Robert Gosseye : vétérinaire, fonctionnaire, lanceur d’alerte, placardisé depuis 18 ans pour s’être confronté à un système de corruption des services vétérinaires en Alsace

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jeudi 23 février 2012

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Vendredi 24 février 2012, la Cour d ‘Appel du Tribunal Administratif de Nancy examinera l’appel de Robert Gosseye contre un jugement rendu par le Tribunal Administratif de Strasbourg le 16 février 2011 relatif au non respect de l’article 41 de la loi du 11 janvier 1984 sur la mise à disposition d’un fonctionnaire d’Etat (1).

Pourtant, les pièces présentées par Robert Gosseye au tribunal montraient que la mutation sanction dont il a été victime s’est accompagnée, contrairement à ce que mentionne cette loi, d’une dégradation, au sens propre du terme, ainsi que d’une réduction significative de ses attributions et de ses responsabilités en le cantonnant à des activités étrangères à sa qualification d’origine.

Robert Gosseye a pris tous les risques pour préserver la santé publique en révélant un système de corruption au niveau des services vétérinaires en Alsace. Il l’a payé par une succession d’humiliations personnelles et professionnelles infligées par son administration de tutelle alors que les corrompus, eux, n’ont jamais été inquiétés.

 

Rappel des faits (2)

En mars 1986, Robert Gosseye arrive à la Direction des Services Vétérinaires (DSV) du Haut-Rhin pour occuper la fonction de directeur adjoint en santé animale, chargé de l’inspection de la santé animale.

En tant qu’inspecteur vétérinaire chargé de l’inspection de la santé animale, la mission de Robert Gosseye est de s’assurer non seulement de la bonne santé des animaux vivant sur le territoire français mais aussi de ceux qui transitent par la frontière avec l’Allemagne et la Suisse, provenant entre autres des pays de l’est et de la Grande Bretagne. Lorsqu’un animal est reconnu sain, un « certificat sanitaire » est remis à la personne qui l’accompagne et lui permet de circuler, à la guise de l’exportateur ou de son nouveau propriétaire. Dans le cas contraire, il est refoulé afin d’éviter toute contamination du cheptel français.

Au printemps 1987, Robert Gosseye apprend qu’un troupeau de chevaux est entré illégalement en France avec des certificats sanitaires allemands, alors qu’ils proviendraient de Pologne, un pays hors de la Communauté européenne où les règles sanitaires ne sont pas les mêmes. Importés pour aller à l’abattoir, ils seraient revendus comme chevaux de selle. Or, il y a un risque de transmission d’anémie équine.

Il découvre qu’effectivement, ces chevaux n’ont pas passé plus d’un an en Allemagne, délai de séjour minimum nécessaire à l’obtention d’un certificat sanitaire portant mention du pays. A l’automne suivant, il intercepte un laissez-passer sanitaire d’importation de six chevaux en provenance de « Warschau » en République Fédérale d’Allemagne, grossier

maquillage pour camoufler une importation de Varsovie (Warschau en allemand). Une autre fois, ce sont des génisses hongroises destinées à l’Espagne qui transitent par l’Alsace pour obtenir le précieux sésame.

Robert Gosseye a mis ainsi à jour une pratique de corruption dans les services vétérinaires en Alsace. L’inspection vétérinaire en douane étant une mission de service public, elle devrait être gratuite pour l’importateur, or celui-ci doit payer des frais vétérinaires. Des vétérinaires, payés par l’Etat en qualité de vacataires pour effectuer des contrôles aux frontières, facturent en plus aux transporteurs leurs interventions, ces sommes pouvant atteindre 200 000 francs (environ 30 000 euros) par mois. Robert Gosseye en informe sa hiérarchie à Paris le 5 novembre 1991, y compris le directeur général de l’Alimentation. On lui rétorque que c’est de la calomnie et de la diffamation.

Il continue de mettre en évidence ces pratiques. Ainsi, quatre vétérinaires libéraux chargés des contrôles des animaux vivants ou des carcasses aux postes frontières réclamaient aux importateurs une rémunération qui s’ajoutait à leurs vacations payées par l’Administration, soit plus de 5 millions de francs (environ 760 000 euros) pour la seule période 1989-1992.

Robert Gosseye ayant continué d’alerter sa hiérarchie devant ces faits de corruption, la réponse de celle-ci a été de le sanctionner. Le 1er mars 1994, Robert Gosseye est suspendu de ses fonctions par arrêté du ministère de l’agriculture et de la pêche. Le 17 juin 1994, il passe en conseil de discipline pour « avoir gravement manqué à ses obligations professionnelles ».

Il est alors muté à Besançon et confiné à des tâches n’ayant rien à voir avec sa qualification, puis placardisé à la répression des fraudes, d’abord à Belfort puis à Strasbourg où il est encore, et où il contrôle les activités des artisans du bâtiment. Les corrompus n’ont jamais été sanctionnés. De nombreux articles de presse ont rendu compte de son action, sans être jamais démentis, et sans que la situation kafkaïenne de Robert Gosseye ne change (3).

Pour une loi de protection de l’alerte et de l’expertise

C’est le sens du procès de Nancy : obtenir une requalification et la reconnaissance de la légitimité de l’action menée par Robert Gosseye pour protéger la santé publique. Plus largement, le cas de Robert Gosseye montre la nécessité de protéger les lanceurs d’alerte. Il est anormal que ceux qui prennent le risque de mettre en évidence des dysfonctionnements préjudiciables à la santé publique et l’environnement se voient sanctionnés.

La proposition de loi défendue par la Fondation Sciences Citoyennes répond à cet objectif en créant un statut du lanceur d’alerte et une Haute Autorité de l’Alerte et de l’Expertise (4).

Robert Gosseye : vétérinaire, fonctionnaire, lanceur d’alerte, placardisé depuis 18 ans

Contacts

Fondation Sciences Citoyennes

Jacques Testart : 01 43 14 73 65

Christophe Morvan : 06 32 67 06 71

Réseau Environnement Santé

André Cicolella : 06 35 57 16 82

Soléane Duplan : 06 70 07 84 87

 

 

 

(1) Loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat.

(2) D’après le livre Alertes Santé de André Cicolella et Dorothée Benoît-Browaeys (enquête de Camille Saïsset)

(3) Notamment : Jeunes agriculteurs, Des génisses internationales dans notre département !, La Terre de Chez nous, 1990 ; Malheur à celui par qui le scandale arrive, L’Alsace, le 8 juin 1994 ; Leucose en transit, un trafic de bovins malades découvert à Huningue, L’Alsace le 30 janvier 1992 ; Boeufs en fraude, comment des vétérinaires ont laissé passer de la viande sans contrôle, Valérie Trierweiler, Paris Match, 15 avril 1996 ; Vaches folles et « bêtes nuisibles », Joël Mamet, Est Républicain du 5 novembre 1996.

(4) Projet de loi : https://sciencescitoyennes.org/wp-content/uploads/2010/11/Loi-LA.pdf

Fiche descriptive : https://sciencescitoyennes.org/risques-et-lanceurs-dalerte/