Procès Gilles-Éric Séralini vs Marc Fellous – Témoignage de Jacques Testart

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mercredi 24 novembre 2010

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Les attaques récemment formulées contre G-E Séralini par un groupe de personnes favorables aux plantes transgéniques, et menées par M Fellous, sont non crédibles et intolérables. Je connais ce chercheur depuis 15 ans et souhaite témoigner de sa rigueur comme de sa ténacité.Il y a longtemps que j’admire sa capacité à résister à l’hostilité de certains confrères experts, en siégeant dans des commissions acquises aux intérêts des industriels, et la tranquille assurance avec laquelle il répond aux invectives par des arguments seulement scientifiques.

C’est pour tenter de rompre avec les incertitudes liées à la toxicité éventuelle des plantes génétiquement modifiées (PGM) que l’équipe de Gilles-Eric Séralini a proposé une analyse comparative des effets, sur le sang et certains organes, de la présence dans l’alimentation animale de maïs génétiquement modifiés ( Spiroux de Vendômois et coll, Int J biol, 2009). Pour cela, ils ont réinterprété des résultats obtenus par le propriétaire de ces PGM, la firme Monsanto, laquelle n’en avait communiqué aux autorités et agences délivrant les autorisations qu’une version favorable à l’obtention des agréments, dissimulant la plupart des données au nom du « secret industriel ».

Contrairement aux assertions de M. Fellous, les auteurs ont respecté les bonnes pratiques scientifiques en ne tentant pas d’extrapoler des affirmations à partir de leurs résultats puisqu’ils écrivent : « ces données montrent des signes de toxicité hépatorénale, possiblement due aux nouveaux pesticides spécifiques à chaque plante transgénique. De plus, des conséquences métaboliques directes ou indirectes, non recherchées par ces modifications génétiques, ne peuvent pas être exclues. ». Ils sont encore plus prudents en indiquant que « les effets significatifs observés ici pour les 3 maïs GM étudiés sont des signes de toxicité plutôt que des preuves de toxicité ». En effet, ils soulignent eux-mêmes trois facteurs préjudiciables dans l’étude :

– L’étude n’a été réalisée qu’une seule fois et sur une seule espèce * sa durée est trop courte (il faudrait 2 années et non 3 mois pour révéler d’éventuelles pathologies graves) * le pouvoir statistique des tests est trop faible (à cause du design expérimental choisi par Monsanto)

Il est alors excessivement malveillant d’attaquer ce travail comme le fait Marc Fellous, puisqu’il s’agit d’un article qui respecte parfaitement les codes des publications scientifiques. L’équipe de G-É Séralini a répondu aux critiques [1] et ce n’est pas ici le lieu pour un débat scientifique. Deux points méritent cependant d’être précisés :

– L’équipe de Caen aurait bien sûr préféré mener sa propre expérimentation plutôt que réinterpréter une expérimentation grossière menée par l’entreprise Monsanto. Mais elle n’en avait pas les moyens matériels. Ce qui devrait amener les responsables de commissions scientifiques, tel M. Fellous, a exiger de pouvoir mener des expériences afin de vérifier les dires des industriels plutôt qu’avaliser leurs affirmations rassurantes…Et à se féliciter que certains scientifiques combattent la pénurie de leur laboratoire en tirant des informations nouvelles à partir d’expériences, même mal faites, menées par ceux qui en ont le pouvoir !

