Enfin une loi globale sur l’alerte à la hauteur des enjeux ?

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vendredi 27 mai 2016

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Communiqué de Sciences Citoyennes

Par un amendement en commission des lois de l’Assemblée nationale adopté dans la nuit du 25 mai 2016, la loi relative à la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation, dite loi Sapin 2, accueille aujourd’hui une série de dispositions visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte. Leur sort était jusque-là régi par sept lois sectorielles, hétérogènes à bien des égards.

Au-delà d’une harmonisation de l’édifice juridique relatif à l’alerte, le nouveau texte propose de réelles avancées, en phase avec les propositions de Sciences Citoyennes. L’une des plus importantes est l’élargissement du champ de l’alerte qui jusque-là était limité au cadre du travail et aux personnes physiques. Cet élargissement, préconisé dans l’étude du Conseil d’État publiée en avril 20161, à laquelle Sciences Citoyennes a activement contribué, fait de la France un pionnier en la matière.

Nous saluons également la décision de confier au Défenseur des droits la mission d’assister le lanceur d’alerte dans ses démarches, de veiller à ce que ses droits soient préservés et de le soutenir financièrement. Autorité constitutionnelle avec de réels pouvoirs d’investigation, sa légitimité semblait évidente. Les amendements à la proposition de loi organique relative au Défenseur des droits adoptés par la commission des lois devraient permettre de surmonter la plupart des écueils mentionnés par ce dernier dans son avis (n° 16-13) du 20 mai.

Enfin, le secret ne devrait pas faire obstacle à l’alerte, ce qui compte tenu de l’adoption définitive par le Conseil de l’Union européenne ce matin de la directive sur le secret des affaires est un point sur lequel nous pourrons nous appuyer au moment de sa transposition dans le droit français.

Quelques points dans ces deux lois posent encore problème et mériteraient un effort supplémentaire des députés.

Le fait d’entraver l’alerte ou d’exercer des représailles à l’encontre d’un lanceur d’alerte ne donne lieu à aucune sanction. Ainsi, même si ce dernier est rétabli dans ses droits, rien ne l’empêche de subir de nouvelles mesures de rétorsion voire la répétition de celles qu’il a déjà subies. Aussi, le Défenseur des droits devrait pouvoir prononcer des sanctions contre l’auteur des représailles ou les étouffeurs d’alerte.

Par ailleurs, le traitement de l’alerte reste en l’état, c’est-à-dire peu opérant. Le Défenseur des droits qui recueillera les alertes les renverra vers l’agence ou l’autorité la plus pertinente, mais la manière dont celles-ci seront étudiées par ces dernières n’est pas précisée. Rien n’est non plus prévu pour informer le lanceur d’alerte des suites de son alerte, ce qui ne risque pas de l’inciter à agir. Car si la loi prévoit une stricte confidentialité concernant son identité et qu’il est protégé des représailles de sa hiérarchie, le lanceur d’alerte sera néanmoins dissuadé de s’exposer du fait du risque d’ostracisme, d’intimidations ou de sanctions pour des raisons fallacieuses s’il n’a pas la garantie que son signalement servira à quelque chose.

Un autre point qui mériterait un amendement est le signalement en trois paliers, qui s’il a vocation à limiter les effets des alertes abusives ou erronées, ne prévoit pas le cas où la hiérarchie est impliquée dans les faits signalés. En plus de l’absence de réponse dans un délai raisonnable qu’il serait précieux de préciser (2 mois comme pour le délai de réponse de l’administration, par exemple), il doit être possible pour le lanceur d’alerte qui craint la destruction de preuve ou des représailles immédiates et violentes de saisir directement le Défenseur des droits, ce qui nécessite de modifier également l’article 6 de la loi organique.

Enfin, le législateur a cru bon d’imposer que le lanceur d’alerte soit de bonne foi, sans espoir d’avantage propre ni volonté de nuire à autrui. Cette rédaction fait courir au lanceur d’alerte le risque de voir son alerte écartée au motif que lui serait reproché un contentieux avec la personne responsable des faits signalés, même si cette alerte est avérée et témoigne de faits graves. Si l’intention du lanceur d’alerte, sa bonne foi, son animosité, peuvent être étudiées afin d’évaluer ses droits, notamment au soutien financier prévu par la loi, elles ne doivent pas empêcher que l’alerte soit traitée et que le lanceur d’alerte soit protégé de représailles.

Le texte de la commission des lois doit maintenant être discuté en plénière du 6 au 9 juin prochain, puis il sera envoyé au Sénat. Nous espérons que les sénateurs prendront leurs responsabilités et sauront mettre de côté tout calcul politique pour être à la hauteur des enjeux liés à l’alerte. Nous porterons ensuite une attention redoublée à la manière dont le traitement des alertes s’effectuera, prochain chantier majeur concernant l’alerte.

Contact : Glen Millot – 01 43 14 73 62 – glen.millot(@)sciencescitoyennes.org