La Fondation Sciences Citoyennes a élaboré, avec l’aide des juristes Marie-Angèle Hermitte et Christine Noiville, un projet de loi de loi pour la déontologie de l’expertise et la protection des lanceurs d’alerte.
Exposé des motifs
Les mécanismes d’alerte, éléments-clés de la gestion des risques écologiques et sanitaires, constituent un corollaire des principes de prévention et de précaution sur lesquels sont fondés les droits de l’environnement et de la santé publique. Parce qu’ils visent à éviter ou limiter des dommages en cours de réalisation, ils ont conduit à la mise en place de multiples mécanismes d’alerte institutionnalisés (loi n°98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme ; loi n°2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, etc.…). Tous poursuivent un même objectif : réduire le temps qui s’écoule entre l’apparition d’un risque de dommage et la prise de conscience de ses effets en réagissant aux signaux de risque de manière aussi rapide et efficace que possible.
La présente proposition vise à compléter ces mécanismes sans les remplacer.
Cherchant à répondre à l’inquiétude manifestée par des parlementaires comme par le gouvernement et la société civile, elle crée une institution, la Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte (HAEA) en matière de santé et d’environnement. Elle aura pour premier rôle d’énoncer, parfaire et contrôler l’application des « principes directeurs de l’expertise ».
La HAEA devra instruire certaines alertes qui tendent aujourd’hui à échapper aux mécanismes « institutionnels » précédemment évoqués. Gérés en coopération par le pouvoir exécutif, diverses commissions d’évaluation et les Autorités administratives indépendantes compétentes, ces mécanismes font quotidiennement la preuve de leur efficacité. Mais l’expérience indique que des progrès pourraient être obtenus en se fondant sur les informations et savoirs détenus par des personnes physiques ou morales qui, ou bien ne relèvent pas de l’organisation officielle des alertes, ou bien, tout en en relevant, voient leur action entravée à un moment ou un autre du traitement de l’information qu’elles tentent de porter au jour. L’objet de la présente proposition de loi est donc de compléter les mécanismes institutionnels existants par des procédures permettant à des alertes que l’on peut appeler « informelles » de voir le jour et d’être instruites, à des conditions et selon des modalités précisément définies.
D’autre part, pour assurer qu’un maximum d’alertes « informelles » soit ainsi instruit, il convient de protéger ceux qui les portent et qu’il est convenu d’appeler « lanceurs d’alerte ». Tel est le troisième objet de cette proposition. Tout en fixant les conditions nécessaires pour canaliser les alertes informelles et éviter toute dérive vers la calomnie ou vers une société de l’alarme permanente, elle vise à assurer aux lanceurs d’alerte le droit de diffuser des informations sans subir de mesures de rétorsion discriminatoires ou d’atteintes disproportionnées à leur liberté d’expression.
Malgré sa nouveauté, un tel projet s’intègre harmonieusement dans l’architecture générale des droits français, européen et international.
En premier lieu, l’objectif de renforcement des systèmes d’alerte permet d’exécuter les obligations définies par le législateur dans les articles 49 et 52 de la loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement. Dans son titre V intitulé Gouvernance, information et formation, la loi insiste sur l’importance de l’approche multidisciplinaire et pluraliste de l’expertise scientifique. Il était également prévu de réfléchir à l’opportunité de créer une instance propre à assurer « la protection de l’alerte et de l’expertise afin de garantir la transparence, la méthodologie et la déontologie des expertises. Elle pourra constituer une instance d’appel en cas d’expertises contradictoires et pourra être garante de l’instruction des situations d’alerte ».
C’est ce que cette proposition réalise avec la création d’une Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte.
En second lieu, la protection des alertes et des lanceurs d’alerte s’inscrit dans le droit fil de la Charte de l’environnement adossée à la Constitution française. En vertu de l’article 2 de ce texte, toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement (ce qui constitue généralement l’objectif même du lanceur d’alerte). L’article 3 de la même charte prévoit que toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences (ce à quoi peut participer un lanceur d’alerte salarié d’une entreprise présentant des risques). En vertu de l’article 7, toute personne a par ailleurs le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. Or l’on constate que de nombreux lanceurs d’alerte sont, in fine, appelés à participer à l’évolution du droit, soit à l’appel du législateur lui-même, soit comme contre-pouvoir à l’appel d’associations. Aux termes de l’article 9, enfin, la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement, ce qui est le cas de nombreux lanceurs d’alerte chercheurs (l’exemple le plus évident est celui du GIEC, qui joue un rôle majeur dans les négociations internationales sur le changement climatique).
En troisième lieu, la protection du lanceur d’alerte constitue un complément des principes de transparence et de participation qui structurent le droit de l’environnement et le droit de la santé et qui sont à l’origine d’un renforcement continu du droit à l’information des populations sur les risques qu’elles encourent ou sont susceptibles d’encourir, individuellement et collectivement.
En quatrième lieu, la protection du lanceur d’alerte applique les principes de libre communication des pensées et des opinions, de liberté d’opinion et d’expression et de liberté de recevoir ou de communiquer des informations aux chercheurs, salariés d’une entreprise, journalistes ou simples citoyens, quand ils sont placés dans ces situations très particulières caractérisées par le lancement d’une alerte. C’est ainsi que les articles 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) auront leur effectivité renforcée. Ces libertés s’exercent évidemment dans le cadre des lois qui en fixent les limites et sous condition de ne pas en abuser ; mais en application d’une jurisprudence désormais constante, la CEDH tend à privilégier une liberté d’expression et de critique renforcée lorsque, dans des domaines d’intérêt public comme la santé et l’environnement, la liberté de la recherche et le débat public apparaissent indispensables.
Enfin, on observera que la CNIL (Commission nationale informatique et libertés), qui dans son champ de compétences a commencé à réguler « l’alerte professionnelle », prévoit que des menaces sur la santé publique et l’environnement peuvent justifier le lancement de telles alertes.
La présente proposition confère un cadre et une véritable portée aux alertes informelles tout en s’inscrivant dans le cadre juridique existant. A cet effet, elle met en place des procédures nouvelles, prévoit la création d’une institution chargée de les mettre en œuvre et d’en assurer le respect, énonce, à une série de conditions soigneusement préétablies, un principe de protection des lanceurs d’alerte et prévoit des sanctions en cas de non-respect des règles ainsi établies.
Pour télécharger ou visualiser le projet de loi :
Projet de loi pour la déontologie de l’expertise et la protection des lanceurs d’alerte