Entre lobbies et intérêt général, les sénateurs doivent choisir leur camp sur les questions d’expertise et d’alerte

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jeudi 11 octobre 2012

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Communiqué de la Fondation Sciences Citoyennes du 11 octobre 2012

Le 15 octobre prochain, la proposition de loi relative à la création de la Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte en matière de santé et d’environnement sera présentée en première lecture en séance publique au Sénat. Cette proposition a été déposée sur le bureau du président de la chambre haute le 28 août dernier par Marie-Christine Blandin pour le groupe écologiste du Sénat. Elle s’inspire des travaux de la Fondation Sciences Citoyennes et des recommandations de la Commission Lepage sur la gouvernance écologique.

La création d’une nouvelle structure, en l’occurrence d’une Haute Autorité, n’est pas sans soulever quelques réticences en période de diète budgétaire, particulièrement après la publication récente du rapport de l’inspection des finances sur les agences gouvernementales jugées coûteuses et avec des missions souvent floues. Soyons clairs : la Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte en matière de santé et d’environnement n’offrirait pas un point de chute doré à quelques amis du pouvoir et n’existerait pas pour réaliser une énième évaluation. Elle aurait la charge de définir et de contrôler les conditions de réalisation des expertises, un dispositif offrant bien plus de sécurité en matière de déontologie que les comités d’éthique dont se sont parées les agences sanitaires récemment. En effet, on peut en questionner l’utilité et l’efficacité dans la mesure où ils sont internes, donc facilement sujets aux influences et pressions diverses, et ne reposent pas sur une loi garantissant leur existence et leur fonctionnement.

Une telle initiative française pourrait constituer le premier pas vers une législation européenne qui éviterait les comportements erratiques et en proie aux conflits d’intérêts d’agences européennes qui devraient être au-dessus de tout soupçon. La publication de l’étude sur la toxicité d’un maïs génétiquement modifié (le NK603) et d’un herbicide (le Roundup) par le Pr Gilles-Éric Séralini et son équipe le 19 septembre dernier ainsi que son évaluation par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA, EFSA en anglais) vient nous le rappeler. Et pour cause, l’AESA s’est faite épingler cette année en raison des conflits d’intérêts de la présidente de son conseil d’administration (qui a démissionné depuis), Diana Banati. En effet cette dernière faisait également partie du Conseil des Directeurs de l’International Life Science Institute Europe (ILSI), un lobby regroupant de nombreuses multinationales des industries pharmaceutique, agro-chimique et agro-alimentaire dont notamment BASF, PepsiCo, Unilever ou encore Syngenta et bien sûr Monsanto. Précisément, l’AESA, adepte du deux-poids-deux-mesures, aurait dû utiliser les résultats des travaux de Gilles-Éric Séralini et son équipe pour a minima se poser des questions sur les études précédentes (menées sur des durées trop courtes et des sur des effectifs d’animaux
insuffisants) ayant pourtant conduit aux autorisations de mise sur le marché d’OGM fabriqués par Monsanto. Bien au contraire, celle-ci œuvre en faveur du lobby pro OGM comme lors d’une téléconférence le 28 septembre avec des représentants de quelques états membres (Belgique, Pays-Bas, France et Danemark) en réfléchissant aux moyens de faire pression auprès de l’éditeur de la revue scientifique où Gilles-Éric Séralini et ses collègues ont publié leur étude afin d’en obtenir le retrait (http://gmwatch.org/index.php?option=com_content&view=article&id=14269:belgium-offers-to-pressure-journal-editor-over-seralini-study). Le départ de Madame Banati a t-il réglé tous les conflits d’intérêt impliquant l’AESA ? On peut légitimement se poser la question.

On le voit, l’Europe n’est pas aujourd’hui en mesure de garantir des processus d’évaluation fiables (même si, de toute évidence, c’est précisément à l’échelle européenne qu’il faudra travailler à l’avenir). Une loi au niveau national constituerait déjà une avancée majeure en France et un point d’appui non négligeable pour un passage éventuel au niveau européen. Une loi encadrant l’expertise et l’alerte aurait également un effet salutaire sur le grand public et les consommateurs qui oscillent entre peur liée aux conséquences éventuelles sur la santé de telle ou telle innovation et défiance vis-à-vis des liens (et donc de la collusion supposée) entre pouvoir politique et grands groupes industriels.

L’affaire du Médiator a mis en lumière le lobbying intense auprès des pouvoirs publics du laboratoire Servier, le fabricant, pour assurer la pérennité de la commercialisation de ce médicament tueur. Espérons que les sénateurs resteront insensibles à celui que mène actuellement l’ensemble du lobby technoscientifique pour faire capoter une loi qui placerait l’intérêt général, celui de la population, avant les intérêts commerciaux des industriels. Certaines manoeuvres qui se sont produites au sein de la commission du développement durable du Sénat le 9 octobre lors du vote du rapport de la loi doivent nous inciter à la plus grande vigilance

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