Intervention de jacques Testart aux débats « déconfinons les sciences » organisé par Sciences Critiques le 6 novembre 2021 à Paris
Tout comme la croissance économique qui arrive à un plafond, l’activité de recherche devra rompre avec la croyance que ses voies et son intensité sont sans limites, une croyance pourtant contredite par la programmation thématique officielle qui ignore des voies possibles (la recherche « non faite ») comme par les continuelles restrictions budgétaires. La récente crise sanitaire s’ajoute au désastre environnemental pour révéler à beaucoup que les besoins des populations et de notre espèce ne doivent pas être calqués sur les choix financiers et court-termistes des industriels .
Riposter en temps de crise
La crise sociale ouverte par la pandémie covid-19 a imposé l’étalage des connaissances scientifiques dans l’information quotidienne. Liée à la révélation du manque de moyens pour les recherches sur les coronavirus, comme en témoigne le chercheur Bruno Canard , et à la perte de confiance dans la parole médicale et politique, l’activité intense mais peu sélective de retransmission d’informations entre les personnes, et surtout entre les internautes, a inhibé l’intelligence du citoyen sous la masse de textes et vidéos, sans véritables analyses critiques, et a conduit à la construction de la désinformation. Car chacun répète un discours pêché ici ou là, s’en fait une religion, devient familier du problème à force de nommer les cousins du virus par leur petit nom (epsilon, delta,…) , d’évaluer la fiabilité de la technologie PCR ou des tests sériques, d’évoquer la charge virale et la protéine spike comme on faisait en des temps plus sereins à propos des recettes de cuisine. Et, malgré ses bases aléatoires et parfois erronées, un avis est proclamé par chaque citoyen qui se croit informé, prêt à en découdre pour le défendre contre les autres avis tout aussi incertains. Jamais la population ne s’était autant investi dans des mécanismes biologiques et des hypothèses de riposte médicale. Certains s’enthousiasment de cet intérêt soudain pour la chose scientifique alors qu’en réalité c’est la peur qui commande. Les médias ont une large part de responsabilité dans cette pulsion épistémique désordonnée en nous bombardant de pseudo informations qui créent l’obsession sanitaire angoissante et qui stérilise les libertés. Alors que notre société prétend avoir élargi l’agora antique par la multiplicité des sources d’informations et la démocratisation de leur accès, elle aboutit ainsi à une caricature de démocratie. Pour masquer cette carence démocratique le pouvoir a mis en place un comité de citoyens mais ce dernier a été nommé pour faire accepter la politique gouvernementale de vaccination et n’a donc aucune fonction démocratique .
Pourtant il y eu aussi de véritables exemples d’actions citoyennes comme la fabrication de masques pour compenser les carences de l’Etat ou l’installation de dispositifs pour la ventilation des locaux. Surtout, des initiatives locales ont été prises par des populations pour s’organiser et mieux faire face à la crise en s’entraidant. Des « équipes d’arpentageépidémiologiques » déployées dans les communes, selon le test de contamination des eaux usées, ont été proposées. L’exemple du quartier le plus défavorisé de Mexico est intéressant: les habitants y ont créé une organisation communautaire non seulement pour assurer la solidarité mais aussi pour être « toujours attentifs à faire une analyse critique et à des réflexions politiques qui contribuent à la transformation et à la resignification de la réalité imposée ».
