Afis : information scientifique ou manipulation de l’opinion ?

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vendredi 20 septembre 2013

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Article de Fabrice Flipo, administrateur de la Fondation Sciences Citoyennespublié sur rue89

Si l’on en croit les tribunes de Jérôme Quirant, des associations sans aucune légitimité alimenteraient des peurs irraisonnées dans l’opinion et bloqueraient « le progrès ». Des arguments qui me rappellent trait pour trait ceux du fameux appel de Heidelberg, lancé peu avant le premier Sommet de la Terre de Rio en 1992.

Le problème avec ce soi-disant promoteur de la « science », c’est qu’il fait un usage extrêmement libre de « la science ». Les erreurs sont grossières, la méconnaissance des dossiers est flagrante, même pour un amateur éclairé.

Aucun de ses articles ne tiendrait plus d’une minute devant un panel pluraliste composé d’experts reconnus dans les domaines concernés.

Quirant confond science et défense aveugle de l’expertise officielle, oubliant l’Histoire : les agences ont souvent sous-estimé les risques environnementaux, accordant la priorité aux intérêts industriels : amiante, réchauffement climatique, trou dans la couche d’ozone etc.

L’Agence européenne de l’environnement a même publié deux volumes sur les leçons tardives issues de signaux précoces qui n’ont pas été entendus à temps.

Les scientifiques sont dans leur rôle quand ils attestent de faits. Ils ne le sont plus quand ils sélectionnent les faits qui doivent être jugés pertinents pour un problème de société tel que les OGM, et ils sombrent carrément dans l’autoritarisme quand ils prétendent en plus tirer à eux seuls des conclusions définitives en matière de politique.

Démonstration sur trois des sujets abordés dans ses tribunes.

Une critique farfelue de l’étude Séralini
L’auteur commence par nous dire que la publicité autour de Séralini a été un déni de science. Une approche réellement scientifique aurait soupesé l’influence relative des partisans de Séralini et ceux des OGM, qui utilisent aussi la voie des médias. Mais non, Quirant fait comme si Claude Allègre, Marc Fellous et bien d’autres n’avaient pas voix au chapitre.

Second argument : Séralini ne serait pas le premier à avoir conduit une étude de long terme. Lesquelles ? Avec quels résultats ? Quirant n’en dit rien. Le point est important car ce qui a fait scandale est que 3 mois d’analyse suffisent pour l’homologation des OGM, alors que l’étude Séralini suggère que les effets néfastes apparaissent plus tard. Quirant se contente de nous asséner qu’il est « scientifiquement peu vraisemblable » qu’un risque existe sur « la comestibilité », et que les tests à 90 jours sont « reconnus satisfaisants » – par qui ? Par quoi ? On ne saura pas.

L’argument massue, celui d’un allongement plus rapide de l’espérance de vie aux Etats-Unis, où l’on mange des OGM, qu’en France, outre que c’est de l’épidémiologie de comptoir, pointe vers un lien qui indique le contraire : +1,9 ans en France contre +1,3 ans aux Etats-Unis (2005-2011). Quirant est tellement convaincu d’avance par ce qu’il croit être le vrai qu’il n’a même pas pris le temps de lire.

La suite est du même acabit : Quirant mentionne les pays qui importent des OGM, mais pas ceux qui, comme la Zambie en 2003, en pleine famine, a refusé une aide parce qu’elle était OGM. Pourquoi ? Quirant claironne que « l’ensemble de la communauté scientifique a tiré à boulets rouges sur cette étude », sur foi d’un communiqué de presse des Académies, alors qu’il aurait plutôt fallu parler de propos très contrastés, en témoigne cette pétition-réponse signée de biologistes. Il attaque bien sûr la souche de rats utilisée, soupçonnée de favoriser les tumeurs, mais ne dit pas qu’elle est utilisée pour les tests d’homologation, et qu’une autre souche aurait évidemment fait courir à l’étude le risque d’incomparabilité.

D’autres explications existent, nous dit-il, concernant les tumeurs, « un agronome » « en a fait la démonstration brillante ». A ce stade de la lecture on ne s’étonne pas de ne trouver aucune référence sérieuse à l’appui de cette énième affirmation farfelue.

Rappelons alors à Quirant la revue dans laquelle Séralini a publié est reconnue et conforme aux critères de bonne science tels que Quirant lui-même les définit, et auxquels il ne juge pas nécessaire de se plier lui-même. Quirant n’a rien lu des adversaires qu’il combat, sinon des articles de presse, à rebours de la « simple étude bibliographique » qu’il prétend avoir fait. Il existe pourtant des documents extrêmement complets expliquant les raisons d’une opposition aux OGM, qui sont très loin d’être seulement alimentaires, et qu’il serait trop long de développer ici.

Sur les ondes électromagnétiques, des résultats partiels et tronqués
Le peu de sérieux scientifique de ce professeur de mécanique, spécialiste des structures à géométrie variable, se retrouve sur le sujet des ondes électromagnétiques.

Première erreur grossière : l’étude Interphone nous dit-il « ne conclut pas à un risque significativement accru de gliome ou de méningiome chez les utilisateurs réguliers d’un téléphone mobile ». C’est tout simplement faux.

