L’ANR ouvre enfin son appel à projets de recherche participative !

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mercredi 31 août 2022

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Depuis le lancement en février 2021 de l’appel à manifestation d’intérêt « Science avec et pour la société » (auquel Sciences Citoyennes avait répondu), nous attendions avec impatience l’ouverture de l’appel à projets « Recherches participatives » de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Nous commencions même à désespérer… Mais l’appel à projets a enfin été publié dans les derniers jours du mois de juillet 2022. Le texte et le processus appellent de nombreux commentaires qui constitueront le cœur de vives discussions et de riches débats dans les mois à venir.

Cet article propose une première manière de lire le texte d’appel à projets, à travers le prisme des activités de Sciences Citoyennes mises en œuvre en matière de recherche participative depuis près de 20 ans : évaluation de la recherche participative ; distinction entre projets en émergence et projets consolidés ; dispositif tiers-veilleur d’accompagnement à la recherche participative…

La définition des pratiques de recherche participative

Il nous paraît nécessaire de commencer par un premier commentaire sur les pratiques concrètes que l’ANR cherche à soutenir dans le cadre de son appel à projets. Il s’agit de déterminer si l’ANR s’engage véritablement à contribuer à reconstruire notre démocratie (rappelons ici qu’aucune recherche scientifique n’est neutre politiquement et que savoirs et pouvoirs sont totalement imbriqués) ou si elle tend à poursuivre une politique d’utilisation des fonds publics pour que rien ne change.

Pour l’ANR, les projets de recherche participative se caractérisent par :

  • la reconnaissance d’une diversité de savoirs « scientifiques, d’action, d’expérience » (page 5)
  • la présence d’ « une problématique scientifique conjointement élaborée par des acteurs académiques et des acteurs non-académiques, porteurs d’enjeux sociétaux » (page 5)
  • l’ouverture à « toutes les disciplines académiques et à tous les questionnements scientifiques relevant d’enjeux sociétaux et orientés vers la recherche de solutions » (page 6).
  • un portage et une coordination du projet «  assurés conjointement par le/un partenaire scientifique/académique (…) et le/un partenaire issu de la société civile » (page 6)
  • une participation effective au projet de recherche de chercheurs identifiés comme « partenaires » (page 15)
  • une participation effective des organisations de la société civile engagées qui va au-delà de la seule étape de la « production de données » (page 15). Le texte d’appel à projets va plus loin en indiquant : « Le document scientifique devra également démontrer que le projet se fonde sur une collaboration équilibrée entre les différentes parties prenantes et effective à toutes les étapes (page 11). Il ne s’agit donc pas de soutenir des projets de sciences participatives.
  • l’identification claire des « modalités de participation des organisations de la société civile » (page 15)
  • la production d’un « mutual learning entre les parties prenantes » (page 15). Sciences Citoyennes évoquait déjà les « apprentissages mutuels » dans son rapport publié en 2016 (Sciences Citoyennes, 2016, p. 22).

Cette définition de la recherche participative se rapproche sur certains aspects de la définition qu’en donne l’association Sciences Citoyennes. Toutefois, Sciences Citoyennes sera attentive ici aux acteurs économiques que l’ANR souhaitent soutenir dans le cadre de l’appel à projets (entreprises notamment). Car le texte d’appel à projets ne précise pas du tout ce que l’ANR entend par « enjeux sociétaux » lorsqu’elle identifie les partenaires des chercheur.e.s comme des « organisations de la société civile porteuse d’enjeux sociétaux » (page 7). Est-ce que l’ANR souhaitera utiliser les fonds publics dédiés à cet appel à projets pour soutenir par exemple une entreprise pratiquant le greenwashing alors même que l’urgence climatique n’est plus à démontrer ? Pour Sciences Citoyennes, les pratiques de recherche participative doivent viser le bien commun, par conséquent elles doivent être menées avec les acteurs du tiers-secteur scientifique qui ont le bien commun comme finalité (et non la défense d’intérêts privés). Pour rappel, l’association Sciences Citoyennes a développé la notion de « tiers-secteur scientifique », ou « tiers-secteur de la recherche », dès 2003.

