Premières impressions du Forum Social Européen, 04 au 07 Mai 2006 à Athènes

Par
lundi 26 juin 2006

Miniature
Ce forum était plus petit que les autres FSE, ceci étant surtout dû au choix de l’endroit (mais peut-être aussi à une certaine fatigue du mouvement ?). On a entendu parler de chiffres autour de 10 000 participants. Mais bon ce n’est pas seulement la quantité qui compte mais aussi la qualité !Science, recherche et savoir ont toujours du mal à devenir une des priorités des forums européens, au contraire des forums mondiaux. Mais cela dépend aussi des capacités de « lobbying » lors des assemblées préparatoires et les nôtres (des ONG qui s’intéressent à la recherche dans un sens large) ne sont pas très développées. Il y avait donc très peu de séminaires sur la recherche et sur le savoir en général, dont les nôtres, un sur le savoir comme bien public (avec Christophe Aguiton), quelques séminaires sur la santé et la biomédicine.

FSC a participé à deux séminaires qui étaient le résultat d’un processus de fusion avec d’autres organisations. Pour rappel :

Notre premier séminaire :

Développement, coopération et besoins sociaux : La démocratie est nécessaire dans la recherche scientifique afin d’avoir une économie qui se base sur une connaissance authentique.

La FMTS (Fédération mondiale des travailleurs scientifiques) en était responsable. Une trentaine de personnes le jeudi matin (le moment où la majorité des gens faisaient la queue pour avoir leur badge) et un débat qui était organisé en trois parties : a) sur des questions de la société des connaissances, b) sur coopération et les besoins sociétaux, c) sur la démocratisation de la recherche scientifiques.
Ont été discutés par les intervenants et la salle :

- une critique de la stratégie de Lisbonne (le business envahit la science et la politique de recherche, appels à des scientifiques de s’engager dans des combats de société) ;

- quelle notion de la valeur ajoutée ?,

- quels modes de production et de diffusion des savoirs (actuellement caractérisés par le libéralisme, le productivisme, la concurrence et les rapports de force) ?,

- la science n’était jamais indépendante des développements sociétaux mais nous assistons à la destruction des derniers espaces d’une science non marchande ;
- le besoin de soutenir des lanceurs d’alerte et de redéfinir leur statut ;

- le besoin d’une nouvelle liberté d’expression dans la communauté scientifique ;

- quels principes économiques, quelle nouvelle approche à la « croissance » (nouvelle définition ?) pourraient favoriser des modes de production et de diffusion des savoirs compatibles avec un monde plus juste ?

Dû à la présence de nombreux français dans la salle (CGT, FMTI, FSU), une partie du débat s’est trop focalisé sur la situation française (mouvement des chercheurs).

Notre deuxième séminaire :

Dialogue entre théorie et pratique ; dialogue entre chercheurs, activistes et chercheurs-activistes.

Euromovements en était responsable. Euromovements est un réseau de la recherche activiste qui fait de la recherche sur des mouvements sociaux et surtout sur les FSE. Il a pour objectif d’analyser et systématiser le savoir et les informations qui sont crées dans les FSE.

Ce séminaire s’est ainsi beaucoup focalisé sur l’analyse des FSE, sur le mémoire des FSE et comment les FSE peuvent être objet de la recherche universitaire. Ils discutent actuellement également l’idée d’un « E-yearbook of social movements across Europe ». Mais il y avait aussi des questions autour des chercheurs-activistes, les tensions qu’ils vivent entre leur vie académique et leurs engagements militants, les choix de leurs sujets de recherche et à quel point ils sont en lien avec leur engagement, leur reconnaissance dans le monde académique, leurs publications, etc. J’ai donc essayé d’ouvrir un peu plus sur la création des connaissances dans la société civile organisé (en général et avec des exemples), sur l’innovation ascendante et surtout sur le fait que les FSE devraient développer leur propre vision de la science, de la recherche et du savoir (aussi dans le sens que les mouvements sociaux se trouvent confrontés à des conséquences des politiques sociaux, sanitaires et autres qui sont en lien direct avec des décisions qui viennent de la politique de recherche).

D’autres séminaires intéressants :

Le savoir comme bien public : organisé par Euromovements, Charter of principles of another Europe, Critical Network, Austrian social forum, Arci, Transform ! Italia. Ont été discuté les combats autour de la production des savoirs et des droits de la propriété intellectuelle (logiciels, musique, cinéma, semences, droits d’auteurs, etc.) comme un champ clé de la définition d’alternatives dans la conceptualisation de nos sociétés présentes et futures. Comment définir des principes communes afin de renforcer des mouvements sociaux en Europe ?

Demos : Il existe actuellement un projet de recherche (financé par la CE dans le cadre de son programme « citoyens et gouvernance ») intitulé « Demos : La démocratie en Europe et la mobilisation de la société », coordonné par Donatella della Porta du European University Institute en Italie (du côté français le partenaire est Isabelle Sommier du Centre de recherches politiques de la Sorbonne). Le projet est focalisé sur des formes de démocratie participative « from below » intégrées dans l’organisation des mouvements sociaux et dans des expériences des processus délibératifs.

Sante, médicament, et la recherche comme bien public : Un séminaire très intéressant organisé par BukoPharma (a watchdog allemand qu’on connaît bien du travail avec le ESSF), Medico International et Medecine for the people.