Pour le CNRS les couacs répétés dans les interventions des scientifiques ne reflètent pas des carences de connaissances ou des attitudes peu scientifiques mais plutôt le manque de culture de la population. Son comité d’éthique écrit que « la communication de crise a mis à jour une crise de la communication scientifique aux multiples facettes et d’une portée générale. L’un des enjeux pour la résoudre est indubitablement d’élever le niveau de culture scientifique des citoyens mais aussi des décideurs politiques, un devoir éthique auquel les chercheurs doivent contribuer »( avis du Comets, sept 2021 ). Ici, il n’est pas question d’impliquer les citoyens dans leurs façons de survivre, seulement de les assister par un hypothétique accès à la Science. Au contraire, la CNDP semble prendre conscience du déficit démocratique en déclarant: « Les défis de la transition écologique impliquent chaque personne et requièrent notre capacité à mobiliser l’expertise de toutes et tous, y compris l’expertise du quotidien. Ils exigent une attention toute particulière à la parole des plus éloignés de la vie de la cité et surtout une confiance sans faille dans la démocratie sous toutes ses formes »
Finalement, cette crise aura surtout été un terrain de jeu pour les industries du numérique comme l’avoue sur son site interne l’entrepriseThalès: « Les passeports vaccinaux joueront un rôle-clé dans la capacité des citoyens à accéder à toutes sortes de services et agiront comme des précurseurs au passage vers l’identité numérique sur téléphone portable » . Alors, écrit lucidement une épidémiologiste « La pandémie de COVID-19 a ainsi été la scène du déploiement des approches sanitaire et biosécuritaire, et de la perpétuation du solutionnisme technoscientifique »
Côté médical, aucun médicament n’est encore largement administré deux ans après l’apparition de ce nouveau virus mais la proposition de plusieurs vaccins en un temps inhabituellement court a été présentée comme la victoire d’une recherche scientifique vigilante. En fait, l’ARN messager est connu depuis 60 ans (F Gros, 1961) et des essais vaccinaux chez l’animal ont commencé en 1990. Les premiers essais contre des cancers humains ont débuté en 2008 et il avait suffit de 8 jours pour produire un vaccin anti grippal en 2013. Chacun de tels vaccins étant spécifique de la protéine choisie comme cible, la publication chinoise de la séquence de la protéine spike du virus SARS-CoV-2 dés le 23 décembre 2019 a permis la mise au point très rapide de plusieurs vaccins, souvent par des chercheurs n’appartenant pas à la grande industrie pharmaceutique. Ce qui n’empêcha pas celle-ci, déjà héritière des travaux menés dans les laboratoires publics, de décupler le prix des vaccins par rapport à leur coût de fabrication. Il faut se féliciter que ces vaccins anti covid se soient démontrés plutôt efficaces et n’aient à ce jour provoqué que de rares complications médicales mais on doit considérer que l’urgence sanitaire a permis de faire l’économie des essais règlementaires d’efficacité et d’innocuité, certains ayant même dénoncé là une véritable expérimentation humaine. Il devrait en être de même lors des prochaines pandémies puisqu’on ne sait lutter efficacement contre un microbe qu’en le connaissant et que, le plus souvent, on ignore largement l’identité originale du mutant jusqu’à ce qu’il nous attaque.
L’exemple récent et douloureux de l’obligation vaccinale et du pass sanitaire illustre la démagogie de ceux qui prétendent que la liberté d’expression suffit à faire vivre la démocratie, qu’il s’agisse des élections ou des choix technologiques. Que signifie « décider en conscience », « exercer son libre arbitre », quand le décideur ne dispose que de bribes de savoirs dont la plupart ne sont pas confirmés. Pour approcher la vérité dans les situations complexes il faudrait tout lire, tout entendre, tout questionner et tout discuter ce qui n’est pas à la mesure d’une seule personne. Cet «épisode » a stimulé la propension du sensationnel et de l’immédiat, activant le contraire de ce que nous pensons nécessaire pour la vie démocratique: des informations vérifiées et contradictoires, ce qui n’a rien à voir avec l’amoncellement de données ou de faits éparpillés et non contrôlés. Et l’appel traditionnel au « débat démocratique »où certains experts sont confrontés au public ne ferait qu’ajouter un degré dans ce qui est trop souvent une mystification. Dans les situations complexes il n’y a pas