L’étude de Séralini sur les OGM : une controverse, même au sein de l’INRA

Par
mercredi 10 octobre 2012

Miniature

Tribune du Syndicat Sud-Recherche INRA, parue sur le site du Nouvel Observateur le 10 octobre 2012

L’étude de Gilles-Eric Séralini, dont la conclusion tend vers la toxicité des OGM, fait toujours polémique. Décriée par de nombreux chercheurs, elle fait aussi débat au sein de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Le syndicat SUD Recherche EPST branche INRA fait valoir ici sa position.

 

L’article récent de G.E. Séralini et de ses collègues, qui a été très médiatisé avec un message extrêmement alarmiste sur la toxicité des OGM, vient d’être jugé « insuffisant » par une première analyse de l’autorité européenne de sécurité des aliments (l’EFSA), dont il faut cependant rappeler que beaucoup contestent son autorité en matière d’expertise, en raison des conflits d’intérêt que certains de ses membres ont connu dans les années récentes. La veille, différentes organisations de la société civile appelaient à la transparence sur les études d’évaluation des risques des OGM et des pesticides sur la santé et l’environnement.

Sans cautionner la stratégie médiatique déployée autour de cette publication, et au-delà de ses résultats, qui continueront à être expertisés par la communauté scientifique dans les prochaines semaines, il nous semble intéressant de présenter notre regard sur la controverse actuelle en tant que syndicat SUD Recherche EPST présent à l’INRA.

Notre analyse s’inscrit dans la continuité de nos expressions précédentes sur ce sujet, dans lesquelles nous avons manifesté notre défiance envers l’utilisation des OGM en agriculture, en raison de leurs conséquences environnementales et sociales et du modèle économique qui leur est associé (privatisation des ressources génétiques), mais aussi parce que nous jugions que les risques sanitaires liés à leur consommation n’étaient pas évalués correctement.

 

Quelle évaluation des risques sanitaires ?

Notre première question concerne l’évaluation des risques sanitaires liés à la consommation d’organismes génétiquement modifiés et des herbicides qui les accompagnent. Dans une interview publiée le 22 septembre dans le journal « Le Monde », G. Pascal, ancien toxicologue à l’INRA désormais consultant pour des entreprises de l’agroalimentaire et qui bénéficie du titre exceptionnel de directeur de recherche honoraire à l’INRA, a déclaré que l’étude de Séralini présente de « très sérieuses lacunes, qui invalident ses résultats ».

Cependant, il conclut cette même interview par ces phrases : « Effectivement, il n’y a jamais eu d’étude de cancérogénèse liée aux OGM ni d’étude toxicologique à long terme (…) L’ampleur des travaux du professeur Séralini est donc sans précédent ».

Le mercredi 26 septembre sur l’antenne de France Inter, L.M. Houdebine, lui aussi directeur de recherche honoraire à l’INRA, déclarait au sujet du travail de Séralini que « la première impression est que c’est impossible parce que on voit pas comment du maïs qu’on mange depuis 5.000 ans puisse devenir cancérigène à ce point-là en faisant une transformation génétique des plus simples ».

Il est intéressant de considérer ces deux déclarations à la lumière d’une des recommandations en matière de santé proposée en 1998 dans le rapport parlementaire sur les OGM de J.Y. Le Déaut :

« S’il y a le moindre risque, même faible, de démontré concernant une plante transgénique, il ne doit y avoir en aucun cas, aucune importation, aucune mise en consommation, et aucune autorisation de mise en culture. »

Ainsi, alors qu’il était recommandé, dès 1998, de ne prendre aucun risque sanitaire avec les OGM, on comprend des déclarations citées ci-dessus de deux de leurs défenseurs les plus connus, que la puissance publique ne s’est jamais vraiment donné les moyens d’évaluer ces risques à long terme.

 

Quelle est l’impartialité des experts ?

Notre seconde question se rapporte à l’évaluation des nouvelles substances et des OGM. Sachant que presque tous les pesticides mis sur le marché après avoir obtenu une autorisation, sur présentation d’un dossier produit par le fabricant lui-même, finissent un jour ou l’autre par être interdits (atrazine, chlordecone, Cruizer…) en raison de leur nocivité pour l’environnement ou/et la santé humaine, on se demande combien de temps il faudra attendre pour que toutes ces procédures d’homologation soient modifiées.

Par ailleurs, un des fondements de ces procédures d’homologation repose sur l’impartialité des experts qui a souvent été mise à mal ces dernières années, le dernier exemple étant le scandale du Mediator.

Pour tenter de comprendre pourquoi les conflits d’intérêt se multiplient, il est nécessaire de rappeler que la baisse continue des crédits récurrents attribués aux équipes de recherche les incite sans cesse courir après les contrats. De même, l’incitation croissante faite aux chercheurs des organismes publics à développer des programmes collaboratifs avec le privé a considérablement réduit leur indépendance, pourtant indispensable pour exercer des fonctions d’expertise.