Sophie Blancke de Medecine for the people a présenté une campagne pour une politique rationnelle de médicaments en Belgique. Ils prennent comme modèle le « Kiwi model » (qui le connaît ?), un programme national en Nouvelle Zealand qui a pour objectif d’améliorer c’est-à-dire restreindre les coûts des médicaments avec un système de prix de référence des médicaments (pour ne pas payer x fois plus cher pour la même substance active). Le prix de référence assure apparemment que tout le monde accède au moins à un médicament gratuit de chaque classe de médicaments ou à un prix modique. Ce prix de référence dégage pas mal des économies dans certains domaines. Le programme se focalise plus sur une politique des besoins des patients (demand driven policy) que sur une politique d’offre des entreprises pharmaceutiques (supply driven policy).

Medecine for the people a préparé une loi (pétition pour introduire le Kiwi model en Belgium avec 100 000 signatures en un an). Ils espèrent que la loi passera l’année prochaine (ils sont optimiste) et comptent qu’environ 50% des médecins belges soutiennent potentiellement l’initiative.

(du site www.pharmac.govt.nz : New Zealand has a national pharmacare program that covers drug costs for all citizens. PHARMAC, the Pharmaceutical Management Agency, was initially set up under the Health and Disabilities Services Act (1993) with the specific purpose of improving the management of Government expenditure on pharmaceuticals. The Agency is directly accountable to the Minister of Health. The decision whether to fund a certain drug is based on a cost-benefit analysis. Prices paid to manufacturers are negotiated at a national level. Some drugs may only be funded if patients meet certain conditions or if the prescription has been written by a specialist, or not at all. People who wish to pay out of pocket, or who have third-party insurance, may get other drugs.)

BukoPharma a travaillé sur des questions de recherches et développements de médicaments : des médicaments qui manquent, combien coûte la recherche, la recherche publique, la commercialisation des universités, le DNDi – drugs for neglected diseases initiative, etc. Ils ont publié un petit document de vingt pages sur ces questions que je trouve vraiment bien fait. Actuellement ils intéressent de plus en plus pour des questions de la commercialisation des universités…
vous trouvez le document sous : http://www.bukopharma.de/english/publications.htm

(J’ai essayé de participer à un séminaire sur « Le futur des FSE » mais malheureusement la traduction ne fonctionnait pas et la majorité des participants parlaient en grec et en italien.

Et malheureusement je ne pouvais pas participer au séminaire avec José Bové sur les OGM car il était au même moment que le notre.)

De plus :

Une large partie du mouvement s’est attelée à la rédaction d’une « charte des principes de l’autre Europe » qui devait avancer à l’occasion du forum d’Athènes (un réseau permanent sur les services publics, regroupent les ATTAC d’Europe, des syndicats (Solidaires, FSU, CGT, la fédération des services publics de la CGIL italienne, l’UNISON britannique, la CSC et la FGTB belges…) et des autorités locales (les territoires « hors AGCS » ou « stop Bolkestein »).

Les mouvements féministes ont organisé une grande assemblée et un espace autonome de discussion, avec un manifeste contre les violences faites aux femmes en Europe et contre la précarité. Il y avait donc de nombreuses organisations de femmes comme la Marche Mondiale des Femmes, Initiative Feministe Europeenne, Feminist Center of Athens, Network of women of Serres, Patra and Ierapetra, Campain Genova, Initiative of Homosexuals against opression, IMECE Women solidarity Kour, Collectivo bellaciao, UK, Feminist Forum of Austria, Collectivo bellaciao, UK, et d’autres.

La manif du samedi :

Environ 70 000 mille personnes participaient à la manif du forum (alors bien coloriée, calme et joyeuse) qui a duré tout l’après-midi. Mais il y avait aussi des manifs des anarchistes et des radicaux. En tout cas, beaucoup de police, les rues à côté de la manif fermées par les bus policiers, et les policiers eux mêmes bien « déguisés » avec tout ce qu’il faut, y compris du gaz lacrymogène et de nombreuses caméras sur les toits (bon, nous aussi, on a fait des photos d’eux). Ça fait un peu bizarre (y compris l’odeur du gaz) et n’était pas très rassurant mais heureusement la manif s’est bien passée sous un soleil estival (le reste des jours il faisait très froid, plus froid qu’à Berlin !).

Et aussi :

Une étude faite par les chercheurs-activistes du FSE a montré que c’est plutôt une (comme ils disaient) élite intellectuelle qui se trouve dans les FSE (environ 70% des participants sont universitaires, profs ou ont une formation d’au moins bac + 3-4, si je me rappelle bien). La question se pose donc de comment ouvrir le processus à d’autres couches sociales ?!

Résumé pour moi :

Trois points intéressants :

1) On devrait intégrer les chercheurs-activistes dans la préparation de notre conférence sur la recherche citoyenne avec les boutiques des sciences. Nous avons déjà prévu dans notre programme préliminaire une partie sur « recherche et mouvements sociaux » dans laquelle sont intégrés les chercheurs-citoyens. En tout cas, je leur ai en parlé et il faut voir à quel point cela les intéresse. Je pourrait aussi prendre contact avec un des chercheurs du projet Demos qui est à Berlin (mais qui n’était pas à Athènes).

2) Le modèle Kiwi et la campagne en Belgique, et le contact avec BukoPharma pourraient être intéressants pour notre note sur les médicaments.

3) Pour notre note sur les conflits d’intérêt il serait également intéressant de discuter avec Christian Wagner de BukoPharma qui souhaite s’impliquer plus sur les questions de la commercialisation de la recherche dans les universités. Il passe régulièrement à Berlin et on le verra avec Christophe Bonneuil et Jean-Paul Gaudillière probablement fin mai.

Claudia Neubauer