Traduite de l’anglais par Olivier Merbau (olivier.merbau (@) gmail.com). Texte original : http://independentsciencenews.org/health/seralini-and-science-nk603-rat-study-roundup/
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Un nouvel article de l’équipe de Gilles-Eric Séralini décrit les effets nocifs sur des rats nourris avec des aliments contenant du maïs génétiquement modifié (variété NK603), avec et sans l’herbicide Roundup, ainsi qu’avec du Roundup seul. Cette étude publiée dans une revue à comité de lecture (Seralini et al., 2012) a été critiquée par certains scientifiques dont les propos ont été largement rapportés dans la presse généraliste (Carmen, 2012; Mestel, 2012; Revkin, 2012; Worstall, 2012). Elle renforce les autre études démontrant la toxicité et/ou les effets sur le système endocrinien du Roundup (Gaivão et al., 2012 ; Kelly et al., 2010 ; Romno et al., 2012), comme rapporté par Antoniou et al. (2010).
La publication de Séralini, et l’attention qu’elle a reçue des médias, met en exergue les défis fondamentaux soulevés par la science dans un monde de plus en plus dominé par les influences privées. Ces problèmes sont importants toutes disciplines confondues mais sont rarement soulevés lors de rencontres scientifiques.
- Historique des attaques sur les études de risques.
Séralini et ses collègues sont seulement les derniers de la série des chercheurs dont les résultats ont fait l’objet de campagnes orchestrées de harcèlement. A titre d’exemple, simplement en considérant ces dernières années, on peut citer Ignacio Chapela, professeur-assistant non titulaire à Berkeley, dont l’article sur les contaminations par du maïs OGM au Mexique sont à l’origine d’une campagne intensive sur internet pour le discréditer (Quist and Chapela, 2001). D’après certaines sources, cette campagne fut échafaudée par le Bivings Group, une société de communication spécialisée dans le marketing d’influence, dont Monsanto est un des clients fréquents (Delbome, 2008).
La carrière éminente du biochimiste Arpad Pusztai arriva à son terme effectif quand il tenta de publier ses découvertes contradictoires sur les pommes de terre génétiquement modifiées (Ewen and Pusztai, 1999a). Tous les moyens furent utilisés, une ordonnance de non-publication le contraignit à retirer ses conclusions, saisit ses données, et la British Royal Society le dénigra pour déjouer ses recherches continues (Ewen and Pusztai , 1999b ; Laidlaw, 2003). On utilise même des menaces de violence physique, récemment contre Andrès Carrasco, Professeur d’embryologie moléculaire à l’université de Buenos Aires, dont les recherches (Paganelli et al. 2010) ont permis d’identifier les risques pour la santé du glyphosate, l’ingrédient actif du Roundup (Amnesty International, 2010).
Ce fut donc sans surprise qu’en 2009, 26 spécialistes du maïs franchirent le pas sans précédent d’écrire directement à l’Agence américaine de Protection de l’Environnement (US E.P.A.) pour se plaindre du contrôle de l’accès aux champs d’OGM à l’encontre des chercheurs imposé par l’industrie. La lettre fut envoyée anonymement (Pollack, 2009).
- Le rôle des médias scientifiques.
Un aspect important de cette intimidation mais qui passe souvent inaperçu est qu’elle se déroule souvent de concert avec le concours des médias scientifiques (Ermakova, 2007 ; Heinemann and Traavik, 2007 ; Latham and Wilson, 2007). L’article de Séralini a probablement été commenté par les plus prestigieux titres des médias scientifiques : Science, The New York Times, New Scientist, et le Washington Post, ont unanimement failli à contrebalancer les critiques faites sur sa recherche avec un compte-rendu, ne serait-ce que minime, des soutiens qu’il a eu (Carmen, 2012 ; Enserink, 2012 ; MacKenzie, 2012, Pollack, 2012). Pourtant, des médias moins bien informés, comme le Daily Mail anglais, n’ont semble-t’il pas éprouvé de difficultés à trouver une opinion scientifique positive de la même étude (Poulter, 2012).
- Les mensonges des médias.