de « vérité », seulement un pari sur le plus vraisemblable en posant d’abord bien les problèmes à résoudre. Ce pari conduit à rechercher la meilleure probabilité d’être « dans le vrai », laquelle doit être confrontée ensuite à l’individualité de chacun (par exemple risquer de contaminer sa grand-mère ou accepter de ne plus jamais la voir vivante). Or, chaque personne est incapable de se saisir d’une masse aussi énorme d’informations, de démêler le vrai du faux et d’en conclure la bonne conduite à tenir. Aussi il est abusif de prétendre que les gens décideraient « en connaissance de cause » de se faire vacciner ou de porter un masque mais aussi de l’intérêt de tel ou tel médicament controversé. Les gouvernants en concluent que le public est incapable de comprendre l’information scientifique . On pourrait soutenir à l’inverse qu’une seule personne, qu’elle soit un politique un citoyen ou même un chercheur, est beaucoup moins armée pour comprendre qu’un collectif qui s’informerait largement et discuterait de tous les faits disponibles. Le pouvoir a imaginé de tels collectifs mais ils sont soit composés d’experts non dénués de conflits d’intérêts ou de certitudes partisanes malgré la carence de leurs savoirs, tels les comités scientifiques, soit aux ordres d’une politique pré établie comme le collectif citoyen pour la vaccination. Nous avons proposé plutôt un collectif citoyen d’information afin de rendre possible la vérité des faits mieux que le ferait tout particulier : composé de personnes indépendantes tirées au sort, motivées et disposant de l’environnement adéquat, avec du temps disponible et l’accès à tous les documents ainsi qu’aux divers experts. En se consacrant à l’analyse des données scientifiques et épidémiologiques disponibles ce collectif pourrait démêler le vrai du faux quant à la situation réelle mais aussi quant aux propositions techniques et médicales car l’intelligence collective caractérise toujours de tels groupes de travail. La production de ce comité serait médiatisée au quotidien et se conjuguerait avec l’organisation dans les quartiers et avec une formation généralisée à la pensée critique afin de résister aux fake news. Alors, seraient éprouvées des réponses à la pandémie en s’appuyant sur les réalités locales, en développant des mécanismes et des réseaux de solidarité, en menant des assemblées délibératives dans les écoles, les hôpitaux, les entreprises, les quartiers, associant personnels, syndicats, scientifiques, partis politiques et associations. Des retours d’expériences via le collectif citoyen permettraient de valider certaines pratiques.
Prévenir et riposter en continu
Ce collectif citoyen d’information n’est pas une convention de citoyens telle que la conçoit Sciences citoyennes (CdC) car la CdC n’est pas adaptée à l’urgence comme à l’immaturité du sujet, elle exige la disposition d’éléments factuels confirmés pour construire des hypothèses sérieuses. Aussi devons nous envisager deux niveaux d’intervention des citoyens face à la crise : l’urgence impose des réactions immédiates basées sur une information de qualité tandis que les causes présumées de cette crise imposent d’être proactif et de limiter les risques et la gravité des crises à venir grâce à une analyse non partisane et empathique, ce que permet la CdC (1). On sait que les pandémies n’apparaissent pas par hasard : leurs agents sont sélectionnés et propagés par de graves atteintes à l’environnement (déforestation, perte de biodiversité…) et par les modes de vie contemporains (urbanisation à outrance, hypermobilité, mondialisation…), sans oublier le réchauffement climatique, surtout dans le cas des bactéries qui devrait nous inquiéter. La CdC permettrait d’approfondir ces causes et de proposer des mesures préventives − telle la surveillance des milieux et des espèces hôtes de virus− autant que des investissements dans la recherche − comme sur les « covids longs » et les médicaments − et dans les capacités hospitalières − personnels et matériels, surtout en réanimation. Evidemment le rôle des développements technoscientifiques dans les déséquilibres du vivant serait interrogé puisque la modernité technique est impliquée dans toutes les causes suspectées des pandémies, et que, dans l’hypothèse d’une fuite du virus SARS-CoV-2 fabriqué dans un laboratoire de virologie, c’est la recherche scientifique elle-même qui devrait être mise en cause, comme nous le verrons plus loin.
Faut-il arrêter la recherche ?
