Réponse au rapport parlementaire sur les perturbateurs endocriniens dans les plastiques

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mercredi 22 janvier 2020

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Une réponse écrite par Jérôme Santolini, chercheur en Biologie, administrateur de Sciences Citoyennes, membre de « Cantine Sans Plastique France » et coauteur du livre « Pas de plastique dans nos assiettes – des perturbateurs endocriniens à la cantine » 

Il y a quelques jours, les député.es Claire Pitollat et Laurianne Rossi présentaient en grande pompe le rapport de leur mission d’information parlementaire sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique. En écho aux annonces officielles et médiatiques (vidéos, articles…), le rapport souligne avec emphase l’urgence de la situation, l’ampleur de la crise sanitaire.

Une simple lecture des têtes de chapitre, de l’introduction et de la conclusion donne le ton général de ce rapport :
« INTRODUCTION
Les perturbateurs endocriniens ne doivent en aucun cas être banalisés. C’est pourquoi les populations les plus vulnérables doivent être protégées en priorité
Nous ingérerions cinq grammes de plastiques, soit l’équivalent d’une carte de crédit, chaque semaine, à travers notre alimentation ; tout tend à démontrer chaque jour davantage la présence ubiquitaire des matières plastiques, qui circulent sur de très grandes distances par la voie des fleuves et des océans mais aussi par la voie des airs
I. TRÈS PRÉOCCUPANTE, L’EXPOSITION AUX PERTURBATEURS ENDOCRINIENS PRÉSENTS DANS LES CONTENANTS EN PLASTIQUE CONSTITUE UN ENJEU MAJEUR DE SANTÉ PUBLIQUE
A. LES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS PRÉSENTS DANS NOTRE ENVIRONNEMENT ONT DE NOMBREUX EFFETS NÉFASTES SUR LA SANTÉ
B. LES CONTENANTS EN PLASTIQUE SONT UNE SOURCE TRÈS IMPORTANTE D’EXPOSITION, PAR LA MIGRATION DE SUBSTANCES À CARACTÈRE PERTURBATEUR ENDOCRINIEN DU CONTENANT VERS LE CONTENU
1. De nombreux perturbateurs endocriniens sont présents dans les plastiques
II. UNE PRISE DE CONSCIENCE RELATIVEMENT RÉCENTE QUI DOIT S’ACCÉLÉRER FACE À L’URGENCE
A. UNE RÉGLEMENTATION QUI A ÉVOLUÉ MAIS RESTE TRÈS LACUNAIRE
III. LA LIMITATION DE L’EXPOSITION AUX PERTURBATEURS ENDOCRINIENS EST UN IMPÉRATIF DONT LES POUVOIRS PUBLICS ET LA SOCIÉTÉ DANS SON ENSEMBLE DOIVENT SE SAISIR

CONCLUSION

En conclusion, vos rapporteures alertent sur le caractère très préoccupant de l’exposition généralisée de la population aux perturbateurs endocriniens… Il est donc urgent d’agir sur ceux des contenants que nous utilisons quotidiennement et qui présentent le plus d’impacts : alimentaires, cosmétiques et pharmaceutiques….. Il est désormais établi que l’exposition à ces perturbateurs endocriniens entraine des pathologies graves… La France doit être fer de lance dans la lutte contre l’exposition aux perturbateurs endocriniens… il est plus que temps d’agir car les effets des perturbateurs endocriniens peuvent être irréversibles, les affecter leur vie durant et parfois se transmettre à leur descendance.

Ce rapport reprend en substance des éléments qui ont été maintes fois publiés par les lanceurs d’alerte et les associations de défense de santé environnementale. Il est utile que les parlementaires relaient, au travers de cette mission d’information, les éléments portés à leur connaissance, afin en particulier d’alerter leurs collègues parlementaires et le gouvernement sur la nécessité d’agir au plus vite.

En tête de ce rapport, les parlementaires proposent 48 mesures pour se saisir de cette urgence. Plus précisément 48 recommandations… qui ne sont en fait pas des mesures. 6 axes de recommandations qui traduisent l’impuissance politique :

  • Renforcer la réglementation européenne.

