Sciences Citoyennes à Bamako

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vendredi 13 janvier 2006

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Bamako (19-23 Janvier 2005) « Face à la marchandisation des sciences et des techniques, quels alternatives pour l’Afrique ? Quels moyens pour les mouvements citoyens du Nord et du Sud pour mettre la recherche et l’innovation au service du bien commun dans le continent africain ? » « Je parle au nom des mères de nos pays démunis qui voient mourir leurs enfants de paludisme ou de diarrhée, ignorant qu’il existe, pour les sauver, des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas, préférant investir dans les laboratoires de cosmétiques et dans la chirurgie esthétique pour les caprices de quelques femmes ou d’hommes dont la coquetterie est menacée par les excès de calories de leurs repas trop riches et d’une régularité à vous donner, non, plutôt à nous donner, à nous autres du Sahel, le vertige. Ces moyens simples recommandés par l’OMS et l’UNICEF, nous avons décidé de les adopter et de les populariser.(…) Mon pays est un concentré de tous les malheurs des peuples, une synthèse douloureuse de toutes les souffrances de l’humanité, mais aussi et surtout des espérances de nos luttes.C’est pourquoi je vibre naturellement au nom des malades qui scrutent avec anxiété les horizons d’une science accaparée par les marchands de canons. Mes pensées vont à tous ceux qui sont touchés par la destruction de la nature et à ces trente millions d’hommes qui vont mourir comme chaque année, abattus par la redoutable arme de la faim »

[Extrait du discours prononcé par Thomas Sankara le 4 octobre 1984 à l’ONU, président révolutionnaire burkinais abattu par un coup d’Etat en 1987]

Aussi bien dans les pays du Nord que dans ceux du Sud, la marchandisation néolibérale privilégie les intérêts des laboratoires pharmaceutiques à ceux des malades, ceux des firmes agro-alimentaires à ceux des agriculteurs et des consommateurs, ceux des firmes pétrolières à ceux des riverains. Le système de brevetage systématique de la connaissance et du vivant est imposé à toute la planète via les accords de l’OMC de 1994 sur la propriété intellectuelle. Dans bien des domaines, ce sont aujourd’hui des entreprises privées qui orientent la recherche.

Dans le domaine de la santé, la recherche et développement pharmacautique est aujourd’hui animée par une pure logique d’actionnaires, ce qui suscite d’énormes conséquences pour des malades des régions les plus appauvries. Seulement 0,001% du budget de la recherche biomédicale (publique et privée) mondiale est consacré à l’étude des maladies infectieuses majeures des pays pauvres que sont la tuberculose, le paludisme résistant à la chloroquine, la leishmaniose viscérale, la filariose lymphatique, la maladie de Chagas et la schistosomiase. Presque dix ans après l’apparition sur le marché des premiers traitements antirétroviraux, 99 % des personnes y ayant accès se trouvent toujours dans les pays développés. La plupart du temps, les tests pratiqués partout en Afrique ne répond pas au besoin réel des populations du continent. C’est l’industrie pharmaceutique elle-même qui choisit, finance et organise ces études selon ses calculs de rentabilité. Les promoteurs du test ne sont préoccupés ni du coût du produit ni de ses possibilités de commercialisation en l’absence de prise en charge ou de remboursement, et donc de son improbable utilisation en Afrique. L’opposition entre intérêts scientifique et commercial s’exacerbe dans les pays en voie de développement en raison du décalage considérable entre les enjeux industriels du médicament et la pauvreté des pays du Sud. A la fin des années 1990, le chiffre d’affaires mondial de l’industrie pharmaceutique (380 milliards d’euros) était supérieur au produit intérieur brut des pays d’Afrique sub-saharienne (300 milliards d’euros). En outre, en Afrique, des firmes pharmaceutiques effectuent des tests de leurs produits au mépris de l’éthique et de la sécurité des patients, en absence de consentement des sujets et de contrôle thérapeutique suffisant. C’est ainsi qu’au cours du test de l’antibiotique Throvan®, pratiqué en 1996 par la firme Pfizer pendant une épidémie de méningite au Nigéria, onze enfants sur deux cents avaient trouvé la mort et plusieurs autres avaient gardé de graves séquelles cérébrales ou motrices.