Le modèle-clé des études de risques est que les voix critiques dans les médias sont souvent des fausses pistes, des tromperies, ou des contre-vérités. Ainsi, l’utilisation de méthodes communes a été épinglée comme étant du travail bâclé quand il s’agit de Séralini et al. (2012) mais pas quand elles sont utilisées par l’industrie (voir les références ci-dessus et le rapport du Science Media Center, 2012). L’usage de l’argument des fausses pistes est symptomatique de la volonté de semer le doute et la confusion auprès des non-experts. Par exemple, Tom Sanders du Kings College de Londres a prétendu que « cette variété de rats est particulièrement sujette aux tumeurs mammaires, particulièrement quand la nourriture n’est pas rationnée » (Hirschler and Kelland, 2012). Il oublie de signaler, ou il ignore, que la plupart des études nutritionnelles menées par les industriels ont utilisées des rats Sprague-Dawley (par exemple Hammond et al., 1996, 2004, 2006 ; MacKenzie et al., 2007)*. Dans ces études et dans d’autres menées par les industriels (par exemple Malley et al. 2007), la nourriture proposée n’était pas rationnée. Les commentaires de Sanders sont importants parce qu’ils sont largement reproduits et parce qu’il sont une part de la réponse orchestrée contre les travaux de Séralini par le Science Media Centre de la British Royal Insititution. Cet organisme a une longue tradition d’étouffement des controverses à l’encontre des OGM, et de nombreuses sociétés produisant des OGM et des pesticides comptent parmi ses bailleurs de fonds.
* La même variété que celle utilisée par Séralini (NDT)
- La culpabilité des organismes publics de régulation.
De notre point de vue, une large part de la faute ultime dans cette controverse revient aux organismes publics de régulation. Ceux-ci, comme l’AESA ( Agence Européenne de Sécurité des Aliments) en Europe, l’EPA (Environmental Protection Agency) et la FDA (Food and Drug Administration) aux USA, ont entériné les protocoles sans se doter de moyens (ou sans beaucoup en octroyer) pour détecter les conséquences des OGM (Schubert, 2002 ; Freese and Schubert, 2004 ; Pelletier, 2005).
Les OGM subissent peu d’expérimentations, peu de résultats sont examinés, et les tests sont faits uniquement par les fabricants ou leurs agents. Plus que tout, les protocoles actuels de régulations sont simplistes et basés sur des principes (RSC, 2001) qui éviteront à dessein la plupart des manifestations de mutations des gènes – en dehors de celles voulues – y compris par le processus d’introduction transgénétique (Heinemann et al., 2011 ; Schubert, 2002).
Puzstai (2001) et d‘autres ont par conséquent défendus que des essais alimentaires bien conduits étaient un des meilleurs moyens pour détecter de tels effets imprévisibles. Pourtant les tests alimentaires ne sont pas obligatoires pour une approbation réglementaire, et la crédibilité scientifique de ceux qui les ont soutenus a été remise en question (Domingo, 2007 ; Pusztai et al., 2003 ; Spiroux de Vendômois et al., 2009). Par exemple, Snell et al. (2012), qui ont évalués la qualité de 12 essais à longs termes (> 96 jours), et 12 études multigénérationnelles, ont conclu : « Les études menés ici sont souvent liées à un schéma expérimental insuffisant dont les effets s’exercent au détriment de l’analyse statistique… les insuffisances majeures n’incluent pas seulement le manque d’utilisation de lignées isogéniques, mais aussi une sous-estimation statistique [et], l’absence de redondances… ».
Apparemment, les mêmes problèmes de schéma expérimental et d’analyse soulevés par cette étude de recherche de risques (celle de Séralini) n’intéressaient pas les critiques du moment que les études n’identifiaient pas de risques, pour les responsables informés des maladies potentielles. A la fin, c’est un des problèmes majeurs de la science et de la société, quand les protocoles actuels réglementaires approuvent la récolte d’OGM en se basant sur des données si limitées qu’elles en sont sans intérêt suffisant pour une estimation satisfaisante.
- Science et politique.
Les gouvernants ont pris l’habitude d’utiliser la science pour botter en touche. Par exemple, dans une étude conduite par la Royal Society of Canada à la demande du gouvernement canadien, de nombreuses faiblesses de la réglementation sur les OGM au Canada ont été relevées (RSC, 2001). L’incapacité du gouvernement canadien à répondre de manière significative aux nombreux changements recommandés a été détaillée par Andree (2006). De même, les recommandations et expertises du rapport international de l’IAASTD** rendues par 400 chercheurs après 6 années, que les OGM étaient incapables de faire progresser globalement l’agriculture, ont été résolument ignorées par les politiques. Ainsi, pendant qu’ils proclament ne prendre de décision que sur la base d’évidences irréfutables, les gouvernants utilisent la science uniquement quand cela leur est utile.
** International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (NDT)
- Conclusion.
