L'autre vérité sur le cancer

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lundi 6 septembre 2004

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La progression des cancers en France peut-elle être imputée seulement au vieillissement de la population, à l’alcool et au tabac ? Tel était le sens du point de vue très surprenant de Catherine Hill et Maurice Tubiana, « La vérité sur le cancer », dans « Les Echos » du 20 août dernier. Car les faits sont pourtant clairs. En France, entre 1980 et 2000, la progression brute de l’incidence du cancer a été de 63 %, et de 35 % en tenant compte du vieillissement de la population sur cette période. Il est urgent de comprendre la raison de cette épidémie. On ne peut continuer d’affirmer que seuls le tabac et l’alcool sont en cause. Les cancers qui progressent le plus (prostate, sein, mélanome, cerveau, lymphome non hodgkinien…) ne sont pas liés au tabac et à l’alcool. Une étude faite sur des jumeaux a montré que le poids des facteurs environnementaux par rapport aux facteurs héréditaires est déterminant pour l’ensemble des cancers, notamment pour la prostate (58 %) et le sein (73 %).

Si le tabac et l’alcool sont des facteurs de risque indiscutables, il existe d’autres facteurs de risque environnementaux majeurs. L’amiante sera responsable de l’ordre de 100.000 décès et les cancers professionnels sont estimés à 20.000 morts par an. Les cancers du poumon sont certes liés au tabac mais aussi au radon (2.500 morts par an), à l’exposition professionnelle (24 % des cas) et à la pollution urbaine. L’alimentation est également en cause, directement, et aussi indirectement via l’obésité. Les cancers du sein et de la prostate sont vraisemblablement liés aux perturbateurs endocriniens, mais leur progression est encore largement inexpliquée.

Beaucoup de facteurs environnementaux sont en effet encore inconnus. La production mondiale de substances chimiques est passée de 1 million de tonnes dans les années 1930 à 400 millions de tonnes aujourd’hui. 30.000 substances sont utilisées, dont seulement 3 % ont été évaluées. Pour cette raison, l’Union européenne a préparé la directive Reach visant à ce que l’industrie chimique évalue les substances qu’elle a mises sur le marché. Il y a un formidable enjeu de recherche pour identifier ces facteurs de risque et notamment leur mode d’action. On connaît mal les effets des coexpositions. La phrase « C’est la dose qui fait le poison » (attribuée de façon erronée par les auteurs à Claude Bernard alors que Paracelse, 1492-1541, bénéficie d’une certaine antériorité sur le père de la médecine expérimentale) est aujourd’hui remise en question. Il est admis par tous les organismes impliqués dans l’évaluation des risques qu’il n’existe pas de seuil d’effet pour les cancérogènes génotoxiques. Le risque existe dès qu’il y a contact même avec une seule molécule. Certes, plus la dose et le temps d’exposition augmentent, plus le risque croît, mais l’impact d’une pollution est lié à autant à l’importance de la population qu’à la dose.

Les études sur le lien entre exposition à certains pesticides in utero et leucémie de l’enfant montrent que la période d’exposition est essentielle. De plus, le risque n’est pas le même : à doses égales, certains individus seront plus sensibles que d’autres en fonction de leur moindre capacité de détoxification. Les progrès thérapeutiques dans la lutte contre le cancer sont faibles et il est grand temps de compléter l’action curative par une action préventive en agissant sur les facteurs de risque. Cela suppose aussi de développer les outils (registres de cancers, de jumeaux, de pollution) et les disciplines scientifiques pour générer et traiter les données.

André Cicolella