avec aux Etats-Unis deux évènements importants que sont la loi Bayh-Dole en 1980 qui permet de breveter des résultats de la recherche publique et l’arrêt de la Cours Suprême américaine Charkrabarty qui permet de breveter la première bactérie. Donc, cela ouvre la voie aux brevets sur le vivant, aux brevets sur les savoirs scientifiques et cela va aboutir à la mise en place d’un nouveau système de recherches aux Etats-Unis avec, au cœur de ce système, des start-up qui utilisent les compétences, les matériaux, les résultats des laboratoires publiques universitaires, qui brevètent ces résultats et ces matériaux pour se financer sur les marchés financiers puisqu’ils sont financés par des entreprises de capital-risque. Donc vous avez une sorte de court-circuit qui s’établit entre le marché financier et le monde de la recherche à partir de cette période. Le scientifique devient un entrepreneur comme un autre, les universités deviennent des entreprises comme les autres, des entreprises de formation. Et l’Europe a largement suivit ce modèle américain qui a été imposé par l’OMC à travers les accords internationaux, l’ADPIC sur les brevets, les accords TRIPS. L’Europe a suivi également parce que sa politique de recherche est entièrement guidée par la question de la compétitivité ; d’ailleurs c’est inscrit dans le traité européen. Donc il y a toute une série d’autres objectifs sociaux qui pourraient guider la recherche qui sont absents des politiques de recherches européennes.

Alors, quelles sont les conséquences de ce nouveaux système de recherches qui s’est mis en place depuis une vingtaine d’années ?

D’une part il y a une perte de compétences et de légitimité de la recherche publique et un affaiblissement de l’expertise publique. Il y a beaucoup d’analystes qui font un lien assez direct entre la crise de la  » vache folle  » et la façon dont elle a été traitée en Grande-Bretagne et le mouvement de privatisation de la recherche qu’a mené Thatcher dans les années 80. Autre exemple : il est très difficile de trouver des experts, par exemple sur les OGM, sur les risques chimiques, sur les antennes relais des téléphones portables, etc., qui soient vraiment indépendants des firmes privées puisque la plupart, la grande majorité des labos de recherche dépendent, parfois de plus de 50%, des financements privés dans leur crédits de fonctionnement. Il y a eu une grande enquête qui a était faite il y a 5 ans qui a montré que un tiers des articles qui étaient t publiés dans les grandes revues biomédicales américaines, dans 1/3 des cas, les auteurs de ces articles avaient des intérêts économiques directs par rapport aux résultats qui étaient publiés. Alors directs c’est à dire qu’ils étaient actionnaires d’une start-up qui exploitait ces résultats, détenteur d’un brevet ou qu’ils étaient dans le conseil d’administration de cette société. On ne compte même pas les contrats de recherche dans ce comptage là. Autre exemple pour montrer cette ampleur de la privatisation qui affaiblit les capacités de la recherche publique c’est le domaine des biotechnologie agricoles où 6 grandes entreprises multinationales possèdent les _ des brevets du domaine, laissant finalement une recherche publique très faible qui est à la traîne, à la remorque de choix, d’orientation scientifiques qui sont dictées par ces grandes firmes.

