Marcher oui, mais vers des sciences citoyennes !

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mercredi 12 avril 2017

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Les messages que Donald Trump délivre depuis son arrivée à la Maison-Blanche sont sans ambiguïté sur bon nombre de sujets : immigration, femmes, santé, climat et environnement. Rapidement, il a démontré qu’il n’avait que faire du réchauffement climatique : refus de toute limite à l’extraction et à la combustion des énergies fossiles, remise en route du projet du gigantesque oléoduc Keystone XL reliant le Canada aux États-Unis, nomination de deux climato-sceptiques au ministère de l’Énergie et à la tête de l’Agence pour la Protection de l’Environnement (EPA), de l’ex-PDG d’ExxonMobil à la tête de la diplomatie, annulation des 3 milliards de dollars de subventions fédérales promis au Fonds vert pour le climat de l’ONU. Cet entêtement aveugle pour les énergies fossiles a lieu alors que le mois de février 2017 a été le deuxième plus chaud depuis le début des relevés en 1880 (source NASA) et devrait être supérieur de 1,38°C par rapport à la moyenne de la période préindustrielle.

Trump « ne croit pas au réchauffement climatique ». Or ceci n’est pas une question de croyance, mais un fait établi en particulier par les rapports des scientifiques du GIEC. Le climato-scepticisme, la post-vérité et l’industrie du déni sont désormais au plus haut du pouvoir étatique aux États-Unis et veulent mettre le travail des scientifiques au service des intérêts des lobbies religieux et industriels.

Dès lors, l’inquiétude a gagné les scientifiques états-unien-e-s entré-e-s en résistance et qui cherchent à anticiper les mauvais coups politiques en matière de climat et d’environnement. Ils/elles ont lancé une opération de collecte de données (données sensibles susceptibles d’être effacées sur ordonnance), baptisée Data Refuge, pour stocker des données gouvernementales relatives au climat sur des serveurs indépendants. Ils/elles appellent à l’organisation d’une March for Science à Washington et dans d’autres villes, à l’image de la Women’s march, le 22 avril prochain, le Jour de la Terre.

En solidarité avec cet événement, des marches sont prévues le même jour dans de nombreux pays, en particulier en France.

Si l’association Sciences Citoyennes sera présente lors de ces marches, elle tient néanmoins à mettre en garde contre la constitution d’une sainte alliance anti-Trump qui risque d’aboutir à une amnésie sociale comme celle qui s’est manifestée lors du vote par le parlement européen de l’accord de libre-échange UE-Canada. En effet, le front anti-Trump n’a pas manqué de servir d’argument pour imposer le CETA et ses conséquences néfastes aux citoyen-ne-s canadien-ne-s et européen-ne-s. La condamnation des politiques de Trump et des intérêts qu’il représente ne doit pas servir de prétexte à légitimer en bloc ce qui se pratique de notre côté de l’Atlantique.

Si pour les initiateurs de ces événements, « Marcher pour les sciences le 22 avril, c’est montrer le soutien et l’attachement des citoyens aux principes d’indépendance de la recherche, c’est défendre la construction des savoirs face aux opinions et idéologies préconçues, c’est affirmer la nécessité du dialogue entre sciences et sociétés, et exiger la prise en compte du travail scientifique dans les décisions politiques », posons-nous la question de ce que signifient réellement ces revendications :

  • Comment parler du soutien aux principes d’indépendance de la recherche alors que celle-ci est pilotée, financée, encadrée, évaluée dans le but ouvertement assumé d’alimenter la sacro-sainte croissance ? La recherche effrénée de l’innovation amputée de toute notion de progrès humain ou sociétal, n’est-elle pas elle aussi une idéologie préconçue ? L’association Sciences Citoyennes dénonce la fuite en avant techno-scientifique du monde de la recherche qui asservit des chercheur-e-s déresponsabilisé-e-s et réduit-e-s à traquer en permanence les moyens de leur recherche.
  • Comment, dans ces conditions, parler de liberté de la recherche dans un système dont les modes de financement jettent les jeunes chercheurs et les thésards, dans la précarité et les équipes de recherche dans le champ de bataille de la compétitivité ?
  • Comment renforcer le dialogue entre sciences et sociétés si les citoyen-ne-s sont jugé-e-s inaptes à participer à la discussion des choix de recherche ? Tout au plus leur soutien est-il demandé de temps à autre pour sauver la science.
  • Quelle science soutenir quand la recherche actuelle n’a pas comme objectif premier la transition vers des modes de vies plus soutenables ? Au contraire, elle participe largement à une fuite en avant où la technoscience est à la recherche continuelle de solutions techniques à la résolution des dégâts causés par elle-même. Loin du bien commun, nous allons dans une impasse sociale et écologique
  • Quelle recherche ? Quelles priorités ? Quels financements ? Quelle organisation ? L’ensemble de ces questions concerne tou-te-s les citoyen-ne-s et ils/elles doivent pouvoir apporter leurs éléments de réponses au cours de Conventions de Citoyens par exemple.
  • Enfin, que signifie « convaincre les politiques de mieux prendre en compte les résultats scientifiques dans leurs décisions » alors que ces derniers utilisent la plupart du temps les sciences comme l’ivrogne le lampadaire pour s’appuyer dessus plutôt que pour s’éclairer. Bien sûr que la société doit se saisir de ce que toute l’activité scientifique produit. Mais subordonner le politique au scientifique, la démocratie à un gouvernement d’experts, certainement pas !

Au-delà d’une position consensuelle et creuse de défense d’une science mythifiée et trop souvent aveugle aux défis contemporains, l’association Sciences Citoyennes propose une reprise en main du système actuel de la recherche par la société dans son ensemble, dans le cadre démocratique d’une transition énergétique, écologique et sociale.

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