Sciences Citoyennes revient sur l’événement des JESER2 (Journées des savoirs engagés et reliés) et sa place dans nos luttes au travers notamment de témoignages de participant·es. Elle expose aussi les perspectives et les points d’amélioration possibles pour la poursuite de cette dynamique.
Les participant·es des JESER2 ont défilé de manière parodique dans les rues de Lyon le 10 octobre 2024.
Temps de rencontre entre membres de la société civile (citoyen·nes et associations) et chercheur·ses, les JESER (Journées des savoirs engagés et reliés) ont pour but d’initier la réflexion autour des moyens d’engager les savoirs pour le bien commun. La deuxième édition des JESER, co-organisée par Sciences Citoyennes, au travers du collectif MSER (Mouvement pour des Savoirs Engagés et Reliés), a eu lieu du 10 au 12 octobre 2024 à Lyon et a accueilli plus d’une centaine de participant·es par jour. Sciences Citoyennes rend compte de cet événement à travers le regard de celleux qui étaient présent·es.
La contribution de ces journées dans nos luttes
Les espaces alternatifs créés par ces JESER2 ont fait naître de nombreuses connexions entre acteur·rices du changement qui découlent de rencontres et de discussions. Ces premières prises de contact sont le point de départ d’initiatives et de projets portés par cette énergie commune. « Nous avons tant d’enthousiasme à l’idée de poursuivre ces dialogues et d’explorer de nouvelles voies », se réjouit Jaoued Doudouh de l’association « Pas Sans Nous ».
Les JESER2 ont poursuivi l’ouverture de cette brèche, initiée lors de la première édition, entre les chercheur·ses et les membres de la société civile. Lors de ces journées, nous avons continué d’observer la nécessité d’échanger les savoirs entre ceux que l’on présente souvent comme deux mondes pour nourrir les initiatives autour du bien commun. Les deux sphères peuvent apporter aux réflexions un point de vue différent et complémentaire : le public scientifique y partage ses connaissances théoriques pendant que les acteur·rices du terrain transmettent leurs compétences pratiques.
« Pour moi, l’idée c’est de grossir la communauté de ces deux mondes qui souhaitent avancer ensemble pour donner un véritable sens à la recherche scientifique. C’est aussi renforcer l’action des mouvements sociaux avec l’appui des recherches scientifiques, qui aujourd’hui détiennent le monopole de l’expertise reconnue par les pouvoirs publics. » affirme Cyril Fiorini, coordinateur de Sciences Citoyennes.
Ces journées ont également représenté, pour beaucoup, une courte parenthèse de solidarité et de bienveillance où l’on se ressource aux côtés de militant·es partageant des valeurs communes. « Les JESER c’est faire des rencontres qui nous redonnent foi en l’humanité » confie Méline Habert, organisatrice des JESER2 et adhérente à Sciences Citoyennes. On en ressort rempli·e d’espoir après avoir passé trois jours entouré·e de personnes sensibles au monde qui les entoure et qui œuvrent à de nobles causes. Ces moments renforcent les convictions de chacun·e ainsi que l’envie de poursuivre la lutte. Méline ajoute : « Ça m’a conforté dans le fait que le MSER a du sens et qu’il faut le faire vivre. »
De nombreuses activités engagées et reliées
Les journées se sont déroulées au rythme des activités, alternant entre moments informels et temps formels, entre repas et ateliers, entre (dé)montage de barnums et conférences, lesquelles étaient précédées de débats mouvants aux questions clivantes.
Lors des temps de Bourse aux activités, les participant·es dans toute leur diversité (académiques, non-académiques, associations…), ont pu proposer des espaces d’échanges sur diverses thématiques : critique des sciences, semences paysannes, auto-défense pour les scientifiques militant·es…
Jérémie Klein, participant aux JESER2 et doctorant dans l’équipe STEEP de l’Inria, nous a confié qu’il avait apprécié l’aspect concret des ateliers : les porteurs d’initiatives viennent aux JESER avec le réel besoin de trouver les ressources nécessaires afin de répondre à leurs problématiques sur le terrain.
Pour l’une des participantes, la découverte du jeu de société The Change au cours d’un atelier, co-créé par les étudiants en Master 2 PSDT (Politiques sociales et développement territorial) de l’Université de Saint-Étienne, a été particulièrement marquant. Peu familière des jeux collectifs, elle a été agréablement surprise et souligne que « c’est un jeu où l’on se bat ensemble contre une société qui nous oppresse et nous opprime ». Un objectif commun à celui des JESER finalement. C’est pourquoi, le vendredi après-midi, Sciences Citoyennes a lancé une action-dérision de type « manif de droite » en réaction aux propositions de résolutions du ministre de la Recherche, Patrick Hetzel. Cette manifestation parodique, dont la vidéo est disponible sur YouTube, a eu un grand succès !
Les temps de conférence ont également été riches et ont permis d’apporter un éclairage sur plusieurs thèmes : le rôle des sciences modernes dans l’effondrement, le rôle des savoirs engagés et reliés dans les luttes, l’intérêt de ces savoirs, l’origine de leur production et les moyens de les rendre majoritaires. Cyril Fiorini a été invité à prendre la parole lors d’une conférence sur les raisons d’engager et de relier les savoirs. Il a ainsi pu présenter Sciences Citoyennes, ses principaux axes de travail et comment l’association contribue à engager et relier les savoirs (recherche participative, boutiques des sciences…).
