L’assistance conviviale à la procréation

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jeudi 14 février 2013

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Paru dans le Monde du 8 février 2013

Lors de la réflexion pour élaborer les premières lois de bioéthique (1994) le législateur avait choisi de substituer le terme AMP (assistance médicale à la procréation) à PMA (procréation médicalement assistée) utilisé jusque là. Son argument était que la procréation ne constitue pas le sujet médical, la médecine ne pouvant qu’aider à réaliser cette fonction. Jamais autant qu’aujourd’hui politiques et médias n’ont adopté PMA plutôt qu’AMP, comme si on avançait dans une ère où s’affirme la fabrication technique de l’enfant. Car c’est bien ce qui est en jeu quand la demande adressée à la biomédecine vise la procréation de personnes fertiles comme les homosexuel(le)s ou les jeunes femmes incitées à congeler leurs ressources gamétiques. Ainsi la médecine viendrait pallier des situations sociales dont nul ne sait jusqu’où elles peuvent aller, pourquoi pas de la grossesse post ménopause au clonage en passant par la grossesse masculine ? Tout a commencé dans les années 1970, quand la congélation du sperme a permis le développement de l’insémination artificielle avec donneur (IAD), les gamètes masculins pouvant alors voyager dans l’espace et dans le temps, une condition nécessaire à des prescriptions éthiques (anonymisation) et sanitaires (sélection et attribution des donneurs).Alors la médecine décida que l’IAD devait devenir une pratique de professionnels spécialisés, créant les banques de sperme, décidant des principes éthiques, gérant cette activité dans toutes ses dimensions, psychologiques, économiques, biologiques. Les partenaires de l’IAD, donneurs et couples receveurs, se trouvaient dûment canalisés, analysés, évalués, appariés, archivés, remboursés. Nul ne protesta contre cette prise de pouvoir parce qu’il est plus confortable et rassurant d’être pris en charge par des spécialistes qualifiés que de trouver soi-même une solution, et surtout parce que le nouveau monopole des blouses blanches sur la procréation masquait une évidence : nul besoin du corps médical pour déposer du sperme dans un vagin ! Depuis toujours des couples infertiles ont recouru à l’insémination naturelle par un donneur ou un proche mais, si l’asepsie sexuelle est exigée, elle est à la portée de tous. Un réceptacle (un verre) pour recueillir le sperme puis une paille ou un cathéter pour l’administrer, si possible avec l’aide d’un spéculum, voilà à quoi peut se résumer la « technologie ». A en croire les lesbiennes américaines qui s’auto inséminent depuis des dizaines d’années leurs résultats n’ont rien à envier à ceux des gynécologues (10% de grossesses). Mais il faut pour cela prendre la responsabilité du choix du donneur, proche ou anonyme, et assumer ces gestes simples mais chargés de conséquences puisque le but est la naissance d’un enfant.
Quand le débat actuel semble placer la GPA (gestation pour autrui) hors de la « PMA », il oublie que la GPA implique l’IAD pratiquée sur la future mère porteuse.Dans les deux revendications (l’IAD pour les homosexuelles et la GPA pour les homosexuels) le geste technique est le même, et peut se passer de l’assistance médicale. Personnellement, s’agissant de couples hétérosexuels, je n’ai jamais approuvé la médicalisation de l’IAD et je suis fermement opposé à la GPA, je ne peux donc pas acquiescer aux demandes des homos. Cependant, dans une situation politico-sociale différente et encore largement utopique où la convivialité prendrait une place réelle, le geste solidaire d’un ami pour aider un couple de femmes en offrant sa semence ou même celui d’une sœur ou d’une amie pour prêter son utérus à un couple d’hommes ne me choque pas. Moins que la fabrication des enfants qui gagne, incluant mécaniquement les obligations que confèrent la responsabilité professionnelle et celle de l’Etat, en particulier sur des normes discrètement appliquées mais au parfum déjà eugénique. Remplaçons l’AMP par l’assistance conviviale à la procréation (ACP), les enfants souffriront certainement moins de bricolages amoureux et fraternels que d’être nés d’une machine froide qui les fait délibérément orphelins de racines.La balle n’est pas dans le camp de la biomédecine, elle est chez les demandeurs d’aide et surtout chez les juristes qui devraient, tout en évitant la pénalisation de l’ACP, veiller à la non commercialisation des services (en particulier pour la GPA) et élaborer avec audace des statuts protecteurs pour les parents et les enfants.