Fakesciences, post-vérité, lobbying…. ne nous trompons pas de débat

Par
vendredi 26 juillet 2019

Miniature

Plusieurs acteurs du monde scientifique – journalistes, chercheurs, étudiants, médiateurs, influenceurs – viennent de publier une tribune ayant pour titre « La Science ne saurait avoir de parti-pris ». On n’aurait pu laisser ce texte à son sort et à son public déjà convaincu, mais il nous est apparu essentiel de clarifier les termes du débat, de révéler les amalgames volontaires et répétitifs de cette Nième tribune pseudo-scientifique et de dénoncer le projet politique qui sous-tend une telle tribune.

Comme l’indique le nom du groupe qui a rédigé ce texte- « nofakescience » – il s’agirait ici de défendre la science « vraie » contre la fausse – nommée « fakescience » – les consensus scientifiques contre l’opinion vulgaire et irrationnelle. Or il ne s’agit pas de consensus s’inscrivant dans des champs scientifiques mais de controverses sur certaines technologies telles que le Glyphosate et les OGM, l’homéopathie et les vaccins, le nucléaire et le CO2 – et on aurait pu rajouter nanoparticules, intelligence artificielle… @nofakescience ne nous parle pas de « Science » bafouée, de consensus scientifiques maltraités mais prend pied dans les débats sociétaux qui ont fait l’actualité ces dernières années.

Soyons clairs : cette tribune (comme de nombreuses autres) ne parle pas de sciences, mais de développement technologiques associés à des savoirs stabilisés depuis plusieurs décennies. Ce n’est JAMAIS « La Science » qui est en jeu dans ces débats mais des choix socio-politiques sur des développements technologiques pour lesquels les notions de « consensus scientifiques » ou de « controverses scientifiques » ne sauraient s’appliquer.

L’amalgame entre « Science » et « projets technologiques » est une vieille rhétorique qui permet aux défenseurs acharnés des développements technologiques d’accaparer indument l’aura, le statut et l’autorité des sciences à leur profit afin d’escamoter tout débat public. Si le choix de développer une agriculture industrielle basée sur le tandem phytosanitaires/OGMs fait débat, on disqualifiera les sceptiques quant à l’utilité et l’innocuité de tels choix technologiques en les qualifiant d’obscurantistes anti-science. Vous pensez que les OGMs sont une mauvaise solution technologique ? Vous êtes anti-Science !! Vous doutez de l’innocuité des organophosphorés ? Vous êtes anti-Science !! L’ineptie d’une telle rhétorique laisse sans voix, mais c’est pourtant le leitmotiv de toutes les tactiques qui cherchent à imposer sans débat, de façon totalitaire, des technologies qui, pour le moins, font débat. Détourner, travestir le sens des mots est un crime contre le langage ; usurper et avilir ainsi les valeurs d’une entreprise aussi noble que celle de la connaissance, est un crime contre la science.

Pour quel mobile ? L’enjeu ici semble clair : la maitrise de l’information scientifique. Après les initiatives sur le secret des affaires, sur les fake news, sur l’instauration d’une Haute Autorité de la Culture Scientifique, il faut désormais contrôler l’information sur les sujets « sensibles », ceux qui suscitent questionnement et résistance. Ici ce sont les journalistes scientifiques qui sont nommément visés : « ne pouvant se permettre de travestir ni le travail [des scientifiques], ni les faits ». Les prochains mis en examen seront d’ailleurs les scientifiques eux-mêmes, comme le suggère l’acte d’accusation contre « des « marchands de doute », y compris certains scientifiques ». L’objectif de cette tribune est donc directement de nuire à la liberté d’informer, de préparer le terrain à une sorte de « ministère de la vérité scientifique » dont le seul objectif sera de promouvoir un discours d’autorité en défense des « biotechnologies vertes » ou des « produits de protection des plantes, aka phytosanitaires…

A bonne information, bons journalistes : ceux qui relaient avec zèle « les évidences technologiques » et lancent régulièrement des anathèmes contre les réfractaires ; une minorité. Si la tribune cherche à les opposer, c’est que scientifiques et journalistes d’investigation partagent le même ethos ; questionner, débattre, chercher, documenter, argumenter… Les scientifiques discutent et échangent régulièrement avec les journalistes scientifiques, ceux qui ont fait profession d’informer, d’éclairer, questionner les « consensus technologiques ». A l’inverse, ils auraient tout intérêt à se méfier de ces pseudo-journalistes, youtubeurs, zététiciens et autres influenceurs d’entreprises de communication loin de l’objet et de l’éthique du journalisme et de la Science. A ce titre, il n’y a aucune surprise à voir @nofakescience utiliser contre les journalistes le terme de « marchands de doute », terme qui fait en premier lieu référence aux industriels ayant sciemment semé doute et ignorance sur les méfaits du tabac, de l’amiante, de la pétrochimie… Ce sont ces mêmes industriels qui ont d’ailleurs inventé les termes de junkscience et soundscience. Il s’agit de détourner l’accusation sur l’accusateur pour discréditer les journalistes qui ont mis en évidence leur malfaisance.

Soyons clairs !! Il n’est pas question pour @nofakescience de défendre les sciences ni le journalisme scientifique mais de mener une bataille d’influence dans laquelle certains scientifiques se laissent embarquer, par conviction politique, en raison d’une épistémologie qui perd du terrain, ou plus simplement par calculs. Une bataille d’influence pour quoi, pour qui ? Les rédacteurs de @nofakescience nous aident en publiant une liste des technologies qu’ils se sont donnés pour mission de défendre. Plutôt un inventaire à la Prévert : quel rapport en effet entre pesticides et réchauffement climatique, entre OGMs et vaccins ; ce ne sont ni les mêmes acteurs, ni les mêmes niveaux de débat. Comme pour « La Science », cette association permet de capter l’aura d’une communauté scientifique et la mettre au service d’autres problématiques : le GIEC en première ligne pour la défense de l’agriculture industrielle, ou de l’industrie pharmaceutique 1. Par cette confusion, l’engagement fort de la communauté scientifique sur la question du dérèglement climatique fait accroire qu’il y aurait aussi un engagement fort des scientifiques sur les autres sujets. Rien n’est plus faux, mais il existe cependant un lien entre ces différents « débats technologiques » : la présence derrière ces enjeux, d’intérêts industriels massifs. Sans surprise, ce sont les agences de relation publique, les influenceurs, syndicats des industries de la pétrochimie, de l’agrochimie qui ont les premiers applaudi et relayé cette tribune.

L’enjeu n’est pas seulement celui des choix technologiques sur lesquels cette tribune n’aura aucune influence. L’enjeu est celui des valeurs, de l’autonomie, et de la permanence de notre rapport à la connaissance qu’il soit médié par scientifiques ou journalistes. Cette tribune s’inscrit dans une longue tradition d’instrumentalisation de la science au détriment de son imaginaire, de ses valeurs et de ses pratiques. Cette attaque sur les savoirs prend de plus en plus la forme d’une tentative de contrôle et de normalisation des discours scientifiques afin de produire un discours d’autorité conforme à la commande politique et/ou industrielle. ». Quelle que soit l’intention des auteurs et signataires, cette tribune n’a pas pour objet de défendre les sciences mais d’imposer une certaine « information », non-scientifique, souvent irrationnelle, qui s’aligne parfaitement avec certains intérêts industriels, financiers ou politiques. Un Ministère de la vérité orwellien, nous aliénant aux savoirs et au monde.

  1. Il est d’ailleurs piquant de trouver parmi les signataires de cette tribune, d’anciens scientifiques naivement climato-sceptiques