M. Fellous se réfère à des autorités scientifiques qui ont porté un regard critique sur la publication par Spiroux de Vendômois et coll, en particulier le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) et l’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire (AESA). Le HCB note que «  très peu de différences observées peuvent être considérées comme statistiquement significatives. Les auteurs tentent néanmoins de convaincre que ces différences sont biologiquement significatives…la statistique est un outil d’aide à la décision, mais pas un outil de décision »… Ce jugement est important car il remet en cause les bonnes pratiques quotidiennes de la communauté scientifique : pour l’essentiel les publications d’un chercheur sont évaluées selon la crédibilité de leurs résultats, laquelle est surtout affirmée grâce aux tests statistiques. Si cette exigence du HCB n’est pas dénuée de bon sens, on ne comprend pas pourquoi elle ne s’applique pas à tous les articles publiés mais semble réservée aux rares travaux qui mettent en cause des intérêts économiques importants. J’ai moi-même critiqué la méthode qui consiste, dans une situation expérimentale, à comparer de très nombreuses données obtenues dans un groupe traité et un groupe contrôle, avec l’assurance que certaines différences se montreront « statistiquement significative » et la possibilité ainsi de conclure sur la démonstration d’un fait nouveau, propice à publication scientifique… [2] Mais, comme tous mes collègues, et certainement les membres du HCB et M Fellous lui-même (s’il s’avère qu’il a mené des études expérimentales), j’ai continué à produire et publier des dizaines d’articles ainsi construits car c’est la règle acceptée dans la communauté scientifique. En fait, ce n’est pas tant le regard d’un toxicologue sur les résultats qu’il faudrait solliciter, comme le demande le HCB, mais la répétition de l’expérience car il est peu probable que des données s’avérant significatives par hasard soient reproduites avec la même pseudo pertinence statistique.

Cela, les auteurs de l’article incriminé le savent puisqu’ils reprochent à leur propre expérience de n’avoir pas été répétée. Mais comment pourrait-elle l’être sans l’attribution des crédits nécessaires ? Faut-il que GE Séralini et coll. se remettent en quête de travaux réalisés par Monsanto et dont la justice obligerait une nouvelle fois leur auteur à dévoiler les résultats afin qu’ils soient disponibles pour une réévaluation ?… Quand des comités scientifiques (HCB, AESA,…) se livrent à une critique sourcilleuse du mode usuel de travail des chercheurs, comment peuvent-ils dans le même temps avaliser les résultats non vérifiés des industriels , en mettant en péril la santé humaine et l’environnement ? Pourquoi ce qui est bon pour ruiner l’alerte serait-il inutile quand il s’agit d’autoriser le risque ? Si nous n’avons pas les démonstrations qu’exigerait la science, ne faut-il pas appliquer le principe de précaution et, toutes affaires cessantes, se lancer dans la recherche de la preuve incontournable ? Depuis ces polémiques, il n’apparaît cependant pas que des travaux conséquents aient été menés pour en finir avec le doute…En attendant, et malgré leurs carences assumées, les travaux de l’équipe de GE Séralini font figure d’exception. Jamais les comités scientifiques français (CGB puis HCB) ou européen (EFSA) n’ont vérifié les données produites par les industriels ni même soumis leurs résultats à réinterprétation. C’est cette démarche qui conduit l’équipe de GE Séralini à remettre en cause les normes d’évaluation des PGM, un souci que ne semblent pas partager les commissions d’experts même quand elles reconnaissent les carences du système actuel, résistant ainsi clairement à l’application du principe de précaution.

D’autres critiques sont apparues ici ou là, et la mauvaise foi le dispute alors à l’ignorance : Qui croît encore à une proportionnalité entre la dose d’un toxique et la réponse de l’organisme ? La genèse des cancers ou des intoxications longues a montré que ce vieux concept était faux. Qui ignore que des individus mâles ou femelles peuvent présenter des réponses différentes au même toxique, par le fait même des métabolismes spécifiques à leurs sexes ?

Il faut se demander pourquoi les scientifiques qui s’attaquent à GE Séralini ne se sont pas insurgés contre les dossiers soumis aux commissions réglementaires, jusqu’à donner des feux verts pour autoriser leurs PGM alors que les informations produites par Monsanto ou les autres industriels des biotechnologies sont toujours bien en deçà de celles apportées par l’équipe de GE Séralini… Ainsi le Pr Marc Lavielle, statisticien membre du HCB, et critique des travaux de l’équipe Séralini, déclare : « aussi bien le protocole que les analyses statistiques utilisés par Monsanto présentent de nombreuses faiblesses qui interdisent de conclure avec certitude à l’absence de risques sanitaires… » [3].

