Dans la peau d’un politique

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mercredi 5 juillet 2006

Miniature

Imaginez un instant, pour reprendre une suggestion d’actualité, que vous vous retrouviez dans la peau d’un décideur politique de premier rang – ministre, sénateur, député… Imaginez ensuite que vous soyez issu d’une grande école (l’ENA ou Polytechnique par exemple) et que vous ayez subi un certain « formatage ». Imaginez enfin que vous ayez d’importantes décisions à prendre sur un sujet comme la dissémination dans l’environnement et dans l’alimentation des plantes génétiquement modifiées (PGM).Bien calé dans votre noble rôle de serviteur de l’Etat investi de l’éminente charge de conduire la Nation, vous voudrez alors vous montrer particulièrement judicieux. Vous vous informerez par la lecture des ouvrages et des dossiers les plus sérieux, vous vous ferez conseiller par les personnes les plus compétentes et vous porterez une oreille attentive à l’opinion du public (sinon à l’opinion de ceux qui vous ont élus).

Vous emprunterez spontanément (comme on vous l’a appris) la voie royale des discours officiels, ceux des Instituts Nationaux (INRA, Commission du Génie Biomoléculaire (CGB), Commission du Génie Génétique (CGG), Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA), Académie des sciences…). Et vous vous mettrez à l’écoute des acteurs de terrain (généticiens, biologistes, agronomes, industriels) impatients, pour la plupart, de voir leurs constructions génétiques quitter le confinement des labos.

A partir de là, votre horizon sur la question des PGM s’ouvrira sur un large consensus qui vous rendra la tâche aisée. Mais, à peine aurez-vous franchi cette ligne que votre ciel se couvrira soudain de sombres nuages. Une opposition sourde tonnera dans le lointain. Des obscurantistes, vous dira-t-on. Des rétrogrades, des irresponsables – des violents ! Rassuré d’avoir a priori raison face à ces agitateurs, vous vous remettrez à vous bercer d’espoir. Or, un peu plus loin, c’est la grêle qui vous tombera dessus : 78% de la population française, 20 conseils régionaux sur 22, des centaines de maires, des dizaines de syndicats et d’associations, tous opposés à la dissémination des PGM ! Des rétrogrades ? Les compagnies d’assurance vous feront savoir qu’elles refusent d’assurer les risques introduits par ces chimères. Des irresponsables ? Et ces milliers de gens qui osent braver la justice en allant faucher – en plein jour !- les précieuses cultures « expérimentales » de nos bienveillantes transnationales. Des fous ? Même les distributeurs des grandes surfaces s’y seront mis, apprendrez-vous…

Tachant de garder la tête claire, vous vous ressaisirez. Allons, pourquoi un tel rejet ? Les scientifiques ne vous ont-ils pas dit que ces plantes ne comportaient aucun danger ?… A ce moment, vous manquerez de trébucher. Car un rapport vous arrivera. Puis deux, puis trois, puis toute une série. Vous apprendrez que très peu d’évaluations sérieuses sont effectuées. Que la plupart des analyses des commissions d’évaluation sont faites à partir, uniquement, des données incomplètes fournies par les industriels des biotechnologies, et que, quand par hasard ces données révèlent des effets nocifs, elles sont immédiatement balayées à coup d’arguments fallacieux. Vous apprendrez que la trangénèse (méthode de transfert de gènes d’un organisme à un autre) est bien plus incertaine qu’on vous l’avait dit – qu’elle peut provoquer des désordres physiologiques bien plus facilement qu’il n’avait semblé, désordres qui peuvent avoir des conséquences importantes sur la santé. Mais aussi, qu’avec les visées qu’on donne aux chimères ainsi obtenues, on menacerait directement la biodiversité, et, au-delà, des écosystèmes entiers dont la destruction pourrait avoir des conséquences socioéconomiques catastrophiques. Obscurantistes, rétrogrades… On ne peut pas, à la fois, réclamer l’augmentation des budgets de la recherche publique, exiger la prise en compte des dernières découvertes en biologie et l’application de méthodes expérimentales plus strictes, être soi-même chercheur (et, parfois, de renom) – qui à l’INRA, qui à la CGB, qui au CNRS – et être obscurantistes ou rétrogrades. Qui sont ces scientifiques qui tentent de s’opposer à la grande vague des biotechnologies ? Quels sont leurs intérêts ? L’intérêt général ? Impossible : l’intérêt général consiste à nourrir la planète avec des PGM. Ce sont les essaims de lobbyistes de l’agro-industrie qui vous l’auront maintes fois répété ! Votre esprit n’y verra plus très clair. Et quand on vous annoncera enfin que la loi OGM que vous vous apprêtez à voter, ou que vous incitez vos collègues à voter, dans les semaines à venir est une loi pernicieuse, car elle laisse croire qu’une coexistence entre PGM et plante non manipulée est praticable – alors que les Etats-Unis, le Canada et l’Espagne ont déjà fait largement l’expérience du contraire -, il ne vous restera plus que deux alternatives : ou vous changerez d’avis et vous vous rangerez du côté de vos opposants (les « anti-OGM »), ou vous aurez le cynisme de vous appuyer sur l’intime et /irréaliste/ conviction que cette technologie, toute dangereuse qu’elle puisse être, gardera toujours un avantage irrésistible : celui de conférer à notre pays un pouvoir nouveau de domination sur les autres.

texte de Juan Roy de Menditte, paru dans Politis