L’Université de l’Etat du Rio Grande do Sul

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lundi 26 janvier 2004

Miniature

Comme de nombreux autres pays d’Amérique latine, le Brésil a toujours considéré la formation des élites comme un élément clé dans le processus de construction d’un Etat-nation, puis dans les efforts de sortie du « sous-développement ». Au cours des dernières années, dans un contexte de désengagement général de l’Etat vis-à-vis de l’éducation, c’est encore l’enseignement supérieur, facteur supposé de compétitivité sur le marché mondial, qui s’en sort le mieux, au détriment des écoles primaires et de l’enseignement général. Les universités publiques brésiliennes, qu’elles soient gérées au niveau fédéral ou au niveau des Etats (ceux de Rio de Janeiro et de São Paulo notamment), sont donc caractérisées par une forte sélection, qui oblige de nombreux étudiants à se tourner vers les établissements privés. Comme n’importe qui ou presque peut créer une université au Brésil, ce secteur privé est lui-même d’une grande diversité, la principale ligne de partage passant entre les universités à but lucratif et celles à but non lucratif (dites « université communautaires »), en particulier les grandes universités catholiques, qui se retrouvent dans la plupart des Etats brésiliens.

C’est dans ce contexte que la création, en complément de l’université fédérale et des universités privées déjà existantes dans la région, de l’Université de l’Etat du Rio Grande do Sul (UERGS) fut approuvée en juin 2001 par l’Assemblée législative de cet Etat, le plus méridional du Brésil, à la frontière de l’Argentine et de l’Uruguay. Les cours ont commencé début 2002. Cette décision, réclamée depuis 15 ans par une partie des intellectuels et du secteur associatif local, fut le résultat d’une processus participatif intense. Le financement de l’université par l’Etat fut approuvé par la population à travers le « budget participatif » (1), dispositif déjà expérimenté depuis 1989 à Porto Alegre, la capitale du Rio Grande do Sul, et dans de nombreuses autres villes du Brésil, et étendu au niveau de l’Etat depuis 1999. La conception et la structure de l’UERGS fut ensuite discutée au cours de 50 audiences publiques dans les 22 régions de l’Etat, avec la participation de plus de 15 000 personnes. Y furent également associés les représentants des municipalités, ainsi que les universités contrôlées par le gouvernement fédéral, des universités privées ou communautaires, des agences gouvernementales, ainsi que des mouvements sociaux.

Dans la lignée de ce principe de participation sociale, le recteur de l’Université est assisté dans sa tâche par un Conseil Supérieur de l’Université (CONSUN) constitué d’une part du recteur et de ses vice-recteurs (qui devront à terme être élus directement par la « communauté universitaire ») et d’autre part de représentants des pouvoirs publics et de la société civile (représentant du pouvoir exécutif d l’Etat, représentant de l’association des maires, délégué du Conseil du Budget Participatif, etc.). La nécessité de passer par le processus du budget participatif pour s’assurer de la continuité des financements de l’Etat représente également un élément fort de contrôle démocratique.

Quels savoirs pour quel développement ?

L’objectif de l’UERGS n’est pas d’entrer pas en concurrence avec les universités déjà existantes en offrant des cursus « classiques », comme la Médecine ou le Droit, pour lesquels existe déjà une offre abondante. Son projet académique se décline en deux objectifs intimement liés :

* Proposer des cours liés à la promotion d’un développement durable de l’Etat, en prenant en considération la vocation économique et la réalité de la région dans laquelle ces projets seront implantés, tout en la reliant aux problématiques globales à travers la participation à des réseaux de recherche nationaux et internationaux. Les gouvernements précédents de l’Etat avaient opté pour une politique de développement basée sur la « modernisation » de l’économie dans un souci de compétitivité sur le marché mondial, au détriment en particulier de l’agriculture familiale, base économique historique de la région. Cela se traduisait, dans le financement de la recherche, par la priorité donnée à des activités de pointe déconnectées du tissu économique et social existant. Le nouveau gouvernement a préféré une approche axée sur les ressources et les spécificités locales.

