Le 25 avril 2013 était organisée au CNAM la première séance du forum public sur les enjeux de la biologie de synthèse, organisé par l’observatoire de la biologie de synthèse1. Le thème retenu pour ce premier débat était « La biologie de synthèse existe-t-elle ? ». Trois personnes avaient été invitées pour introduire les échanges : Jean Weissenbach (chercheur, Genopole), Jacques Aiech (chercheur en BS à Strasbourg) et Jean Gayon (chercheur, historien des sciences). Une centaine de personnes étaient présentes dans la salle et le débat était retransmis en direct sur Internet.
Mais le débat n’a pas eu lieu. Une quinzaine de personnes, portant des masques de chimpanzés, en ont empêché la tenue, ont déployé une banderole « Non à la vie synthétique » et invité les participants à rentrer chez eux. « Participer, c’est accepter » ont répété les chimpanzés à plusieurs reprises. La présence de lycéens, venus en nombre dans le cadre d’un projet scolaire2, a toutefois permis que se tienne une discussion assez générale sur les technosciences.
Le texte ci-dessous n’est pas une analyse des questions que pose la biologie de synthèse. Pour connaître l’état des réflexions de l’association sur ce point, nous avons rassemblé en fin de documents quelques textes écrits par nous ou par les ONG avec lesquelles nous travaillons pour construire une contre-expertise associative sur la question. Ce texte a pour objet de préciser la position de la fondation sciences citoyennes dans la séquence de débat public en cours sur la biologie de synthèse.
Les raisons de la participation de la fondation Sciences Citoyennes au forum sur la biologie de synthèse
L’observatoire de la biologie de synthèse est une initiative lancée par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pour organiser les conditions d’un débat présenté comme « informé et contradictoire » autour de cette discipline scientifico-technique émergente. La biologie de synthèse est un domaine de recherche est encore peu développé en France par rapport à d’autres pays (notamment les Etats-Unis et le Royaume-Uni). Peu de chercheurs ou de laboratoires s’y rattachent et les financements publics français clairement fléchés sur le domaine sont encore mineurs. Mais cette exception pourrait bien ne pas durer longtemps. L’actuelle ministre de la recherche, Geneviève Fioraso, alors députée, a produit en 2012 un rapport sur les « enjeux de la biologie de synthèse »3, résolument « en faveur de la recherche et de l’innovation dans la BS en France ». Pour Fioraso, la biologie de synthèse n’est rien moins qu’ « un élément de réponse aux enjeux énergétiques, environnementaux, médicaux, alimentaires auxquels le monde devra répondre dans ce siècle » (excusez du peu…).
L’observatoire, hébergé par le CNAM, rassemble une vingtaine de personnes4 : des chercheurs se rattachant au domaine, des représentants des différents organismes de recherche, agences et structure de régulation, des personnalités « qualifiées » (sociologue, juriste, philosophe), des représentants de l’industrie et des représentants associatifs (dont Catherine Bourgain pour FSC). Ses missions ont été structurées en trois temps5 : constitution d’un site internet de référence rassemblant un maximum d’informations sur le sujet ; organisation d’un cycle de débats publics contradictoires pour faire émerger le maximum de questions posées par la BS ; organisation d’une conférence de citoyens pour obtenir des recommandations sur le sujet.
La décision de participer à cette observatoire a été largement débattue au sein du Conseil d’Administration de FSC. S’agissait-il d’une énième procédure de débat public mascarade, dont l’objectif est en fait de pouvoir dire « Mais si, nous avons consulté ! », alors que toutes les décisions sont déjà prises avant même que le débat n’ait lieu ? FSC, qui travaille à « faire entrer les sciences et techniques en démocratie », prend régulièrement des positions publiques pour dénoncer ces simulacres de démocratie. Nous avons notamment faire entendre notre critique à propos du débat public sur les nanotechnologies6. Si nous avons décidé de participer à cet observatoire, c’est parce qu’il nous a semblé que certaines conditions étaient cette fois remplies pour que le débat ne se résume pas à une procédure d’acceptabilité de la biologie de synthèse, et qu’il pourrait valoir le coup de participer à en faire un débat réellement contradictoire et informé autrement que par les seuls défenseurs zélés du domaine.
Les conditions en question étaient de deux ordres. D’une part, la participation de groupes ou personnes ouvertement critiques sur les développements de la biologie de synthèse. D’autre part, le fait que le débat était posé en amont de grandes décisions d’orientation des crédits publics de recherche sur le sujet. Il existe bien un enjeu concret autour de la biologie de synthèse : dans quelle mesure le pays va-t-il soutenir le développement de ce domaine ? Quel type de recherches va-t-il financer ? Quelle place pour les voies alternatives de réponse aux problèmes soulevés ? Alors qu’une partie de ces questions était déjà tranchée lorsqu’a été organisé le débat sur les nanos, ce n’est pas le cas pour la biologie de synthèse.