Dans sa célèbre intervention au CERN en 1972, le mathématicien Alexandre Grothendieck refuse l’implication du militaire dans la recherche scientifique et affirme qu’il faut désacraliser la science pour aller vers « un changement de civilisation. ». Il ajoute « …je pense même que la science la plus désintéressée qui se fait dans le contexte actuel, et même la plus éloignée de l’application pratique, a un impact extrêmement négatif ». L‘héritage de Grothendieck est souvent revendiqué par des groupes contestataires mais il semble qu’aucun ne cautionne son radicalisme extrême en rejetant globalement toutes les thématiques possibles de recherche. Ainsi le biophysicien François Graner invité par le groupe Pièces et main d’oeuvre (PMO) termine un long développement sur les faillites scientifiques dans la récente pandémie par une conclusion plus générale :« Il nous faut d’urgence, écrit-il, déterminer et imposer un cadre de valeurs permettant d’anticiper et de trier à la fois les pistes de recherches et leurs applications, pour en réfréner toute la démesure, en couper tous les liens non seulement avec la guerre des humains entre eux, mais aussi avec la guerre des humains contre le vivant ; et engager l’humanité vers la diminution consentie de l’effort global de recherche et des inégalités. En sommes-nous capables ? Si non, la question lucide de Grothendieck se pose sérieusement : devons-nous arrêter de faire de la recherche scientifique ? ». Proche de PMO, le groupe Oblomoff reconnaît également que toutes les recherches ne peuvent pas être rejetées et écrit: « Certes, un corpus de connaissances rigoureusement établi sera toujours indispensable, tout comme l’élaboration de techniques au service des communautés humaines »..
Après son retrait et durant sa vie d’ermite dans une cabane, Grothendieck a néanmoins poursuivi ses travaux de mathématiques, recherche solitaire sans crédits ni matériels qui serait impossible pour un biologiste moléculaire…mais qui montre qu’il admettait que certaines recherches sont licites.
Décider quelles recherches sont prioritaires
Plutôt que nier l’intérêt de toute recherche on peut imaginer une science qui ne serait pas animée par l’obsession de croissance. Contre ce modèle intenable il faut bifurquer vers une trajectoire soutenable de décroiscience, grâce à une « slow science » où les recherches scientifiques se placeraient résolument au service des populations et se feraient avec elles (recherche participative). La liberté revendiquée par les chercheurs s’en trouverait sans doute limitée mais alors c’est que cette liberté était abusive puisque l’ activité des chercheurs est supposée concourir au bien commun, qu’elle est prise en charge par la société et que ses effets atteignent une puissance démesurée de plus en plus susceptible d’induire des nuisances pour notre espèce. De plus, nul n’envisage d’empêcher les recherches dites fondamentales, pour une meilleure connaissance du monde, dés lors qu’elles se situent très en amont d’éventuelles applications et qu’un système de vigilance ferait garde-fou aux dérives. Finalement, s’il appartient aux citoyens bien informés de choisir les recherches qu’ils souhaitent soutenir, cette politique révolutionnaire serait aussi le moyen de réenchanter les laboratoires et leurs chercheurs, réduits par les contraintes économiques à être de plus en plus en porte-à-faux avec la société. Ceux qui affirment que les objets de la recherche ne doivent pas être interrogés acceptent pourtant les impasses de la science non faite. Certes il faut faire des choix thématiques mais pas seulement par économie comme aujourd’hui, plutôt parce que certaines recherches ne servent pas le bien commun et que d’autres seraient bénéfiques au mieux être de la majorité des humains.
Prenons quelques exemples récents concernant la génétique. A propos des modifications du génome humain, grâce à la technologie crispr-Cas, un académicien des sciences écrit « Alors, pour ou contre ?Pour, si agir sur les génomes se fait dans l’intérêt du plus grand nombre et en particulier des plus nécessiteux. Contre, si agir sur les génomes se fait uniquement pour le bénéfice de quelques -uns. Le problème, assure-t-il, , n’est plus scientifique, mais économique, juridique et politique. »(2). Ce jugement, en apparence humaniste, néglige le fait que la société néo libérale se montre incapable de réaliser une telle équité quand les plus récents traitements peuvent dépasser le million d’euros. De plus, ce raisonnement fait l’impasse éthique sur ce que signifie le pouvoir de design sur l’espèce humaine: est-ce vraiment dans « l’intérêt du plus grand nombre » ? et il se nourrit des certitudes scientistes sur la capacité de maîtriser tous les effets des techniques , une croyance démentie par de nombreux travaux qui démystifient cette crispérisation du vivant en montrant ses effets indésirables non maîtrisés: ainsi des mutations hors du site de modification génétique ciblé, ou la persistance de séquence d’ADN dans le génome modifié, ou encore la chromothripsie, une « forme extrêmement dommageable de réarrangement génomique » dans les embryons modifiés. Pourtant l’OMS indique déjà les bonnes raisons de modifier le génome humain, comme si l’organisme onusien souhaitait avancer vers un transhumanisme éclairé. S’agissant de génomes non humains, l’hypothèse désormais solide que la recherche d’un « gain de fonction » du coronavirus, par le laboratoire international de Wuhan (Chine) pourrait être à l’origine de la pandémie covid, devrait être édifiante pour ceux qui doutaient de la nécessité d’abandonner de telles recherches. Dernier exemple: la récente loi de bioéthique ouvre un boulevard eugénique à la médecine de la procréation en favorisant la recherche pour la production en laboratoire de gamètes artificiels, avec l’argument rabâché de la connaissance scientifique, mais sans évoquer la perspective d’une sélection généralisée des enfants parmi des centaines possibles.