Sciences Citoyennes sera également vigilante aux pratiques de collaboration que l’ANR soutiendra dans le cadre de cet appel à projets : le texte d’appel à projets ne fait pas apparaître les indicateurs utilisés lors de la phase d’évaluation des projets qui permettront de justifier que les éléments de définition identifiés précédemment sont bien présents dans les projets sélectionnés. En effet, une telle définition des pratiques de recherche participative nécessite une déclinaison particulière des critères d’évaluation et des indicateurs inhérents pour garantir une co-production des savoirs effective.

Le dispositif tiers-veilleur d’accompagnement à la recherche participative

Le dispositif tiers-veilleur d’accompagnement à la recherche participative a été expérimenté par Sciences Citoyennes à partir de 2016 avec le soutien de la Fondation de France (rapport 2020).

L’association le déploie depuis 2018 dans le cadre du dispositif CO3. Co-Construction des Connaissances et il a été repris depuis 2021 dans le cadre de l’appel à projets de recherche participative « Recherche et société » du Conseil régional de Bretagne (accompagné par Sciences Citoyennes). À l’instar du dispositif CO3, l’ANR a rendu obligatoire la présence d’un tiers-veilleur auprès de tous les collectifs de recherche soutenus dans le cadre de l’appel à projets. Le texte n’apporte pas de précision sur l’intervention du tiers-veilleur, mais il indique que le tiers-veilleur a « pour mission d’accompagner la mise en œuvre du projet » (page 6). Les porteurs de projets doivent avoir obligatoirement identifié leur tiers-veilleur au moment du dépôt du dossier puisque ce dernier doit comporter le CV du tiers-veilleur (page 12).

Nous pouvons nous réjouir de cette initiative de l’ANR car elle viendra nourrir la réflexion portant sur les nombreuses questions que soulève le dispositif tiers-veilleur d’accompagnement à la recherche participative qui n’est encore qu’à un stade expérimental.

(Lire ici le dernier article concernant le dispositif tiers-veilleur publié sur le site de Sciences Citoyennes).

Le double guichet de soutien

L’ANR a bien intégré que les pratiques de recherche participative ne sont pas magiques. Elles ne peuvent être mises en œuvre et faire émerger de nouveaux savoirs co-produits, robustes et utiles que sous certaines conditions. L’une d’entre elles est bien l’existence de moyens à mettre à disposition des collectifs de recherche participative pour se constituer et prendre le temps de construire un langage commun, de partager les intérêts et enjeux de chaque partenaire et aboutir à la formulation conjointe d’une question de recherche.

L’ANR a donc bien pris en compte la recommandation formulée par Sciences Citoyennes concernant la distinction des guichets de soutien financier entre projets en émergence et projets consolidés de recherche participative (Sciences Citoyennes, 2013, p. 87-88 ; Sciences Citoyennes, 2016, p. 36).

L’animation des communautés d’acteurs de la recherche participative

Les pratiques de recherche participative constituent un levier pour répondre aux phénomènes complexes auxquels font face nos sociétés. Leur potentiel transformateur ne peut s’exprimer que dans une démarche collective de partage d’expériences et de réflexivité. Pour cela, il est nécessaire de créer les espaces utiles pour que les acteurs de la recherche participative fassent communauté. L’engagement des collectifs de recherche soutenus dans le cadre de l’appel à projets « Recherches participatives » de l’ANR à participer à un séminaire de lancement et aux colloques organisés par l’ANR contribue à consolider la communauté des acteurs de la recherche participative en France.

Dans ce cadre, nous invitons l’ANR à s’inscrire aussi dans une démarche de réflexion collective autour de la programmation de la recherche participative avec les bailleurs publics et privés qui soutiennent déjà, au niveau régional, au niveau national ou dans d’autres pays, des projets de recherche participative.

L’évaluation des projets de recherche participative

Nous pouvons apprécier l’effort que l’ANR a fait en ouvrant le comité d’évaluation à des acteurs non-scientifiques, lui conférant un caractère « mixte ». Cela fait bien partie des recommandations formulées par Sciences Citoyennes depuis 2013 (Sciences Citoyennes, 2013, p. 85-86 ; Sciences Citoyennes, 2016, p. 35). Toutefois, nous n’avons pas de précision sur le caractère paritaire, d’une part du comité d’évaluation et, d’autre part de l’évaluation réalisée pour chaque projet déposé. Se pose la question de l’équilibre entre scientifiques et non-scientifiques dans le processus d’évaluation.