De fait, GE Séralini n’est que la dernière victime de l’ostracisme agressif de ceux qui veulent imposer les PGM. On peut citer plusieurs cas où les arguments de la science officielle ont été étonnamment proches de ceux utilisés aujourd’hui :

Quand le Pr Arpad Pustaï, spécialiste britannique des lectines, a fait connaître en 1999 des perturbations inquiétantes de la muqueuse intestinale chez des rats ayant consommé des pommes de terre GM [4] on lui opposa une mauvaise méthodologie et il fut persécuté jusqu’à l’exil. Quand, en 2001, Ignacio Chapela et David Quist, de l’université de Berkeley, montrèrent que les maïs traditionnels mexicains, constituant la ressource génétique mondiale pour cette plante, était largement contaminés par des transgènes issus de maïs GM [5] on les accusa aussi d’avoir mal travaillé et on mis Ignacio Chapela à l’index de l’université… jusqu’à ce que ses résultats soient confirmés par le ministère mexicain de l’Environnement. Cela n’empêcha pas une cabale montée par les industriels camouflés derrière de supposés scientifiques [6]. Quand la biologiste italienne, Manuelle Malatesta, fit connaître des altérations des épithéliums intestinaux de souris nourries sur une longue période (6 mois) avec du soja GM tolérant au Roundup [7], là encore ses travaux furent violemment critiqués, jusqu’à ce qu’on lui retire les crédits qui lui auraient permis de poursuivre et qu’on l’amène à changer d’université. On voit bien que le « cas Séralini » n’en est un que parce que les résistants sont rares ! C’est le sort des scientifiques curieux ou inquiets que d’être ostracisés parce qu’ils perturbent la dissémination des plantes transgéniques tandis que leurs critiques se contentent des montages pseudo-scientifiques des propriétaires de brevets et leur accordent leur confiance, même quand les dossiers techniques sont camouflés (cas actuel du maïs MON 810 ou du maïs MON 863 : l’accès aux données brutes des tests réalisés par Monsanto sur lesquelles s’appuient les contre-expertises menées par GES n’a été possible qu’au prix d’un recours en justice par Greenpeace Allemagne)

Pourtant, peut-on prétendre comme le fait Marc Fellous que les travaux de GE Séralini « ont toujours été invalidés par la communauté scientifique ». C’est confondre la communauté scientifique avec quelques personnes qui ont fait le choix idéologique d’une agriculture encore plus intensive grâce au recours aux biotechnologies et singulièrement aux plantes transgéniques. Pour la plupart des scientifiques, qui ne sont pas investis dans ce combat à base économique et à portée écologique, G-É Séralini est un chercheur comme un autre par ses pratiques et plus médiatisé que beaucoup d’autres par son thème de recherche. Certains, peut-être envieux, y voient un souci de paraître, d’autres dont je suis y reconnaissent un courage évident (il n’est à prendre que des coups…). Ce que chacun peut constater, c’est que les études indispensables à la précaution avant de disséminer des PGM sont largement défaillantes, qu’elles ne sont menées que par de rares laboratoires dépourvus de conflits d’intérêts, et que tout résultat défavorable à la dissémination de ces PGM est immédiatement considéré comme contraire aux bonnes pratiques scientifiques alors que tout résultat favorable n’est jamais interrogé… Parmi les critiques des travaux de GE Séralini, on retrouve évidemment l’EFSA, Agence qui a autorisé toutes les PGM dont elle a eu à connaître mais dont les conflits d’intérêts de plusieurs membres ont été dénoncés, jusqu’à récemment celui de la présidente de son conseil d’administration.

