La descente aux enfers nucléaires

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mardi 14 septembre 2004

Miniature

Trente ans après la décision de Pierre Messmer de lancer la France dans le « tout nucléaire », le deuxième gouvernement Raffarin persiste et signe. Grâce à l’adoption d’une loi d’orientation sur l’énergie, nos dirigeants espèrent faire avaler la pilule amère de la privatisation d’EDF.Les salariés, plutôt récalcitrants, seront consolés par une relance du secteur, une relance assurée par la « nouvelle » génération des réacteurs EPR. Avec le prolongement de la durée
de vie des réacteurs, la fuite en avant des acteurs du nucléaire est déjà amorcée. Le cadeau offert aux industriels (Framatome, Areva, EDF) est donc précieux. Il permet de mettre en sourdine ce qui était considéré par tout un chacun comme l’obstacle incontournable de toute poursuite de cette filière énergétique contestable et contestée : la gestion des déchets nucléaires.


Quel que soit le rythme du démantèlement des réacteurs de la première génération, et les répercussions de la mobilisation contre l’EPR, la question des déchets va revenir au premier plan de l’actualité. Avant la fin de l’année, l’Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs (Andra) va annoncer qu’elle a enfin atteint la couche d’argile, à moins 440 mètres de profondeur, là où les géologues
accourus du monde entier s’activent depuis dix ans pour sonder le sol. Aux confins de la Champagne et de la Lorraine, le compte à rebours pour l’accueil des premiers convois de déchets nucléaires a commencé.

Ce chantier, générant des gravats terreux dont la quantité dépassera celle extraite du creusement du Tunnel sous la Manche représente une superficie de 90 hectares autour d’un village de 120 habitants, Bure en Barrois, qui sera demain mondialement connu. C’est officiellement un Laboratoire chargé de prospecter. Mais tout est prévu pour que le combustible irradié quitte les réacteurs des centrales, parcourt l’Hexagone et vienne achever son
« cycle » dans des poubelles intouchables.

Tout ? Le Parlement statuera, nous dit-on. Les députés disposeront d’ici là d’un rapport qui sera remis courant 2005 par le député (P.S.) Christian Bataille. Ils bénéficieront aussi de l’expertise de la Commission Nationale d’Evaluation, d’un rapport de l’Andra.

Peu importe que le site de Bure se trouve dans le prolongement géographique des sites de stockage de déchets nucléaires de faible et moyenne activité, déjà opérationnels dans l’Aube, à
Soulaines et Morvilliers. Peu importe la nécessité de refroidir des dizaines d’années encore certains des déchets concernés avant leur enterrement définitif pour des millénaires. Peu importe que des travailleurs précaires, recrutés sur-le-tas, trouvent la mort sur ces échafaudages. Peu importe que l’agro-alimentaire s’éloigne. Des voies ferrées abandonnées sont investies par l’armée pour quadriller le terrain sensible. Et pour cause : à raison de deux trains par jour, quelque 22 tonnes de combustibles irradiés pourraient transiter chaque jour à destination de Bure. Cette infrastructure de galeries et d’alvéoles permettra de stocker et d’enfouir des tonnes de déchets dangereux.

Ce que nul Etat, à travers le monde, n’a encore osé faire pour la simple et bonne raison que nul n’est en mesure, en l’état actuel de nos connaissances, d’en prévoir les effets à long terme. En définissant « b u r e » comme un trou vertical reliant deux ou plusieurs galeries, le dictionnaire
Larousse ne s’est pas trompé.

En cherchant à comprendre comment les « c l i e n t s » de l’Andra défient les contraintes du temps pour maîtriser le « r a y o n n e m e n t » de leurs déchets, quitte à occulter les séismes, les failles géologiques dans la roche ou le pouvoir des eaux souterraines, Camille Saïsset et Ben Cramer fournissent ici un mémorial de la levée du talon d’Achille du nucléaire. Aujourd’hui française, demain européenne ? Un panorama de cette aventure qui dira si notre société
parvient à digérer le nucléaire, et si la terre féconde accepte ce gavage.


Les auteurs :

Ben Cramer, journaliste et polémologue, ex-producteur de l’émission Fréquence Terre sur les ondes de Radio France International, auteur du N u c l é a i re dans tous ses Etats – éd. A l i a s .

Camille Saïsset, journaliste scientifique diplômée en physique nucléaire et rédactrice free-lance dans le secteur de l ‘ e n v i r o n n e m e n t .


L’Esprit frappeur

– 7/9, passage Dagorno – 75020 Paris

www.espritfrappeur.com

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