En matière de processus d’évaluation, une ambiguïté persiste à la lecture de la phrase suivante : « l’évaluation sera assurée par un comité mixte comprenant des scientifiques acculturés aux recherches participatives et des spécialistes reconnus des recherches participatives, qui expertiseront les projets sous des angles et selon des critères différents » (page 13). En effet, il est écrit également que tous les évaluateurs doivent utiliser la même grille d’évaluation comportant les 5 critères indiqués (p. 14).

Nous pouvons aussi remarquer l’intégration d’un critère dans la grille d’évaluation portant sur la qualité de la collaboration entre partenaires intitulé « la plus-value de la dimension participative » (page 14-15). Cela correspond à une autre recommandation formulée depuis 2013 par Sciences Citoyennes qui défend l’idée selon laquelle la grille d’évaluation utilisée pour des projets de recherche participative doit comporter un critère relatif aux modalités de participation de tous les partenaires (Sciences Citoyennes, 2013, p. 88).

Toutefois, le texte d’appel à projets ne fait pas apparaître le niveau d’importance qui sera donné au critère de « la plus-value de la dimension participative » dans le processus d’évaluation. En outre, le manque de transparence sur le contenu des critères d’évaluation choisis et l’absence de précision des indicateurs utilisés sur chacun des critères peut susciter une forme de perplexité.

Enfin, nous pouvons noter que la grille d’évaluation élargit l’observation des résultats attendus des projets à d’autres types de productions que scientifiques uniquement. En effet, le dernier critère indiqué, relatif aux résultats attendus des projets de recherche participative, intègre le caractère transformateur des productions pour la société. C’est bien ce qu’avait préconisé Sciences Citoyennes : prendre en considération dans l’évaluation une diversité de productions et d’effets des pratiques de recherche participative (Sciences Citoyennes, 2016, pp. 22-37).

Le texte d’appel à projets indique que « la composition du comité d’évaluation scientifique sera publiée sur la page dédiée à l’appel » (page 15). Il parait essentiel de garantir cette transparence.

Pour finir…

Ménageons-nous un peu en cette fin de mois d’août en ne prolongeant pas davantage cet article qui n’a rien d’exhaustif évidemment ! Laissons plutôt la rentrée nous offrir de riches et constructifs échanges sur les enjeux relatifs aux pratiques de recherche participative que va susciter la sortie de cet appel à projets de l’ANR. Bien évidemment, Sciences Citoyennes reste disponible pour discuter avec l’ANR sur la base de son expertise, même si jusqu’à présent, l’Agence n’a jamais répondu à nos diverses sollicitations…

Quelques points parmi d’autres à discuter :

  • l’absence d’objectif d’ « intérêt général » ou de « bien commun » visé par l’appel à projets (contrairement au dispositif CO3. Co-Construction des Connaissances). Le bien commun est peut-être difficilement compatible avec la « protection du potentiel scientifique et technique de la nation »… (page 20). Pourtant, une autre recherche est possible ! (voir les autres travaux de Sciences Citoyennes sur son site internet).
  • la prise en charge limitée à 50% des coûts admissibles pour les associations (voir le Règlement relatif aux modalités d’attribution des aides de l’ANR) et les modalités financières de l’ANR qui ne s’adaptent pas encore aux réalités du champ associatif (la reconnaissance des associations comme partenaires de la recherche scientifique passe aussi par cette dimension des coûts admissibles)
  • la sortie de l’appel à projets en plein été… qui n’est pas la période la plus propice à la constitution ou reformation des collectifs de recherche (le dispositif CO3. Co-Construction des Connaissances avait déjà procédé de cette manière dans le cadre de son appel à projets de recherche participative en 2018 et 2019 ; cela a été corrigé en 2021).
  • la limite de durée très courte des projets soutenus pour produire des résultats (12 à 24 mois). La temporalité particulière de la recherche participative n’est pas ici prise en compte.