Ces 16 recommandations, en lien avec les demandes des associations, n’ont aucune portée, au contraire : 1) la réglementation européenne n’est pas de la compétence de l’Assemblée Nationale et constitue de fait un vœu pieux ; 2) le processus réglementaire européen s’étale sur plusieurs années là où le rapport alerte sur l’Urgence de la situation ; 3) la réglementation européenne sur les perturbateurs endocriniens est bloquée depuis 2008, illustrant les failles du système de réglementation européen. Déléguer une prérogative nationale à une autorité européenne lente, défaillante et inefficace et est une faute politique.

  • Accentuer les efforts de recherche

Depuis 20 ans la communauté scientifique a accumulé de très nombreuses évidences sur la nature et les effets pathologiques des perturbateurs endocriniens. Il n’y a pas besoin de recherche supplémentaire pour statuer sur la dangerosité de nombreux additifs et plastiques et les interdire. Le faire croire, c’est ajouter de la confusion supplémentaire à celle que les lobbys et autres groupements d’intérêts entretiennent dans le but de freiner toute forme de réglementation. C’est utiliser la Science comme la justification d’une inaction politique qui retarde d’autant la mise en place de mesures urgentes. On peut également s’interroger sur raison qui pousse à confier à une plateforme public/privé (constituée des principaux industriels producteurs de perturbateurs endocriniens) l’autorité de « contrôle » des perturbateurs endocriniens…

  • Développer la recherche pour préserver les milieux et la biodiversité

De la même façon, le rapport ébauche des axes de recherche que scientifiques et associations ont déjà balisés et réclamés. Des axes ici forcément très généraux, vagues, fourre-tout. Là encore, ce n’est pas aux politiques de définir quels sont les axes de recherche nécessaires – c’est bien loin de leur compétence. La société attend d’eux d’apporter des solutions opérationnelles pour soutenir associations et chercheurs (financement, incitation des agences…).

  • Suivre précisément le devenir des additifs lors du recyclage

Alors que de nombreux experts pointent l’impossibilité de suivre plastiques et additifs au travers de plusieurs dizaines/centaines de filières de recyclage, la présentation de cet axe semble valider le concept de recyclage et d’économie circulaire adapté au plastique comme une solution. C’est un point contre lequel se battent les associations, tant en santé environnementale qu’en pollution environnementale: le plastique ne se recycle pas. Il y a donc une contradiction manifeste à souligner le danger des additifs, la difficulté de traçabilité de ces additifs et « en même temps » demander de renforcer la filière du recyclage.

  •  Substituer en toute sécurité

5 recommandations qui ne font qu’effleurer la problématique et souvent ne correspondent pas aux enjeux annoncés (dispersion des microplastiques, renforcement des contrôles…). La substitution des plastiques EST la question centrale dans une politique de sortie du plastique. Il semble que les rapporteurs n’en aient pas saisi l’importance, ou aient choisi de ne pas en faire une priorité, de ne pas mettre d’obstacles à la production de plastique.

  • Former, informer et sensibiliser

Cet axe de 11 recommandations révèle toute l’impuissance et toute la manœuvre politicienne de cette Mission d’Information. Les députés semblent découvrir une problématique – les perturbateurs endocriniens – qui a émergé dans l’espace public il y a près de 30 ans et qui est relayée inlassablement depuis 15 ans par scientifiques, lanceurs d’alerte et ONGs. La mission des pouvoirs publics n’est pas d’informer mais de s’informer d’une réalité qui semble leur avoir échapper. A l’inverse, alors que les citoyens/consommateurs ont peu d’alternative pour modifier leurs habitudes de consommation, les parlementaires font porter l’essentiel des changements sur les pratiques des citoyens. Non seulement les parlementaires se défaussent de leurs responsabilités, mais ils en font porter la charge sur les principales victimes. Les citoyens n’ont pas besoin d’être informés ou sensibilisés, ils le sont. Ils ont juste besoin d’un système qui leur permette de mettre leur pratique en accord avec leurs connaissances et leurs convictions. A la place ils subissent une injonction paradoxale qui fait porter la responsabilité sur les individus tout en les enfermant dans des pratiques qu’ils ne peuvent éviter. Avec en arrière-plan, le désastre sanitaire lié à la contamination par les perturbateurs endocriniens dont ils paient déjà le prix fort.

