L’opinion et les associations citoyennes ont dès le début défendu un service public de recherche. Porteuses des besoins non marchands de notre société et d’une exigence de démocratisation des choix techno-scientifiques, elles ont été mises à l’écart. Puis au printemps 2004, la lutte des chercheurs s’inscrivait dans le cadre plus large d’un refus de la « guerre à l’intelligence » menée par le gouvernement Raffarin. Mais faute d’avoir intégré durablement les demandes de la société civile, les chercheurs ont réduit leur discours à une défense catégorielle mâtinée d’invocations à la « compétitivité ». Ils n’ont pu mobiliser les citoyens et les médias contre une loi qui est alors passée sans encombre.
Cette loi ne prévoit aucun dispositif pour démocratiser les choix scientifiques – alors qu’un processus participatif de type « conférence de citoyens » avait été proposé par la Fondation sciences citoyennes -, et donne aux poussiéreuses et scientistes académies un rôle d’évaluation des choix scientifiques et techniques au lieu de renforcer celui du Parlement. Elle amplifie la mise sous tutelle de la recherche publique par les logiques marchandes à court terme : plus des trois-quarts des suppléments budgétaires vont à l’innovation industrielle et au pilotage de la recherche publique par les entreprises. Quant au Haut conseil de la science et de la technologie, il sera un club de mandarins et d’entrepreneurs nommés. Le dialogue avec la société se réduit une fois de plus à une diffusion paternaliste de la « culture scientifique ».
Les aspirations de la société civile à co-produire des savoirs n’ont pas été reconnues. On retrouve la même dénégation dans les projets de loi sur les obtentions végétales et sur le droit d’auteur. Par la formule floue « découverte et développée », la première permet aux semenciers de s’approprier les variétés issues d’un travail de sélection paysanne alors qu’elle leur interdit en retour d’utiliser librement les variétés commerciales pour les ressemer ou les améliorer. Ce texte, ajouté à d’autres dispositifs, renforce le déni fait aux agriculteurs de jouer le rôle de conservateurs de la biodiversité cultivée et d’innovateur que certains d’entre eux assurent pourtant avec passion (Réseau semences paysannes).
Le bilan de la loi sur le droit d’auteur est plus contrasté : si l’échange de fichiers protégés par droit d’auteur et la conception d’outils le facilitant seront plus facilement réprimés (jusque 3 ans de prison !), le logiciel libre se voit renforcé indirectement. Pourtant, nos politiques ne comprennent toujours pas que les processus sociétaux de création de biens communs informationnels sont une stratégie d’innovation gagnante en France et en Europe.
Ces trois textes législatifs, in fine, témoignent d’un même entêtement à penser la recherche et la création dans des cadres monopolistes périmés. Comment ne pas voir qu’aujourd’hui ce ne sont plus seulement des entreprises et des centres de recherche mais de partout qu’émergent des savoirs et des innovations bénéfiques à la société ? Face aux oligopoles s’affirment d’autres architectures de production et d’échange de connaissances et de richesses. Une société de pair à pair (média alternatifs participatifs, sphère internet, réseaux distribués d’usagers-chercheurs, d’usagers-créateurs culturels) érode la toute puissance des dispositifs magistraux – la télé comme rendez-vous de masse sur un même programme, les majors comme intermédiaires obligés, le modèle descendant de diffusion de savoirs et innovations standardisés. Avec les forums d’associations de malades, le développement de médicaments par Médecins sans frontières contre les maladies négligées, l’échange de graines et de savoirs entre amateurs ou entre paysans, les communautés de développeurs de logiciel libre ou de bénévoles contribuant à l’encyclopédie Wikipédia, etc., ce sont d’autres moteurs que l’appropriation et le profit qui sont à la source de la création et des innovations : le plaisir de donner, de recevoir et d’être reconnu, l’utilité collective. Avec des certifications de qualité qui ne s’appuient plus sur les seules enclosures professionnelles, mais sur la vigilance et l’intelligence collective d’un réseau ouvert et distribué d’usagers-contributeurs. Les firmes ont déjà appris à composer avec cette nouvelle donne dans le sens de leurs intérêts. Il n’est que temps pour nos décideurs politiques et scientifiques de reconnaître et soutenir ces processus pour reconstituer des biens communs face à la marchandisation des savoirs, de la culture et du vivant.