Conférence au sein de la Bourse du Travail, lieu historique des luttes lyonnaises.
Les journées du jeudi et du vendredi se sont clôturées par des spectacles qui ont permis d’aborder différemment les thématiques traitées lors des journées. Le spectacle « Humus Humain » de l’association Circulus, qui a proposé « une plongée en musique dans l’histoire biogéochimique de la Terre », a créé un engouement certain. La performance mêlant différentes dimensions dont le jeu, la musique et la performance physique, a également beaucoup plu pour son aspect pédagogique.
Lors de la représentation utilisant la méthode du théâtre forum de la troupe Ébullition, les spectateurs ont été invités à participer à la pièce, expérimentant différents scénarios. L’objectif a été de chercher, tous·tes ensemble, des solutions à des problèmes réels. Enzo Baquet, participant et doctorant dans l’équipe STEEP de l’Inria, est monté sur scène et a été submergé par l’émotion : « Devoir faire semblant, ça a remis le doigt sur des plaies ouvertes et m’a fait réfléchir ».
Des moments informels essentiels pour les luttes
Les JESER2, ce sont aussi une multitude de moments informels partagés par tous·tes qui vont de l’épluchage des légumes à la vaisselle collective en passant par des discussions de fond et des analyses partagées.
Cette atmosphère plus légère a permis de sortir de l’aspect descendant des savoirs que l’on peut retrouver lors des conférences et ainsi favoriser les échanges. « On trouve dans les moments dits « officiels » une forme de consommation. Alors que les « off » c’est très riche, ce sont des moments où l’on se co-construit. » exprime Méline Habert.
Par exemple, Alexandre Baubec, volontaire en service civique à Sciences Citoyennes, a particulièrement apprécié tenir le stand de l’association et échanger avec les curieux·ses. Cela a été l’occasion de faire connaître davantage l’association et de rencontrer d’autres publics dans un cadre à la fois ouvert, militant et bienveillant.
Cette forme d’auto-gestion permise par la grande implication des participant·es tout au long de l’événement a instauré une ambiance d’entraide. « C’est un moment très convivial où tout le monde met un peu la main à la pâte, un peu comme dans une grande famille. », témoigne une participante.
La cuisine « low tech », sans électricité ni gaz, ainsi que l’utilisation de produits locaux, bio et de saison ont été priorisés lors de l’événement. En plus de remplir un objectif de cohérence avec les revendications de « savoirs engagés et reliés » des JESER, la participation de tous·tes à la préparation des repas a favorisé la prise de contact avec les membres de l’organisation avant les conférences plus formelles.
Une participante, qui a aidé à servir les plats lors des repas, ajoute : « À ce moment-là, en ayant l’occasion d’aider à mon échelle, je me suis sentie utile et valorisée dans le collectif. »
Sur la place Guichard, moment informel pendant les JESER2.
Rendez-vous aux JESER3
Ainsi, ces journées ont été très riches et ont suscité un engouement certain. Mais, les JESER restent perfectibles. Quelles actions mener après ? Avec qui ? Comment ? Autant de questions auxquelles, pour certain·es, les JESER n’ont pas encore répondu. Les participant·es ont souligné le manque d’orientation collective à la fin de ces journées, qui aurait permis de donner suite aux prises de contact et aux idées émergées. « Comment on s’engage à partir du moment où on est d’accord sur le constat ? » interroge Laurent Dianoux, administrateur à Sciences Citoyennes.
Après la première édition, l’une des volontés du MSER était de sortir du cadre purement académique de l’ENS Lyon et de s’ouvrir aux espaces militants. Nombreux·ses sont les participant·es qui ont apprécié la pluralité des lieux, l’événement se déroulant à la fois sur la Place Guichard (lieu historique des luttes lyonnaises), à la Bourse du Travail (alliance avec les syndicats) et à l’ENS (milieu académique). Il a cependant été relevé que la Bourse du Travail, n’étant pas toujours adaptée, instaurait une certaine distance entre les intervenant·es (au sommet de l’estrade) et les autres, ne favorisant pas le contact entre les personnes et l’horizontalité recherchée.
Malgré une évolution positive de l’implication du monde associatif dans l’événement, cela n’a pas été suffisant. En effet, les associations sont restées peu visibles. Selon Laurent Dianoux, il aurait été intéressant de leur donner plus d’espaces d’expression. Par ailleurs, peu de citoyen·nes ont participé à l’événement, composé d’une majorité de personnes venant du milieu de la recherche académique. « Quelle a été la plus-value d’avoir fait l’événement sur une place [publique] ? Puisque beaucoup de gens — qui sont venus nous voir — n’ont pas réellement été intégrés aux actions des JESER et sont restés de simples passants. », s’interroge Jérémy Rogeret, organisateur des JESER2 et étudiant en Master 2 PSDT. Ceci pour exprimer le fait que, malgré le succès indéniable de cette deuxième édition des JESER, des améliorations sont possibles pour impliquer davantage la société civile et sortir de l’entre-soi afin que les JESER3 soient encore plus rassembleuses et joyeuses que les précédentes éditions.
Maintenant, il s’agit de poursuivre et d’amplifier le mouvement, de passer à l’action.
Crédits photo : Fédérico Cantini & Agathe Barbot.