États-Unis : révolte des chercheurs contre le gouvernement

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mardi 27 juin 2006

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Les scientifiques américains spécialistes de santé environnementale en ont assez de l’ingérence des industriels et du gouvernement Bush dans leurs recherches. Ils plaident pour une refonte du système américain d’expertise en santé publique.En janvier dernier, un scandale a éclaté aux Etats-Unis, lorsque des experts du changement climatique travaillant pour la Nasa ont déclaré avoir subi la censure du gouvernement Bush. Ce dernier aurait exigé du chercheur James E. Hansen de ne pas se prononcer pour une réduction des émissions de gaz à effet de serre, lors d’une conférence en décembre 2005. Depuis, d’autres disciplines américaines s’interrogent sur la position à tenir face aux pressions, d’où qu’elles viennent. La santé environnementale et professionnelle se situe en première ligne, étant au centre d’intérêts financiers gigantesques, comme le montrent depuis une dizaine d’années les affaires judiciaires liées à l’amiante. « La répression concernant le docteur Hansen est une part du même problème que nous observons dans l’aire de la santé au travail et environnementale », approuve Richard Clapp, l’un des auteurs de l’article « Erosion de l’intégrité de la science de la santé publique aux Etats-Unis », paru dans la revue Occupational and environmental medicine. Une tribune qui a pour objectif de mobiliser l’ensemble des chercheurs américains.

De nombreux exemples démontrent cette « érosion » selon les auteurs de l’article qui citent notamment le cas des comités scientifiques consultatifs. « En 2002, le secrétaire du département de la santé et des services humains a écarté trois experts de postes au sein de l’Institut national pour la santé et la sécurité au travail (dit Niosh). Les candidats étaient hautement qualifiés et ont été agréés par le personnel du Niosh. Leur écartement sans explication par lesecrétaire a fortement autorisé à penser qu’il s’agissait de motivations politiques. Les candidats étaient experts en ergonomie, un sujet pour lequel l’administration Bush s’est fermement opposée à une réglementation. » Les pressions proviennent également des industriels qui « ciblent le financement de recherches qui répondent à certaines questions et non à d’autres ».

Richard Clapp a lui-même subi des pressions : « Des hommes politiques ont essayé d’étouffer mes recherches sur les cancers des vétérans du Vietnam dans les années 1980, et récemment, en 2005, des avocats d’IBM ont tenté de m’empêcher de publier l’un de mes articles. » Pour éviter ce type de pression, le chercheur américain et les coauteurs de l’article proposent plusieurs mesures. Ils veulent avant tout « une pression forte venant de la communauté scientifique pour élaborer des codes portant sur la conduite éthique et les conflits d’intérêt financiers. » Si certaines règles ont déjà été établies par les organisations et revues scientifiques, elles ne sont pas « prises au sérieux », estiment les auteurs de l’article.

Ils appellent aussi à « renforcer et formaliser l’indépendance des chercheurs académiques à travers des fonds et des mécanismes de surveillance qui les isolent des pressions politiques et économiques. » Enfin, une plus grande participation de la communauté scientifique aux débats qui découlent de leurs travaux serait un progrès, selon Richard Clapp : « Nous avons des responsabilités autres que la « recherche de la vérité ». » Notamment celle de vulgariser leurs études, afin de mieux faire comprendre aux parties prenantes leurs forces et faiblesses.

Richard Clapp et ses collègues espèrent désormais être entendus par leur communauté. Nul doute qu’il s’agisse d’un des sujets de discussion les plus prisés lors du prochain grand rendez-vous de la santé environnementale, c’est-à-dire la conférence internationale d’épidémiologie et d’exposition environnementales qui doit avoir lieu début septembre à Paris. Surtout qu’une nouvelle vient relancer à nouveau le débat : une association écologique américaine, Environmental working group, vient d’obtenir de la revue Journal of occupational and environmental medicine (JOEM) qu’elle désavoue un article relatif au chrome, paru en 1997. Signée par deux chercheurs chinois, l’étude avait en fait était rédigée par une agence liée à des entreprises responsables de pollutions aux chrome.

© Maison blanche, par Paul Morse