Alors la deuxième tendance lourde de ces 20 dernières années dans les technosciences de la vie c’est le  » tout génétique « , le réductionnisme de l’ADN. Alors on nous a dit que la connaissance des gènes, leur manipulation, allaient résoudre tous les problèmes depuis les maladies génétiques, avec les  » bébés bulles « , jusqu’aux OGM, qui étaient sensés résoudre la faim dans le monde ; on a le même type de discours du gène miracle qui attirent les investisseurs, qui attirent les crédits, qui permet de valoriser les brevets et d’alimenter une sorte de courses aux gènes et de favoriser ce mouvement de privatisation du vivant que certains appellent les nouvelles enclosures. Dans ce mouvement là on a eu donc toute une course aux gènes avec, depuis une quinzaine d’années, tout un mouvement de séquençage des génomes, le génome humain mais pas seulement le génome humain, où ce type de recherches a drainé la plus grande partie des financements publics en biologie au détriment, peut-être, d’autres disciplines plus intégratives. Ca a drainé également la plus grande partie des financement privés, voire caritatif. Pensez en France au cas de l’Association Française des Myopathes qui a totalement contribué à ce discours du  » tout génétique « . Et s’est mis en place de cette façon dans les 20 dernières années un nouveau bio-pouvoir, un nouveau projet de maîtrise complète du vivant par les forces du marché dans lequel la génomique est en train de jouer un rôle central parce que la génomique c’est ce qui met en commensurabilité l’ensemble du vivant, c’est ce qui met en commensurabilité différentes espèces. On peut prendre un gène d’une espèce pour ensuite aller chercher le gène d’une autre espèce et le faire fonctionner dans une autre espèce. Et c’est ce qui met en commensurabilité différents espaces géographiques avec, peut-être bientôt, des variétés standards de plantes, par exemple, qui vont être développées pour couvrir des millions d’hectares sur l’ensemble de la planète… donc ce genre de stratégies de standardisation industrielle de solutions miracles pour l’ensemble de la planète.
Donc, finalement, ce qu’il nous paraît intéressant de souligner c’est que le réductionnisme génétique et l’évolution des systèmes de recherches, avec la financiarisation de la recherche et la mise en place des brevets, se renforcent mutuellement. Ils convergent. Ils ne sont pas indépendants. Et on a un phénomène de mise de tout le vivant à disposition de l’intervention et de la valorisation marchande. Le gène, si vous voulez, est devenu une unité d’accumulation du capital. Alors c’est intéressant parce qu’il est en train de devenir cette unité d’accumulation au moment même où, d’un point de vu purement scientifique et cognitif, il perd de sa valeur explicative et de son intérêt scientifique. On est passé du modèle du programme génétique au contraire, la perception du monde vivant comme un ensemble de phénomènes complexes, redondants, dans lequel les phénomène stochastique joue un rôle essentiel. Et le paradigme du réductionnisme génétique, paradoxalement grâce aux programmes de séquençage, est en train de s’écrouler.
Donc le constat c’est que on a une science qui est touchée en profondeur par la mondialisation libérale d’une part, que la lutte du mouvement altermondialiste pour libérer la recherche des oligopoles et du marché n’est pas séparable d’une autre lutte qui consisterait à libérer la biologie du paradigme du tout génétique. Les deux sont liés. C’est à partir de ce constat que l’on va essayer d’organiser la discussion. Parce qu’il nous semble qu’il est temps que le mouvement altermondialiste s’intéresse non seulement aux OGM en tant que technologie ou aux brevets mais aussi, plus en amont, à la question de la gouvernance globale des systèmes de recherches pour remettre la recherche sous contrôle citoyen et au service du bien commun.

Ce que l’on va essayer de faire c’est de faire le point d’un certain nombre d’initiatives dans différents pays d’Europe dans ce sens. Alors ces initiatives peuvent aussi bien venir de chercheurs, d’organisations syndicales de chercheurs. On a eu récemment en France l’Appel  » Ouvrons la recherche ! « , on a eu le rôle de l’association ISIS qui a jouait un rôle important dans le débat OGM en Angleterre ces derniers mois. Ca peut être aussi des initiatives d’ONG, et non pas uniquement de chercheurs.

Donc on va faire le point sur ces initiatives et on va aussi essayer d’avancer un certain nombre de propositions, réfléchir à quels pourraient être les autres moteurs, les autres priorités pour la recherche en sciences du vivant en Europe ? Au delà de la compétitivité quels autres besoins sociaux pourraient guider la demande sociale pour la recherche ? Quel est le rôle du principe de précaution ? est ce que cela ne peut pas être un outil pour re-polariser la recherche vers d’autres objectifs et donc développer d’autres dynamiques pour la recherche publique ? On parlera peut-être aussi de la biologie intégrative, du type de recherches qui sera nécessaire pour la santé publique, pour l’agriculture durable, etc.

Et puis on va débattre des façons de démocratiser les choix scientifiques et techniques. Comment la société civile peut se réapproprier une capacité à orienter la recherche qui aujourd’hui est largement confisquée ? Comment articuler science et démocratie participative ? A quelles conditions ? A quels dispositifs institutionnels…