 

Quel positionnement pour l’INRA sur les biotechnologies ?

Notre troisième question porte sur le positionnement de l’INRA, par rapport à la question de la place des biotechnologies dans l’agriculture du futur.

Il est pour nous très regrettable que l’INRA soit apparu, une nouvelle fois, comme un des premiers défenseurs de ces technologies à travers les interventions de G. Pascal et L.M. Houdebine, et l’image de notre institut ne s’en trouvera pas améliorée.

Plusieurs chercheurs de l’INRA ont par ailleurs signé dans « Le Monde » un appel à un « débat raisonné » sur les OGM, qui finit pourtant par un plaidoyer sur l’espoir suscité par les OGM pour résoudre tous les problèmes de la planète, en grand décalage avec l’expertise actuelle mondiale sur les causes des déséquilibres pour l’accès à l’eau, à l’alimentation et à la santé, et sur les solutions qui peuvent y être apportées dans un contexte de démographie croissante et de changement climatique.

Dans un communiqué datant du 27 septembre, le nouveau PDG de l’INRA, F. Houllier, précise la position officielle de l’institut vis à vis de l’article de Séralini, en s’appuyant notamment sur un article qui n’hésite pas à conclure en garantissant l’innocuité des plantes génétiquement modifiées en alimentation humaine et animale sur la base d’une revue bibliographique de 24 études travaillant souvent sur un nombre total de rats inférieur à 30. Cet article, co-signé par des personnalités (dont toujours G. Pascal) très connues pour leur soutien actif aux OGM, a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses critiques sur les méthodes employées (voir par exemple l’article de Gilles Van Kote dans « Le Monde » du 15 décembre 2011).

Si l’INRA ne conduit plus que de rares recherches sur le développement de plantes génétiquement modifiées, l’institut n’en mise pas moins sur les biotechnologies et la sélection génomique, en investissant massivement dans le génotypage et le séquençage haut débit des espèces cultivées. Il ne s’agit plus là de modifier le génome d’une plante en lui transférant un ou quelques gènes issus d’autres organismes (transgénèse) qui confèrent à la plante transformée de nouveaux caractères, mais de créer les nouvelles variétés en contrôlant l’information génétique à l’échelle du génome entier en utilisant toujours plus de marqueurs (des centaines de milliers maintenant).

Si cette approche permettra certainement d’améliorer quelques variétés de plantes, ce gain est cependant à mettre en relation avec les budgets énormes nécessaires à sa mise en œuvre. Grâce aux projets dits « Investissements d’avenir »,auxquels l’INRA a répondu avec succès, ce sont par exemple 57 millions d’euros d’argent public qui viennent financer deux projets de biotechnologie verte (qui n’ont de verte que le nom) lors des deux prochaines années, dont 10 millions d’euros sur les cultures non alimentaires. Ces fonds vont principalement nourrir les entreprises de service en biotechnologies et alimenter le pool des contrats précaires de la recherche sans oublier les partenaires privés de ces projets (Limagrain, Syngenta, Bayer Crop Science, etc…).

Ils sont à mettre en regard avec le retard de la France concernant le développement de la recherche sur l’agriculture biologique et plus généralement sur l’agroécologie, avec un manque de soutien institutionnel et de moyens humains et financiers consacrés aux recherches publiques sur ces thèmes, et ce, malgré les ambitions affichées par la communication officielle.

 

Une vaste réflexion est nécessaire

Notre syndicat avait déjà critiqué l’entêtement de notre ancienne PDG, Madame Guillou, qui dans son livre publié en 2011 minorait les marges de progrès des systèmes alternatifs et préconisait de continuer d’investir sur le modèle productiviste, sous prétexte que celui-ci repose sur 60 ans d’efforts pour le rendre plus performant.

Nous objectons au contraire, qu’il est grand temps de convertir la recherche agronomique aux modèles de production alternatifs (production intégrée, agroécologie, agriculture urbaine et péri-urbaine, agroforesterie, agriculture biologique…), qui sont quasi-orphelins de recherche et donc porteurs d’avancées rapides.

Nous demandons donc à la direction de l’INRA et au gouvernement d’engager cette vaste réflexion en incluant notamment la participation de l’ensemble des porteurs d’enjeux, dont les acteurs qui ne sont encore pas ou peu écoutés actuellement (associations de protection de l’environnement, Confédération Paysanne…).

Le renouvellement de notre modèle agricole à bout de souffle, que ce soit au niveau environnemental ou social, et les attentes des citoyens de France et d’ailleurs, vont demander que soit opérée une révolution doublement, triplement ou quadruplement verte, dans laquelle l’INRA devra tenir un rôle majeur.