L’oubli de la santé environnementale

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mardi 16 septembre 2003

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Après la catastrophe de la canicule, il est curieux que le rapport Lalande reste muet sur le rôle de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement. La mission Lalande vient de rendre son rapport sur les leçons à tirer de la gestion de la crise de la canicule par les autorités sanitaires. Un premier point étonnant est que la lettre de mission n’ait été signée que par le seul ministre de la Santé, alors que le ministre de l’Environnement est pourtant officiellement en charge de la santé environnementale. Température + hygrométrie + pollution… la crise de la canicule est un problème de santé environnementale !La dimension expertise n’est abordée qu’à partir de la veille sanitaire. L’Institut de la veille sanitaire (InVS) est mis en cause pour n’avoir pas mis en place un dispositif suffisamment performant pour déceler les premiers signes de cette épidémie. Lui-même répond qu’il n’a été alerté que le 6 août via un médecin de la Ddass, alors que la vague est identifiée comme survenant entre le 15 juillet et le 15 août. Autant dire que chercher à affiner la veille sanitaire à partir de l’arrivée des premières victimes est dans ce type de crise inopérant. C’est comme si on demandait à la météo nationale de mettre en place un dispositif de prévision des pluies sur la base des observations des premières gouttes !

Le rapport Lalande pointe qu’historiquement l’InVS est plus tourné vers l’analyse a posteriori que vers l’intervention a priori. C’est logique dans la mesure où la démarche épidémiologique s’est construite à partir des épidémies infectieuses. Certes, il est difficile de prévoir une épidémie infectieuse autrement qu’en repérant les premières victimes, comme cela est fait avec les épidémies de grippe ou plus récemment, avec succès, dans le cas du Sras. Mais avec la canicule, il s’agit de facteurs environnementaux et on peut espérer une meilleure anticipation. Il est curieux que le rapport ne s’interroge pas sur la faiblesse de la sécurité sanitaire environnementale en France. Il est pourtant légitime de se poser la question : de quels indicateurs a-t-on besoin pour prévoir une telle épidémie ? La météo canadienne intègre par exemple dans ses prévisions données au public l’indicateur Humidex basé sur la température et l’hygrométrie. Comment intégrer les aspects pollution dans ces indicateurs dont la synergie avec la température a pu être observée ? Le rapport Lalande est muet sur le rôle de l’agence dont c’est la mission, l’ Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement (Afsse) et dont les responsables ne figurent pas sur la liste des personnes auditionnées.

Le rapport pointe aussi l’inexistence de la recherche en France sur ce domaine. Est-ce parce que la France ne serait pas concernée ? Non, on apprend aujourd’hui que la vague de chaleur de 1976 a fait 3 000 morts et celle de 1983 4 700 morts… mais les chiffres n’ont été calculés que récemment ! Quelle est la part respective de la pollution, des médicaments et du facteur thermique ? C’est important si on veut agir à bon escient sur les facteurs de risque. L’exemple d’Athènes en 1988 a montré que l’arrêt de l’activité industrielle et de la circulation permettait d’éviter la crise. Ceci témoigne du désintérêt de l’appareil de recherche pour la thématique de santé environnementale. On pourrait faire une analyse semblable à partir de la crise de l’amiante sur le désintérêt vis-à-vis de la recherche sur les facteurs de risque professionnel. Il n’y a eu réaction qu’à partir du moment où les « vrais » morts ont été détectés, avec un seuil de détection plus élevé que pour la canicule (3 000 morts par an pour un coût global estimé de l’ordre de 100 000 morts en France).

Le rapport cite de nombreuses études américaines « pour les raisons habituelles de productivité scientifique ». La différence entre la France et les pays anglo-saxons vient aussi peut-être de la place des thématiques de recherche en santé environnementale dans les universités et, notamment, dans les écoles de santé publique. Si la France produit 4,7 % de la connaissance scientifique toutes disciplines confondues, elle n’en produit que 1,5 % dans le champ santé environnement, loin des 7,8 % de la Grande-Bretagne et des 43,10 % des Etats-Unis ! Un taux peu digne de la quatrième puissance mondiale. L’engagement dans la recherche est le garant de la qualité de la veille scientifique. La qualité de celle-ci est d’autant meilleure qu’elle est faite par des chercheurs travaillant sur le champ. La quasi-inexistence de ce thème de recherche en France est une raison de l’absence de compréhension par les autorités sanitaires des données publiées à l’étranger.

La loi de santé publique est en discussion. Il serait bon qu’elle tire les conséquences de cette crise de sécurité sanitaire tout comme des précédentes, autrement qu’en améliorant la collecte des causes de décès ! Ne serait-ce qu’en transformant le statut de l’Afsse pour en faire une agence de même niveau que celle dédiée à l’alimentation l’Afssa. Cette dernière est une agence de moyens dotée de 800 personnes alors que l’Afsse définie comme agence d’objectifs est bridée volontairement à quelques dizaines de personnes. Une telle agence rénovée aurait les moyens d’être le pôle capable de stimuler la recherche fondamentale et appliquée.

Il n’y a aucune raison de ne pas être optimiste. L’actuel ministre de la Santé devrait être réceptif au discours du député Jean-François Mattei, alors dans l’opposition, qui dénonçait avec beaucoup de conviction lors de la discussion du projet de loi de création de l’Afsse, celle-ci comme étant une coquille vide .

Article paru dans LIbération.