Dans un compte-rendu en français, le site Universcience, peu susceptible « d’obscurantisme » au sens de Quirant, reconnaît que l’étude conclut à « un risque de gliome de 40% supérieur, et un risque de méningiome de 15% supérieur uniquement chez les personnes ayant déclaré une utilisation fréquente du téléphone portable (au moins 30 minutes par jour depuis dix ans). ». La conclusion de l’étude elle-même, en anglais, va dans ce sens, en soulignant les incertitudes – qui peuvent peser dans un sens comme dans l’autre.

Deuxième référence avancée : un document de l’Académie de Médecine, dont les orientations sont notoirement favorables à l’industrie, en termes de risques. Quirant oublie de dire que ce document admet malgré tout que les téléphones portables sont considérés comme « possiblement cancérigènes ».

Petit oubli qui arrange bien les choses, et à la lecture des articles de Quirant on se rend vite compte que les oublis vont toujours dans le même sens : celui de la défense des intérêts supposés de « l’industrie », du commerce, de la France.

Concernant les électrosensibles, Jérôme Quirant commence par cette anecdote bien connue : Orange a placé des antennes-relais qui n’étaient pas branchées et les gens se sont plaints de mal de tête. Cela suffirait à « démontrer » que l’électrosensibilité est un effet « nocebo ». C’est oublier les effets biologiques des ondes sont démontrés depuis 2002 au moins, comme le mentionne le document de l’INRS qui fait le « point sur les connaissances », en référence à l’étude « COMOBIO ».

Une science citoyenne n’est pas une science prolétarienne
Dans sa dernière tribune, Jérôme Quirant pourfend la « science citoyenne » en s’indignant contre les orientations politiques que les citoyens pourraient donner à la science. Pour Jérôme Quirant c’est une fumisterie, la même chose que la science prolétarienne, à savoir une science corrompue par l’idéologie.

Pourtant sa défense de « la science » revient à n’admettre de bonne science qu’au service de l’industrie et du commerce extérieur du pays, d’où ses oublis sélectifs, sa constante dénonciation du « retard » que la France pourrait prendre sur ses « concurrents » etc. Si ce n’est pas une motivation politique, alors c’est quoi ?

Une science citoyenne serait en réalité l’exact opposé de ce que pratique un expert qui, sous prétexte d’une compétence dans un domaine, nous livre de manière autoritaire ses conclusions sur tout, au motif que sa blouse blanche suffit à garantir la sincérité de ses propos. C’est l’exact opposé de scientifiques qui, comme lui, travestissent leurs intérêts personnels ou corporatistes en vérité publique, sommant le reste de la société d’y adhérer sous peine d’obscurantisme, et sans doute, si on le laissait faire, de fascisme, de nazisme, de retour à l’âge de pierre bref toutes les calamités possibles et imaginables susceptibles de terroriser le profane pour le forcer à se taire.

Une science citoyenne est faite de scientifiques qui s’en tiennent aux faits relevant de leur compétence, est soucieuse d’éclairer les questions que se pose le citoyen-profane qui est seul dépositaire de la souveraineté démocratique, se tient à l’écart des choix collectifs, de même que l’enquête policière qui établit les preuves ne se substitue ni au jury ni au juge. Si les associations apportent des faits crédibles, elle les vérifie. Si les expertises sont biaisées, liées à des conflits d’intérêts ou sont insuffisamment pluralistes, elle le signale et y remédie.

Plusieurs genres de vérités
Pour conclure, on peut rappeler, en citant Alfred North Whitehead, co-auteur avec Bertrand Russell des célèbres Principia Mathematica que « le vrai » se dit de trois manières, et non une seule :

  • Il désigne d’abord l’ensemble des faits, avec lesquels des énoncés cherchent à être en adéquation. Est vrai ce qui est à peu près bien décrit (on reste toujours dans l’approximation, quiconque a pratiqué la science le sait).
  • Est vrai ce qui reflète authentiquement les désirs et volontés des êtres qui en sont capables. A ce titre on peut fort bien refuser les OGM, quand bien même tous les faits nous seraient présentés. Ce sont des vérités de deux genres différents.
  • Est vrai enfin ce qui est logiquement démontré, sur le plan scientifique ou mathématique, certes, mais aussi sur le plan rhétorique – qui est le plan dominant dans les articles de Jérôme Quirant.

La question des choix techniques suppose de séparer ces différentes sortes de vérités, sans les confondre, de telle manière à ce que les faits soient pris en compte, mais qu’ils ne travestissent pas les désirs, ce qui serait un déni de démocratie.

A l’époque des changements climatiques et de l’épuisement des ressources fossiles conventionnelles, il est urgent de s’alphabétiser dans ces domaines, et qu’un débat de qualité s’instaure. Le récent « débat public » sur l’énergie en a été un contre-exemple éclatant. Pourtant des dizaines de procédures ont été proposées, depuis quelques décennies. Les difficultés sont multiples : assurer la représentativité des désirs ou volontés (tirage au sort, élection etc.) ainsi que celle des faits (formation et information). Le rôle des journalistes est crucial, car que peut un gouvernement pour installer un débat public quand les médias eux-mêmes n’y comprennent rien ? Imagine-t-on de pareilles approximations dans la rubrique « foot » ?