Quand ceux qui ont un intérêt si direct sèment un doute déraisonnable à propos des résultats gênants, ou quand les gouvernants exploitent des opportunités politiques en sélectionnant et choisissant en dépit des évidences scientifiques, ils mettent en péril la confiance du public dans les méthodes scientifiques et dans les institutions, et poussent leurs concitoyens au risque. Les tests de sécurité, la réglementation basée sur des sources scientifiques, et le processus scientifique lui-même, dépendent de manière cruciale de l’étendue de la confiance qu’on a dans le corps des chercheurs dévoués à l’intérêt commun, et dans leur intégrité professionnelle. Si au contraire, le point de départ de l’estimation scientifique d’un produit est un processus d’approbation dirigé en faveur de son développeur, renforcé par une suppression systématique des recherches indépendantes travaillant dans l’intérêt général, alors il ne pourra jamais y avoir un débat scientifique honnête et rationnel.
Notes
- En outre, les scientifiques américains qui publient des études montrant les effets adverses sur l’environnement sont fréquemment attaqués violemment par les autres scientifiques pro-OGM. Comme le montre un article dans la revue Nature, qui en donne de nombreux exemples, « les articles qui suggèrent que les récoltes de produits biotechnologiques pourraient faire du mal à l’environnement s’attirent les foudres de propos abusifs des autres scientifiques. Derrière ces attaques sont des scientifiques qui sont déterminés à s’opposer aux articles qu’ils considèrent avoir des formes scientifiques susceptibles d’influencer les politiques. Quand un article survient dans lequel ils perçoivent un problème, ils réagissent immédiatement, critiquent le travail effectué dans des forums publics, écrivent des lettres de réfutation, et les envoient aux politiciens, aux organismes de financement, et aux éditorialistes des journaux » (pg. 27 de Waltz. 2009a). En réalité, quand l’un d’entre nous a écrit un commentaire dans Nature Biotechnology il y a dix ans, suggérant qu’on devrait prêter plus attention aux possibles effets indésirables associés à l’insertion de la mutagénèse, nous avons été inondés de réponses, et un administrateur du Salk Insitute a même dit que cette publication « mettait en péril les financements de son institution » (voir Waltz, 2009a). Des attaques similaires ont eu lieu sur les effets adverses des toxines BT sur les coccinelles et les larves des chrysopes vertes, qui étaient utilisées par les autorités allemandes pour interdire la culture du maïs Monsanto 810, une variété de maïs dans laquelle elles sont implantées (voir Hilbeck et al. 2012a, b, respectivement). En 2009, un groupe de 26 entomologistes du secteur public travaillant sur le maïs envoya une lettre à l’Agence de Protection de l’Environnement américaine qui disait « aucune recherche indépendante réelle ne peut être conduite légalement sur beaucoup de points critiques impliquant ces récoltes [à cause des restrictions imposées par les fabricants] » (pg. 880 de Walz, 2009b) ; il n’est pas surprenant que la lettre ait été envoyée anonymement, les scientifiques craignant des représailles des compagnies sur lesquelles avaient porté leur travaux (Pollack, 2009). Par-dessus tout, que l’industrie contrôle quelles recherches peuvent être menées aux USA signifie que des recherches contradictoires peuvent effectivement être supprimées. Dans un des exemples cités par cet article, Pioneer était en train de développer une toxine binaire BT, nommée Cry34Abl/Cry35Abl, contre le chrysomèle des racines du maïs. En 2001, Pioneer contractualisa avec quelques laboratoires d’universités pour tester les effets indésirables sur les coccinelles femelles. Les laboratoires conclurent que 100% des animaux mourraient après huit jours d’alimentation. Pioneer interdit aux chercheurs de publier cette donnée. Deux ans plus tard, Pioneer reçut une autorisation pour une variété de maïs modifié au BT avec du Cry34Abl/Cry35Abl et soumit les études montrant que les femelles coccinelles n’avaient pas de mal après sept jours. Les scientifiques ne furent pas autorisés à rééditer leurs études après que la récolte soit commercialisée (Waltz, 2009b). Dans un autre exemple, Dow Agro Science menaça un chercheur d’une action en justice s’il publiait une information qu’il avait reçu de l’Agence de Protection de l’Environnement américaine. Comme le relate l’article, « l’information concernait une variété de maïs résistant aux insectes connue sous le nom de TC1507, fabriquée par Dow et Pioneer. Les compagnies suspendirent les ventes de TC1507 à Porto-Rico après la découverte en 2006 qu’un parasite avait développé une résistance à cette variété. Tabashnik put examiner le rapport que la compagnie avait remplie avec l’Agence en soumettant une requête en liberté de l’information. « J’encourageais un employé de la compagnie [Dow] à publier les données, et mentionnais que, de manière alternative, je pourrais citer l’information », dit Tabashnik. « Il me répondit que si je citais l’information, je serais l’objet d’une action en justice de la compagnie ». « Ces comportements donnent froid dans le dos » (pg. 882 de Waltz, 2009b).
