La brevetabilité du vivant

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mercredi 29 novembre 2000

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En 1998, après dix ans de négociations, une directive européenne a consacré la brevetabilité de tous les organismes vivants, excepté l’être humain, de tous leurs éléments et produits, y compris les éléments d’origine humaine, gènes, cellules, organes et tissus. Tout aussitôt, certains États membres ont refusé la transposition, l’opinion publique européenne déjà ébranlée par le gène Terminator s’est émue, des pétitions ont circulé pour demander que des limites éthiques à la brevetabilité du vivant soient renégociées. La CFDD constate que les termes de la brevetabilité dans le secteur des biotechnologies ne sont pas conformes aux objectifs d’un développement durable qui doit concilier le développement d’un tissu équilibré d’entreprises, la précaution à l’égard des risques technologiques, et l’équité économique et sociale.

Les effets sur la recherche publique et le tissu industriel

La CFDD déplore que la recherche publique soit incitée, par sa propre direction ou par des acteurs privés, à rechercher des brevets très tôt dans le processus de développement d’une innovation. Il en résulte des pratiques inhabituelles de secret et de rétention des matériels de recherche et des informations qui ont un effet particulièrement néfaste pour les équipes qui disposent de peu de moyens et dépendent de la coopération internationale pour mener à bien leurs propres recherches. La CFDD s’inquiète du foisonnement de start up construites sur un seul brevet, leur destin étant finalement d’être absorbées dans le mouvement général de concentration, particulièrement néfaste à la diversité des produits. Elle critique enfin la soumission de la recherche publique aux objectifs des grandes entreprises agrochimiques, qui sont la recherche de variétés végétales pouvant être utilisées dans de très vastes aires pédo-climatiques, au détriment de la diversité génétique cultivée. Cette organisation de la recherche – développement ne correspond pas aux besoins d’une agriculture durable comme pourraient la définir agriculteurs et consommateurs, lesquels devraient être associés à la définition des objectifs de la recherche publique. La CFDD signale que les brevets sont octroyés aujourd’hui de manière beaucoup trop large, ce qui est un frein à l’innovation subséquente de perfectionnements ou d’inventions dérivées. Cette pratique est particulièrement négative dans les domaines de la santé publique et de l’agriculture.

Brevets et risques technologiques

Les brevets sont aujourd’hui octroyés de manière trop précoce dans le processus de recherche, ce qui présente des dangers dans la conduite de l’évaluation des risques. C’est vrai pour les start up qui, sous la pression de leurs actionnaires, ont déjà montré leur propension à prendre des risques inconsidérés dans des expérimentations sur l’homme. C’est vrai également pour les grandes entreprises qui, ayant anticipé trop vite de fabuleux marchés pour les plantes transgéniques brevetées, ont obtenu de mettre sur le marché des variétés végétales inadaptées aux attentes, et dont la balance des risques et avantages est incertaine. Les brevets poussent le système économique à une rotation rapide des produits et à un raccourcissement du temps nécessaire pour commercialiser, alors que l’on cherche par ailleurs à évaluer les risques avant de mettre sur le marché.

L’équité économique et sociale

Le système actuel d’octroi des brevets est inéquitable à tous égards et d’abord pour les entreprises. Privilégiant les brevets sur les gènes et permettant d’en bloquer toutes les fonctions, il limite la mise au point des multiples produits qui pourraient ultérieurement en être tirés, et donne la prime à celui qui fait un simple travail de décryptage contre celui qui fait l’invention commercialisable. Inéquitable aussi pour la collectivité, puisque la confusion volontairement réalisée entre invention brevetable et découverte non brevetable revient à priver le domaine public d’un patrimoine naturel dont il jouissait jusqu’ici librement. Ce système est enfin négatif pour la santé publique, car l’octroi de brevets directement sur les gènes interdit de les utiliser comme outils de diagnostic, même lorsque l’utilisateur se sert d’une mutation du gène breveté. De tels problèmes sont déjà sensibles dans le cas du dépistage de gènes de susceptibilité au cancer du sein. La brevetabilité généralisée conduit à des produits qui concentrent un nombre important de brevets successifs, d’où l’augmentation des coûts d’une part, les difficultés d’exploitation d’autre part. Les gènes brevetés sont souvent issus de collectes dans le Tiers monde, et il est encore rare que le pays d’origine en tire une rémunération. Enfin, le brevet octroyé sur des variétés végétales conduit à interdire aux agriculteurs de resemer une partie de leur récolte l’année suivante, pratique qui devrait être renégociée de manière publique pour trouver un terrain d’entente entre les inventeurs et les utilisateurs.

Brevets et pays pauvres

La CFDD estime enfin que c’est de manière beaucoup plus large que le système des brevets est devenu inéquitable. Il fonctionnait jusqu’ici comme l’outil d’un club de pays riches et développés. Aujourd’hui, l’Organisation Mondiale du Commerce a obligé les pays en développement à entrer dans ce club alors qu’ils sont uniquement importateurs de technologies brevetées. Lorsque les techniques brevetées sont nécessaires à la protection de la santé, de l’environnement et de l’alimentation, il est impératif qu’elles fassent l’objet de licences d’office à un taux de redevance acceptable pour les pays importateurs de technologie, qui pourraient ainsi tout à la fois se doter d’une industrie locale et satisfaire les besoins essentiels du public. Les dispositions qui permettent à un tribunal de prononcer ces licences et de fixer le taux des redevances existent mais ne sont pas utilisées. Il est temps de le faire pour sortir du dilemme inaction – contrefaçon.

Réorientation du système des brevets

La CFDD est donc amenée à demander que la brevetabilité du vivant soit renégociée sur de nouvelles bases plus respectueuses de l’équité économique et sociale ainsi que des représentations que les humains se font d’eux mêmes et des autres êtres vivants. Frappée de la grande distance qui existe entre l’administration des brevets et les opinions publiques, la CFDD demande que des ONG représentant la société civile soient associées à la prochaine révision de la convention sur le brevet européen comme à toute initiative en la matière, seules les ONG représentant les intérêts industriels étant présentes jusqu’à ce jour.