Comme on nous parle… des kits de xénopes génétiquement modifiés…

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mardi 29 janvier 2013

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Une start-up, WatchFrog [1], soutenue par les autorités et des programmes publics divers, propose une « méthode originale » pour détecter les polluants dans l’eau, « peu coûteuse, rapide et éthique »[2]. L’opération consiste à modifier génétiquement des têtards de grenouilles (xenopus laevis) pour les rendre sensibles et fluorescents en présence de certains polluants, particulièrement les perturbateurs endocriniens[3]. Il s’agirait d’une nouvelle technique  justifiée par « le risque que représentent les résidus médicamenteux pour l’environnement et la santé des écosystèmes »[4] .  Des essais se dérouleraient déjà, prenant la forme de laboratoires mobiles d’analyse des eaux usées de l’hôpital  de Corbeil-Essonne[5].  Il est précisé que le kit xénope GM sera proposé aux 2.700 établissements hospitaliers français[6].

Au-delà des éléments de langage de WatchFrog largement relayés[7], la nouvelle technique d’analyse pose beaucoup de questions.

Sur le plan réglementaire, qui et comment a-t-on pu autoriser de tels essais ? Le Haut Conseil des Biotechnologies ? Les comités d’éthique sur l’expérimentation animale ? Les ministères de l’Environnement ou de l’Agriculture ? Qui a émis un avis favorable sur l’utilisation de ces animaux génétiquement modifiés ? ou l’annonce de la généralisation de ces kits relèverait-elle d’une opération marketing ?

Sur le plan écologique, cette technique entraînera forcement des disséminations involontaires de têtards de xénopes alors même que cet amphibien invasif fait l’objet d’un arrêté ministériel[8] interdisant son introduction sur le territoire métropolitain. Quid du principe de précaution ? On peut s’inquiéter de la possibilité que des xénopes OGM se répandent dans l’environnement d’autant qu’il s’agirait de kits mobiles, à coût réduit ne requérant pas de techniciens spécialisés. Les histoires d’animaux de laboratoire retrouvés dans la nature sont innombrables[9].

Pire encore, que penser de la dissémination de xénopes génétiquement modifiés dont on ne sait rien ? On ne sait toujours pas ce que peut devenir à terme un OGM, quelles interactions peuvent exister entre le morceau d’ADN inséré et le génome de l’organisme récepteur, ni ce qui est susceptible de se passer avec d’autres espèces par transfert latéral de gènes. La littérature scientifique montre que la transgénèse ne produit pas seulement les effets escomptés mais s’accompagne aussi de dégâts collatéraux comme par exemple, pour les plantes transgéniques, la résistance aux pesticides et nuisances qu’elles sont censées combattre.

La logique enfin, qui consiste à détecter les résidus médicamenteux et perturbateurs endocriniens après coup est contestable quand elle ne s’accompagne pas de la prévention pour réduire ces polluants à la source. La France est le 1er pays consommateur de médicaments au sein de l’Union européenne (à usage humain et vétérinaire) et le second marché mondial des médicaments vétérinaires après les USA [10].

Dernier élément de contexte : l’enquête menée par Marc Laimé [11]sur l’ingénierie de l’eau «Ces dernières années, une cinquantaine de laboratoires publics d’analyse ont fermé […] deux multinationales de l’analyse ont  récupéré près de 70% du marché des contrôle de qualité effectués sous l’égide du Ministère de la santé par les agences régionales de santé. »  Si il fallait un argument supplémentaire pour refuser ce kit de xénopes génétiquement modifiés, celui-ci est de taille : qui pourrait en prendre la responsabilité de généraliser cette technique dans de telles conditions ?


[1] « WatchFrog est une entreprise de biotechnologie implantée à Génopole, exploitant exclusif d’un savoir-faire du Muséum National d’Histoire Naturelle []». communiqué de presse de WatchFrog, 22 nov. 2012. Elle serait liée aussi à une multinationale de la bio-analyse : Eurofins Scientific.

[2] Communiqué de presse de WatchFrog, 22 nov. 2012

[3] Les perturbateurs endocriniens sont des polluants comme les phtalates, bisphénol A, PCB, pesticides, présents partout, connus depuis longtemps (cf. Déclaration de Wingspread de 1991), pour détériorer les fonctions vitales, même à faibles doses.

[4] Communiqué de presse de WatchFrog, 22 nov.2012.

[5] Idem.

[6] Comme beaucoup de medias, le blog Planète du Monde reprend,  le  22 novembre 2012, l’explication de WatchFrog : « Les établissements hospitaliers français génèrent environ 10% des résidus médicamenteux retrouvés dans les eaux de surface».

[7]Les éléments de langage tels que « La biotechnologie au service de la santé publique » Communiqué de presse de WatchFrog du 22 nov.2012, ou «Les amphibiens deviennent des héros », conférence sur les Perturbateurs Endocriniens et Biodiversité du 28 avril 2011  réapparaissent dans de multiples articles notamment dans Les nouvelles vigies de l’environnement – Ouest-France, 3 sep.2012.

[8] Arrêté ministériel du 30 juin 2010.

[9] Justement le xénope est un cas de figure : importé d’Afrique dans les années 60, il se reproduit au rythme 500 à 4.000 œufs par ponte et détruit les écosystèmes aquatiques. D’autant que le xénope peut être porteur sain de la chytridiomycose qui est une maladie infectieuse fatale affectant les amphibiens.

[10] Médicament et environnement – La régulation du médicament vis-à-vis du risque environnemental, Michel Bouvier, François Durand, Rémi Guillet- Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement: nov.2010.

[11] Gestion de l’eau : fin de l’ingénierie publique et faillite du conseil privé, Marc Laimé, Les blogs du Diplo, Le monde diplomatique, 11 déc.2012.