La confusion du progrès avec l’innovation épuise l’argumentation éthique et cette loi dite de « bioéthique » annonce une société technocratique, hygiéniste et sécuritaire, d’autant que ses récents ajouts ne constituent qu’une sélection présentable parmi des propositions plus audacieuses des institutions scientifiques et éthiques, propositions qui ne manqueront pas de s’imposer bientôt.Voilà quelques recherches dont nous croyons que l’humanité n’a pas besoin et qu’il faudrait soumettre au jugement bien éclairé des citoyens en les incitant à substituer leurs vrais besoins de recherche à ceux de la machine aveugle de l’innovation. Il existe de tels besoins dans tous les domaines comme le montre le rapport HorizonTerreélaboré par plusieurs associations pour proposer des orientations de recherche nouvelles et en rupture avec les propositions du parlement européen (Horizon Europe) à forte dominante techniciste qui sous-évaluent dramatiquement l’ampleur et la nature des changements à opérer. Les imaginaires sont largement colonisés par une certaine représentation du monde et de l’avenir où il suffirait de n’utiliser qu’ « à bon escient » les pouvoirs obtenus par la science. C’est oublier que ces pouvoirs sont acquis au détriment d’autres possibles, d’alternatives crédibles dont ils empêchent l’émergence. Rompre avec cet imaginaire est une première exigence que l’on doit avoir envers des sciences qui confortent bien souvent la vision illusoire et pro-croissance des lendemains qui chantent.
Les enjeux de la technoscience, que les optimistes évaluaient il y a quelques décennies selon le principe humaniste de responsabilité (Hans Jonas) se sont vite placés, dans les meilleurs cas, sous le principe juridique de précaution, lequel n’évalue pas les finalités, pour finalement ne plus dépendre que du principe économique d’innovation, le nez sur le guidon de la croissance. Ainsi s’est affirmée la tentation d’un techno pouvoir grâce au scientisme des comités d’éthique, au culot des experts scientifiques, à l’inconscience des politiques, à l’appétit des industriels et à la gourmandise de la population abusée.
Contre ce techno pouvoir, les choix des grandes thématiques de recherche avec et pour les citoyens ne peuvent provenir que de la population, au nom de laquelle se fabrique le supposé progrès. La récente loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)considère la recherche comme une entreprise, la priorité étant donnée à l’innovation compétitive plutôt qu’aux sciences qui permettraient de mieux comprendre le monde ou aux technologies qui l’aideraient à vivre. C’est pourquoi Sciences citoyennes a proclamé, lors de la discussion de cette loi, le rôle déterminant qui doit revenir dans les choix programmatiques à des conventions de citoyens, lesquels seraient dénués de conflits d’intérêts et parfaitement éclairés. Donnons à la philosophe Isabelle Stengers le mot de la fin: « Pourquoi aujourd’hui le cri « sauvons la recherche ! » s’adresse-t- il à un public qui doit se garder de l’idée qu’il pourrait avoir son mot à dire sur les choix de recherche, un public qu’il faut maintenir dans son rôle de bénéficiaire reconnaissant et respectueux ? ».
- Jacques Testart, L’humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun, Seuil, 2016
- Bernard Dujon, « Nous sommes tous des mutants », le monde diplomatique, juillet 2017
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