* Contribuer à l’amélioration de la qualité de la vie de la population en produisant, avec les communautés concernées et en se basant sur leurs propres savoirs et expériences, des connaissances qui puissent se traduire en solutions concrètes aux problèmes qui les affectent et qui empêchent l’exercice d’une pleine citoyenneté.

Les premiers cursus mis en place traitent notamment de la formation des professeurs, de la gestion publique et environnementale, de l’agro-industrie et de la santé publique. Ces cours seront organisés conjointement par les professeurs, les communautés et les organisations locales concernées. Trois modules d’enseignement seront communs à tous les cursus : la prise en compte de l’environnement, les langues étrangères, les pratiques coopératives.

A terme, l’UERGS devrait également être amenée à intégrer en un même réseau les structures publiques de recherche (instituts, écoles techniques) déjà existantes au niveau de l’Etat. Elle représente en ce sens une tentative de consolider les interventions de l’Etat en un seul projet qui intègre la recherche, l’enseignement, l’innovation et le développement.

Structure

L’UERGS aura une structure décentralisée, composée de plusieurs campus, avec une implantation d’unités d’enseignement dans 29 villes de toutes les régions de l’Etat, en privilégiant les zones les plus faibles économiquement. Deux tiers de ces unités étaient en activité dès les débuts de l’université, le reste devant être mis en service progressivement jusqu’à la fin de l’année 2003. En plus de ses propres unités, l’UERGS pourra utiliser d’autres locaux grâce à des accords conclus avec les universités communautaires, les municipalités et structures publiques déjà existantes. Elle assurera également un enseignement à distance.

La première année, 1720 places seront disponibles pour les étudiants, avec pour objectif d’atteindre 4000 places en quatre ans. 50% de ces places seront destinées à des étudiants défavorisés et 10% à des étudiants handicapés. L’admission se fera par sélection publique (par un examen similaire à celui des autres universités brésiliennes, le « vestibular »), en tenant compte non seulement des capacités intellectuelles du candidat, mais aussi de sa « situation socio-économique ». Cette politique volontariste d’accès des étudiants pauvres aux études supérieures, en particulier ceux issus des zones rurales, a également pour objectif de consolider, à long terme, une dynamique d’échange et de coopération entre les savoirs académiques et les savoirs populaires.

Pendant le cursus, les étudiants doivent effectuer des stages au sein d’entreprises, municipalités et secteurs publics ayant passé un accord avec l’Université, assurant ainsi une partie du financement nécessaire. Les problèmes soulevés pendant cette activité pratique orienteront les recherches que l’étudiant pourra mener dans les laboratoires de l’UERGS, recherches qui seront statutairement collectives, pour éviter les tentations individualistes de professeurs-mandarins.

Sous tous ces aspects, il s’agira de promouvoir un autre paradigme pour la science et la technologie, qui ne se réduise plus à la production intensive de connaissances et de technologies pour le marché, mais qui soit partie intégrante de la construction d’une citoyenneté concrète et globale.

= »spip »>Encore en phase de démarrage, l’UERGS reste toutefois fragile, dans la mesure où elle apparaît encore trop liée à la présence d’un parti politique aux manettes de l’Etat. Son projet reflète-t-il encore des priorités politiques de développement décidées d’en haut, ou bien est-il le fruit d’un débat au niveau de la société et de la communauté universitaire ? Cette question décidera de sa pérennité. On a vu ainsi les tensions entre l’université et les autorités publiques se multiplier suite à l’alternance politique de la fin de l’année 2002, alors que, de son côté, le dispositif du budget participatif a été maintenu tel quel, grâce à une plus grande légitimité sociale.

Fiche rédigée par Olivier Petitjean.

Contact : Universidade Estadual do Rio Grande do Sul (UERGS)
Av. Borges de Medeiros, 1501 – 14° andar
90119-900 Porto Alegre – Brésil
E-mail : uergs@via-rs.net
Site internet : http://www.uergs.rs.gov.br

NOTES
(1) Pour en savoir plus, on peut consulter Genro et De Souza, 1998, ainsi que : Gret et Sintomer, 2002.