« Le principe de précaution reste extérieur au travail »

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mardi 22 juin 2004

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Après la catastrophe sanitaire de l’amiante, le système de prévention des risques professionnels a-t-il été amélioré ?

Non, cela n’a rien changé : le principe de précaution reste extérieur au milieu du travail. Prenez l’exemple des valeurs limites professionnelles (VLP), ces normes d’exposition préconisées en milieu de travail. Fondées sur une philosophie datant des années 30, elles restent le fruit d’un compromis social et non pas d’une évaluation sanitaire. On voit ce que cela a donné avec l’amiante : la VLP adoptée n’a pas empêché la catastrophe sanitaire. Les VLP correspondent à un niveau de risque jugé acceptable mais qui est en fait très élevé. C’est une protection tout à fait illusoire qui expose une personne sur dix ou une personne sur cent à un produit cancérogène concerné.De plus, il n’existe que 600 VLP alors qu’il y a 100 000 substances chimiques sur le marché européen. Parmi les 30 000 les plus utilisées, seules 3 % ont été évaluées par rapport à leur toxicité pour la santé humaine ! Beaucoup ont des effets multiples et on manque de connaissances en toxicologie, épidémiologie et expologie. Mais il est sûr que, parmi les produits chimiques utilisés en milieu professionnel, certains ont un effet cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction, qui n’a pas encoré été identifié []. Il est imposible de ne pas faire le rapprochement entre le développement de certains cancers ces dernières années et l’exposition à un nombre croissant de substances chimiques. C’est tout l’intérêt du programme européen Reach que d’introduire la précaution dans la gestion du risque chimique.

Le Plan national santé environnement (PNSE) marque-t-il un progrès ?

Le rapport préparatoire au PNSE faisait en tout cas un constat important : on a sous-estimé les atteintes à la santé liées au travail, en se focalisant sur les accidents de travail. En feignant de croire que les maladies professionnelles reconnues donnaient la bonne mesure de la situation. Or elles ne reflètent pas la réalité : avec une population dix fois moindre que celle de la France, la Finlande enregistre beaucoup plus de maladies professionnelles ! Il y a chez nous une forte sous-estimation.

Vous pointez les limites de la médecine du travail

Tirer les leçons de la catastrophe de l’amiante, c’est aussi revoir l’organisation institutionnelle de la médecine du travail. Créée en 1945, elle repose toujours sur les principes de l’époque. Par exemple, le fait de confier aux employeurs à la fois l’évaluation des risques et la gestion des risques : l’affaire de l’amiante a démontré que l’employeur a toujours intérêt à minimiser les risques liés au travail. En revanche, il faut établir un lien entre généralistes et médecins du travail pour mettre fin à la coupure entre soins et prévention face à des maladies qui se déclarent longtemps après la période d’exposition, comme les cancers.

Libération 22/06/04


[] Ainsi, le formol, classé cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer, la semaine dernière. Plus d’un million de travailleurs y seraient exposés actuellement dans l’Union européenne.