La création en juin 2009 de l’Association française pour les biotechnologies végétales, présidée par M Fellous, ressemble à une arme focalisée sur la contestation des PGM, même si l’AFBV compte nombre de scientifiques sans aucune compétence sur les PGM (on notera cependant que les climato-sceptiques y trouvent place…). Ce que cherche à obtenir Marc Fellous et son association, à la satisfaction des marchands de plantes transgéniques, est la mise à l’écart d’un chercheur qui dirige le seul laboratoire français ouvertement dédié à vérifier l’innocuité des plantes imprégnées de pesticides et aussi à analyser les effets délétères de diverses substances (perturbateurs endocriniens, herbicides,…) dont certaines proviennent des mêmes industriels que les PGM. Il est faux de prétendre que les travaux de GE Séralini « ont toujours été invalidés par la communauté scientifique ». Aucune de ses publications n’a été retirée et les reviewers des journaux qui les ont acceptées mériteraient davantage de respect.

Dans son communiqué du14 décembre 2010, l’AFBV note que « cette publication arrive très « opportunément » au moment où des décisions sur le maïs Bt (MON 810) vont être prises… ». Outre qu’une publication scientifique résulte d’un travail commencé plusieurs années auparavant on comprend mal pourquoi la recherche d’informations nécessaires à la santé publique pourrait être reprochée aux auteurs…En revanche on perçoit bien « l’opportunité » de créer très vite une association dédiée à faire taire les critiques sur les PGM…Quand l’AFBV « déplore que la science soit mise au service de convictions personnelles ou idéologiques » elle postule que la croyance dans l’efficacité et l’innocuité des PGM ne relèverait pas de « convictions personnelles ou idéologiques ». Pourquoi faut-il que le chercheur qui cherche réellement à comprendre les effets des PGM soit considéré comme suspect alors que celui qui se contente de résultats insuffisants demeurerait un scientifique objectif ?

Dans ce développement des plantes transgéniques, imposées aux populations, la science est bien souvent le parent pauvre d’une argumentation basée surtout sur la promesse et soutenue par d’énormes intérêts marchands. Il est inadmissible que des scientifiques comme M Fellous se prêtent sans esprit critique à ces simulacres de progrès, et utilisent l’injure pour réduire les rares chercheurs qui cherchent la vérité.

Jacques Testart,

Agronome et biologiste,

Pionnier de la procréation médicalement assistée,

Co-auteur du rapport « des quatre sages » (plantes transgéniques : l’expérimentation est-elle acceptable ? La Documentation française, 2003)

Auteur de plus de 300 articles dans la presse scientifique internationale et d’ouvrages de vulgarisation et de réflexion

Directeur de recherches honoraire à l’INSERM

[1] International debate on GMO’toxicity, www.criigen.org

[2] J Testart : Safety of embryo crypreservation : statistical facts and artefacts. Episcientific aspects of the epigenetic factors in artificial procreation. Human Reprod 13, 783-786,1998 (http://jacques.testart.free.fr/pdf/texte486.pdf)

[3] Interview de M Lavielle, inf’ogm 102, janvier-février 2010

[4] Ewen S et Pusztai A. Effects of diets containing genetically modified potatoes expressing Galanthus nivalis lectin on rat small intestine. The Lancet 354, 1353-1354, 1999

[5] Quist D et Chapela I. Transgenic DNA introgressed into traditional maize landraces in Oaxaca, Mexico. Nature,414, 541-543, 2001

[6] voir : Ceballos L, Edde B, Lambert C. Mainmise de l’économie sur la science : retour sur les controverses scientifiques relatives aux OGM. Ed inf’ogm, 2004

[7] Batistelli S, Citterio B, Baldelli B, Parlani C, et Malatesta M. Histochemical and morpho-metrical study of mouse intestine epithelium after a long term diet containing genetically modified soybean. Eur. J. Histochem., 2010, 54(3)