Les auteurs:
Susan Bardocz (4, Arato Street, Budapest, 1121 Hungary) ; Ann Clark (University of Guelph, ret.) ; Stanley Ewen (Consultant Histopathologist, Grampian University Hospital) ; Michael Hansen (Consumers Union) ; Jack Heinemann (University of Canterbury) ; Jonathan Latham (The Bioscience Resource Project) ; Arpad Pusztai (4, Arato Street, Budapest, 1121 Hungary); David Schubert (The Salk Institute) ; Allison Wilson (The Bioscience Resource Project)
Les premiers signataires :
Brian Wynne (Professor of Science Studies, UK Economic and Social Research Council (ESRC) Centre for Economic and Social Aspects of Genomics, Cesagen, Lancaster University); Irina Ermakova, Dr of Biology, Russian Academy of Sciences; Jo Cummins (Professor Emeritus University of Western Ontario); Michael Antoniou, (Reader in Molecular Genetics; his university (King’s College, London) has a policy not to allow Dr Antoniou to use his affiliation here); Philip L. Bereano (Professor Emeritus University of Washington & Washington Biotechnology Action Council); Dr P M Bhargava (Former and Founder Director, Centre for Cellular & Molecular Biology, Government of India); Carlo Leifert (Professor for Ecological Agriculture Newcastle University); Peter Romilly (formerly University of Abertay, Dundee); Robert Vint (FRSA); Dr Brian John (Durham University, UK, retired); Professor C. Vyvyan Howard, University of Ulster); Diederick Sprangers (Genethics Foundation); Mariam Mayet (African Centre for Biosafety, South Africa); Eva Novotny (ret. University of Cambridge); Ineke Buskens (Research for the Future); Hector Valenzuela (Professor, University of Hawaii); Ronald Nigh, (Centro de Investigaciones y Estudio Superiores en Antropología Social, Chiapas, Mexico); Marcia Ishii-Eiteman (PhD, Senior Scientist, Pesticide Action Network North America); Naomi Salmon (Dept. of Law, Aberystwyth University, Wales); Michael W, Fox (Minnesota, Veterinarian & Bioethicist, PhD, MRCVS); Neil J. Carman (PhD Sierra Club); Vandana Shiva (India); Hans Herren (President, Millennium Institute, Washington DC, USA); John Fagan (PhD Earth Open Source, UK and USA); Sheila Berry and the Global Environmental Trust; Av Singh (PhD, Perennia); Laurel Hopwood (for the Sierra Club, USA); Philip H. Howard (Associate Professor of Community, Food and Agriculture, Michigan State University); Donald B. Clark (on behalf of Cumberland Countians for Peace & Justice and Network for Environmental & Economic Responsibility, United Church of Christ, Pleasant Hill, TN); Robert Mann (Senior Lecturer in Biochemistry & in Environmental Studies (rtd) University of Auckland, NZ); Chris Williams (PhD, FRSA, University of London); Mae-Wan Ho (PhD Director Institute of Science in Society); Peter Saunders (Prof. Emeritus of Applied Mathematics, King’s College London); Dr. Terje Traavik (Prof. Gene Ecology, Faculty of Health Sciences, University of Tromsö); Oscar B. Zamora (Prof. Crop Science University of the Philippines Los Banos College, Philippines); Adrian Gibbs (Prof. (ret.) Canberra, Australia); Christian Vélot (Senior Lecturer in Molecular Genetics, University Paris-Sud, France); André Cicolella (Scientific adviser INERIS (National Institute of Industrial Environment and Risk) France); Maurizio Pea (Bussolengo General Hospital and University of Verona, Italy) Xiulin Gu (PhD, Yunnan University of Finance and Economics, P.R.China); Brigitta Kurenbach (PhD,University of Canterbury, NZ); Elena Alvarez-Buylla (Instituto de Ecología, CU, Coyoacán, México); Elizabeth Cullen (MB, Ph.D, MD and environmental scientist); Claudia Chaufan, MD, PhD (University of California San Francisco);Marijan Jost (Prof., Croatia); Manuel Ruiz Perez (Dpto. Ecologia, Universidad Autonoma de Madrid-Spain); Rubens Onofre Nodari (Full Professor, Federal University of Santa Catarina Florianópolis, Brazil); Judy Carman (Institute of Health and Environmental Research Inc., Kensington Park, Australia); Florianne Koechlin PhD (Blueridge Institute, Switzerland); Richard Lasker (for Brabant Research, Inc., BioInformatix, Inc., Puget Environmental Group, Inc.); Anita Idel (Dr. med. vet. Mediatorin (MAB) Germany).