Nous étions toutefois conscients que toutes les conditions pour que ces séquences de débat conduisent effectivement à influer sur les enjeux sus-cités, n’étaient pas clairement remplies. En particulier, le ministère ne s’est pas engagé sur la position qu’il prendra une fois les recommandations finales connues. Quelles seront leurs conséquences ? Les décisions politiques seront-elles systématiquement justifiées au regard des recommandations ? Les décisions importantes sur la biologie de synthèse attendront-elles la publication des recommandations avant d’être prises ?
Nous savons aussi que la décision publique ne fait pas tout. La BS se déploie aussi dans le privé et dans d’autres pays.
En conséquence, nous avons considéré que notre participation à l’observatoire ne valait pas soutien inconditionnel, et que nous serions vigilants aux évolutions des politiques publiques sur le sujet de façon à reconsidérer, le cas échéant notre décision.
Le premier débat sur la biologie de synthèse dans son contexte
Une fois le site internet de l’observatoire mis en place7 (encore très incomplet toutefois), l’observatoire a été chargé de penser l’organisation du cycle de débats baptisé « Forum de la biologie synthétique ». Pour ce faire, il a été décidé de réunir un comité de pilotage élargi d’une trentaine de personnes8 . Dans la foulée de la première réunion de ce comité élargi, pour tenir un calendrier serré d’organisation du débat, a été annoncée la première séance du Forum, avec en ligne de mire l’organisation de trois autres séances au cours de l’année 2013, pour couvrir une diversité de questions.
Cette précipitation n’a pas été sans conséquence. Alors que plusieurs membres du comité de pilotage du forum, dont FSC, avait fait valoir l’importance de ne pas inviter que des chercheurs pour la séance de lancement du débat mais de mettre en scène les vraies raisons d’un débat public, par exemple en conviant un représentant du réseau d’ONG internationales mobilisées pour analyser de façon critique les développements du domaine, l’idée n’a finalement pas été retenue. Les trois intervenants de cette première séance étaient donc trois chercheurs. La présentation de la controverse était réduite à une controverse interne à la communauté scientifique : la biologie de synthèse est-elle un domaine radicalement nouveau ou pas ?
En ce sens, il est clair que cette première séance prêtait fortement le flan à la critique. N’inviter que des chercheurs à la tribune au moment de lancer le débat sur la biologie de synthèse présage mal d’une volonté d’ouverture large du dialogue sur le sujet, une volonté de mettre sur la table tous les enjeux scientifiques, démocratiques, économiques, sociétaux, environnementaux…
Certes, l’observatoire avait prévu d’introduire ces autres aspects dans les séances suivantes, mais cette première séance était aussi celle de lancement des débats. Ne pas afficher dès le départ une ouverture réelle du débat était une erreur.
Et après ?
Après le fiasco de ce premier débat public avorté, l’observatoire de la biologie de synthèse a décidé de suspendre l’activité du forum, de façon à prendre le temps de mieux le construire (sur le fond des questions posées, personnes invitées et sur la forme donnée au débat).
La Fondation Sciences Citoyennes a décidé pour sa part de poursuivre pour le moment, sa participation aux travaux de l’observatoire. Il nous semble en effet que ce premier débat n’était pas à l’image des réunions tenues au sein de l’observatoire jusqu’ici. Au cours de ces réunions, des avis très contrastés ont pu être exprimés et écoutés. De la même façon, tous les documents critiques produits par les ONGs internationales que nous avons demandé à faire apparaître sur le site internet de l’observatoire, ont été mis en ligne… Il nous semble qu’un débat mettant sur la table tous les enjeux à l’oeuvre autour de la biologie de synthèse a encore sa chance d’être organisé par cet observatoire.
Mais, nous avons bien conscience de prendre un risque en faisant ce pari. Le risque de cautionner un processus pipé d’avance, et de se faire en quelque sorte « récupérer ». En conséquence, notre participation continuera à être une participation vigilante, critique et non inconditionnelle.
Aussi, la Fondation Sciences Citoyennes appelle toutes les associations mobilisées par les questions démocratiques, scientifiques, écologiques… à s’intéresser de près à la biologie de synthèse et à prendre part à la vigilance sur les conditions du débat public en cours.
Discipline qui travaille à produire des OGM 2.0 pour réparer « les dégâts du progrès » et construire un avenir « technologique, vert et radieux », la biologie de synthèse est un domaine dans lequel les convergences entre industriels et académiques atteignent un niveau encore inégalé.