En septembre dernier, en effet, le Réseau Sortir du nucléaire (RSN) a rendu public un document officiel classé « secret-défense » qui estimait que l’EPR ne résisterait pas à une attaque terroriste du type de celle du 11 Septembre. Depuis, le débat a perdu beaucoup de son sens, car six grandes associations (écologistes, antinucléaires ou experts indépendants) se sont retirées du débat après avoir demandé en vain au gouvernement de permettre la réalisation d’une contre-expertise sur cette question essentielle. De plus, le RSN risque des poursuites judiciaires pour avoir rendu public un tel document ! Pour le ministère de l’Industrie, la démonstration de la vulnérabilité des centrales doit rester secrète, sinon les terroristes pourraient s’en inspirer… Comme s’ils avaient besoin d’études de faisabilité !
Le débat public EPR vient de se terminer malgré une faible participation, notamment des opposants au projet. Même la Commission particulière du débat public (CPDP-EPR), qui était chargée de son organisation, a du mal à cacher sa frustration. Elle remettra prochainement à EDF un rapport de synthèse, mais sans que soit garantie la moindre prise en compte des avis exprimés par les divers participants. Faut-il remercier nos gouvernants d’avoir accepté ce « débat » sur le nucléaire (la seule industrie où rien ne change depuis plus de trente ans) ? Et remercier EDF d’avoir dépensé plus d’un million et demi d’euros pour une opération jugée « bidon » par les uns, une « parodie de démocratie » ou « escroquerie » par d’autres ?
Les associations et les individus investis dans ces échanges auront perdu beaucoup de temps et d’énergie pour presque rien. Si la loi impose l’organisation de consultations publiques pour tout projet industriel d’intérêt national, il faudra prévoir d’indemniser les organisations de la société civile ! Bref, malgré la qualité de la démarche de la CPDP, qui s’est affirmée comme un acteur de la démocratie participative, le débat EPR se présente comme un vrai fiasco. Pour remettre la politique énergétique nationale sur des rails démocratiques, il faudrait que le lobby du nucléaire accepte les propositions procédurales que nous avons formulées dans notre contribution écrite (1).
La délibération ne pouvant précéder la consultation (c’est désolant d’avoir à le rappeler !), il est indispensable tout d’abord que la décision de construire l’EPR à Flamanville soit gelée. L’autre point essentiel relève de ce que les controverses ont fait apparaître : la nécessité de la mise en place d’une commission d’expertise pluraliste, en préalable à l’organisation de consultations publiques, seule façon d’évaluer en profondeur les perspectives et les risques liés à la filière EPR, en comparaison avec d’autres formes d’énergie. Bien entendu, les membres de la commission doivent avoir un accès égal aux dossiers (comme la vulnérabilité de l’EPR face à une attaque terroriste). Le droit à l’information concerne tous les citoyens, et l’État doit constituer une commission indépendante pour établir ce qui relève (ou non) du secret-défense. À titre exceptionnel, cette commission doit permettre une levée conditionnelle et contractuelle des secrets (industriel, commercial et défense).
On peut s’attendre à ce que la commission d’expertise pluraliste conduise à révéler des divergences. C’est pourquoi le débat public EPR devrait être suivi par une conférence de citoyens qui exprimerait un ensemble d’opinions et de recommandations impartiales. En France, malgré de multiples demandes, comme celle de la Commission française du développement durable en 2002, aucune conférence de citoyens n’a pu encore s’emparer des questions énergétiques contrairement à d’autres pays (Publiforum suisse sur l’électricité en 1998, conférences de consensus danoise sur l’irradiation des aliments en 1989 et britannique sur les déchets nucléaires en 1999, jury citoyen aux États-Unis sur l’électricité en 1997).
Il est temps d’exiger une telle procédure pour effacer, si possible, l’échec du débat EPR. Mais, pour que l’ensemble du processus ne soit pas vain, il faut surtout s’assurer obtenir un engagement préalable du gouvernement (de façon interministérielle et pas seulement sous l’unique tutelle de l’Industrie) de le suivre et de le nourrir. Sinon, comme dans d’autres domaines (OGM), la consultation des citoyens ne peut être qu’un leurre démocratique.
La Fondation Sciences citoyennes interviendra désormais régulièrement dans nos pages.
(1) La contribution, intitulée « Un débat nucléaire est-il possible en France ? » et présentée en décembre 2005, a été refusée par le président de la CPDP sans explication précise ni possibilité de dialogue. Le texte est consultable sur www.sciencescitoyennes.org. Contrairement à ce qu’elle affirme sur son site, il n’est pas exact que la CPDP-EPR permette à tous de participer au débat.