En tant que chercheur à l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques) et spécialiste des éthers de glycol, pensez-vous que les connaissances scientifiques soient suffisantes sur les effets sanitaires de ces produits ?
Non, nous sommes en deçà de ce qu’il faudrait faire. Les données disponibles sur les personnes exposées restent limitées. Les études épidémiologiques manquent. L’une d’elles a été effectuée récemment sur les enfants d’ouvrières travaillant dans une usine de condensateurs au Mexique. Elle démontre chez ces enfants une atteinte du patrimoine génétique et des syndromes de malformation.
Au-delà des employés qui ont massivement manié ces produits, existe-t-il un risque pour les consommateurs qui les utilisent sporadiquement ?
Oui, car pour la toxicité sur l’embryon et le fœtus, la règle est de considérer que la période d’exposition critique est la journée. Cela rejoint les conclusions du Conseil supérieur d’hygiène publique de France (CSHPF), qui estime qu’avec les limites légales actuelles, à de faibles concentrations, il existe encore un risque. Avoir utilisé de la peinture à l’eau suffit.
Par ailleurs, certains éthers ont été utilisés dans des médicaments. J’ai en tête le cas de deux crèmes anti-acnée. Ces médicaments ont ensuite été retirés du marché, là encore sans qu’on sache exactement les effets. Il y a également le cas d’un diurétique utilisant un éther de glycol qui a été retiré de la vente après avoir provoqué quatre cas d’atteintes rénales.
La réglementation actuelle est-elle suffisante ?
Non. Si on applique des critères d’évaluation des risques à certains éthers, il faut le faire à tous. Or certains sont classés, pas d’autres. La logique reste l’interdiction de tous les éthers à risques. L’EGBE, par exemple, est encore massivement utilisé dans l’industrie et les produits de grande consommation alors qu’il est classé cancérigène pour la souris.
Je pense par ailleurs que des décisions auraient dû être prises dès 1982, quand les premières alertes ont été lancées. On aurait dû également hâter le remplacement des éthers à risques de la série E par ceux de la série P, jugés inoffensifs. Du point de vue industriel, les procédés sont identiques. Pour moi, la substitution n’a pas été opérée plutôt par paresse car cela obligeait à modifier les produits. Or c’était là un faible effort. Ne pas l’avoir fait pourrait avoir un coût sanitaire.
Se pose le problème du risque chimique, de la mise sur le marché de substances sans qu’elles aient été testées. L’application du principe de précaution reste difficile.
Propos recueillis par Benoît Hopquin
Entrevue parue dans Le Monde.