Dans le domaine énergétique, bien que les ressources énergétiques de l’Afrique sont physiquement plus qu’adéquates pour satisfaire à ses besoins, la distribution de ces diverses ressources à travers le continent est extrêmement inégale. Le Nigeria et l’Angola, les deux principaux producteurs africains de pétrole se trouvent actuellement au rang des nations les plus appauvries par trois décennies d’exploitation pétrolière lorsque les firmes internationales se sont progressivement imposées en Afrique depuis le début des années 90. De 1987 à 1997, les exportations pétrolières de l’Afrique ont augmenté de 43% alors que la moyenne mondiale se situait autour des 17%. Entre 1992 et 2003, 80% de l’investissement de la Banque Mondiale dans le domaine pétrolier fut destiné à une exportation vers le Nord. Ainsi, jusqu’à 95% des terres paysannes furent prises par les firmes pétrolières au Nigéria. La santé des populations est mise en péril par des activités illégales (cf. embrasement du gaz par Shell, Exxon, Total au Delta du Niger). La recherche sur les énergies renouvelables qui permettraient de réduire la dépendance sur le pétrole aussi bien au Nord qu’au Sud ne constitue que 8% du budget total de la « recherche sur l’énergie pour le développement » de l’Agence Internationale de l’Energie.

Cette suprématie des logiques de rentabilité financière à court terme sur la recherche limite la capacité collective de nos sociétés à produire des connaissances libres et à développer des innovations d’intérêt général (santé publique et agriculture durable au Nord et au Sud, etc.). De plus, un monde aussi complexe que le notre a besoin de tous les savoirs qu’ils soient indigènes, traditionnels, empiriques, locaux ou scientifiques pour répondre aux défis de notre époque. Nous vivons dans un monde fini, sur une planète où le capital naturel est devenu facteur limitant. Les besoins des plus défavorisés, le souci du développement durable et la demande publique de savoirs pour gérer plus sagement notre monde doivent donc devenir de puissants moteurs pour la recherche.


Interventions


- Sezin Topçu (Sciences Citoyennes, France) : introduction sur la marchandisation de savoirs dans divers domaines (agriculture, énergie, industrie pharmaceutique, ressources naturelles..), la répercussion de celle-ci dans les pays du Sud et les alternatives qui peuvent être mis en place.

- Abdourahamane Ousmane (Alternative Espace Citoyens, Niger) : Recherches et technologies alternatives proposées et revendiquées par les mouvements citoyens au Niger, face à la marchandisation de l’eau potable et dans le but de permettre une redistribution plus juste de sources d’eau en Afrique.

- Michel Diawara (CEPROCIDE- Centre de promotion de la citoyenneté pour le développement durable à la base, Mali) : Participation des communautés locales à la gestion des forêts, lutte contre la déforestation et l’érosion et l’articulation des actions citoyennes avec les milieux chercheurs/experts.

- Cheikh Diop (Association Sénégalaise pour la Protection de l’Environnement, Sénégal) : Privatisation de l’eau au Sénégal.

- Hounaizatou Coulibaly (Nyeta-Sira, Mali) : Action des femmes dans les domaines d’agriculture, de santé et d’environnement.

- Patrick Mulvany (International Technology Development Group) : Recherche agricole, semences paysannes et et alternatifs pour l’Afrique (sous réserve)

- Bob Brac (Bede, France) : Enjeux des OGM en Afrique (sous réserve)

Contact :

Sezin Topçu
sezintopcu@yahoo.fr
Tel : +33 145 41 45 59