Ce rapport plastique – perturbateurs endocriniens se révèle ainsi un non-évènement politique. La mission s’est contentée de relayer une alerte connue depuis des décennies. Le rôle des politiques n’est-pas de lancer des alertes : les citoyens, les associations s’en chargent déjà suffisamment dans l’espace public. La mission des politiques n’est pas de faire de la communication, mais de la politique. Or les propositions sont un déni de politique. 48 mesures de communication qui n’engagent en rien et font porter sur des tiers la nécessité de l’action : l’UE, les chercheurs, les agences, les citoyens…

Cette attitude semble être dans le logiciel de la gouvernance moderne qui refuse de gouverner, orienter, réguler, qui transforme l’espace politique en espace marchand, les citoyens en consommateurs.

Ici pourtant la solution aurait été simple : interdire les contenants en plastique à l’hôpital, au moins en pédiatrie. Interdire les contenants en plastique dans les établissements publics. Si ces plastiques sont aussi dangereux que la Mission d’Information le souligne, pourquoi ne pas proposer de l’interdire, comme la députée Rossi l’a déjà fait dans le cadre des cantines scolaires.

Pourquoi attendre ?

Ce refus d’agir met les individus, parents et citoyens, dans une situation intenable. Pris entre les discours d’alerte qui viennent souligner de façon de plus en plus alarmante le désastre sanitaire en train de s’accomplir et l’incapacité de pouvoir faire quoique ce soit pour se protéger et protéger ces proches. Avec en surplomb, un discours qui vient faire porter tout le poids de cette crise sur leurs épaules. Par ce genre de missions, les pouvoirs publics freinent tout changement, ôtent aux citoyens toute capacité d’action, tout en les désignant comme seuls responsables.

A l’inverse, les principaux responsables de cette crise sanitaire, avec les pouvoirs publics, sont aimablement épargnés et laissés dans l’ombre. Là encore, les industriels de l’agrochimie, pétrochimie, cosmétique ne peuvent nier avoir eu connaissance depuis longtemps d’une situation dramatique et des risques qu’ils font courir aux populations. A la place d’un comportement responsable, éthique, moral, la principale action des industriels face à cette crise sanitaire a été de préserver un statu quo au moyen de tactiques d’influence politique, tant au niveau européen que national. Plutôt que de remettre les industriels en face de leur responsabilité, les pouvoirs publics continuent à préserver leurs intérêts (symboliques et financiers). Comment ne pas crier au scandale quand le plan Stratégie Nationale contre les Perturbateurs Endocriniens soutient la mise en place d’une plateforme public-privé de Pré-validation des méthodes d’essai pour caractériser les Perturbateurs EndocRiniens (PEPPER). Cette plateforme, encore soutenue par la Mission d’information Plastique/PE, laisse aux industriels pollueurs – qui pilotent les comités de préconfiguration et d’opportunité – la  liberté de définir eux-mêmes quel composant serait ou non un perturbateur endocrinien. Demanderait-on aujourd’hui aux Industriels du tabac de déterminer si fumer est bon pour la Santé ?

Il y a non seulement un déni de politique mais une faute morale. Car il ne s’agit pas juste de jeux politiciens ; il s’agit de la santé, de vie de millions d’enfants, d’hommes et de femmes. Le résultat de ces tergiversations, de cette diversion vers des voies de garage (réglementation, recherche ….), de la culpabilisation des individus et de la complaisance avec les industriels est une perte de temps inacceptable qui a un coût sanitaire. Cout sanitaire qui se chiffre en maladies, morts, autant de tragédies humaines que connaissent parfaitement les députés responsables de ce rapport.