En 2015, Sciences Citoyennes rédigeait un Manifeste pour une recherche scientifique responsable. Grace au site d’information Reporterre, nous publions une tribune qui en reprend les principaux éléments.
Si l’Union européenne se gargarise de promouvoir la RRI (Responsible Research and Innovation), nous sommes loin d’une mise en question systématique des projets soutenus à coups de millions d’euros. L’association Sciences citoyennes dénonce au contraire la surenchère technologique dans laquelle les chercheurs se trouvent enrôlés, du fait du système de compétition exacerbée qu’est devenu le monde de la recherche. Bataillant souvent au quotidien pour obtenir les moyens d’exercer leur travail, les chercheurs sont dépossédés de leur pouvoir décisionnel et déresponsabilisés, tandis qu’au loin, beaucoup plus loin, la société civile assiste impuissante au déferlement d’innovations qu’elle n’a pas désirées, pour un progrès qui souvent n’en porte que le nom.
L’attitude générale du monde de la recherche reflète bien sûr l’irresponsabilité et le manque de réflexivité [réflexion sur sa propre activité] de la majeure partie des acteurs quant à la dégradation inexorable de nos conditions de vie et à la destruction de la biosphère. Les États misent sur la croissance pour résoudre les maux sociaux, et pour cela, s’enferrent dans des compétitions économiques et sécuritaires. Les entreprises, mues par le profit, s’exonèrent de toute responsabilité en l’absence de cadre contraignant ou de risques pleinement démontrés, et privilégient le principe d’innovation sur le principe de précaution. Les décideurs politiques s’abritent derrière les avis d’experts rarement indépendants, pour prendre des décisions allant souvent à l’encontre de la santé des populations et de la protection de l’environnement. Enfin, les chercheurs estiment que leur responsabilité n’est engagée ni comme experts ni comme scientifiques.
Il ne s’agit en aucun cas d’une « liberté de recherche »
Au regard des risques, le chercheur peut-il décemment se désintéresser de la finalité de ses travaux pour se consacrer à la seule quête de la connaissance pour la connaissance, en revendiquant une liberté totale, créatrice de découvertes inattendues ? Ceci renvoie à l’existence postulée d’une science neutre et de chercheurs indépendants, et à la croyance que science et chercheurs, quoi qu’ils fassent, contribuent par essence au progrès de l’humanité.
Or, c’est ce postulat, cette « neutralité » selon certains, qui a permis et continue à permettre la mainmise des acteurs dominants sur la science. En contrepartie, les chercheurs peuvent se prévaloir d’une certaine reconnaissance sociale, d’un degré de liberté dans l’organisation de leur recherche et d’une protection face aux conflits d’intérêts et aux conséquences de leurs travaux. Dans le cadre contraint des financements et des institutions, il ne s’agit en aucun cas d’une « liberté de recherche ».
La société civile n’est pas impliquée dans ce pacte faustien, car elle est jugée incapable de participer à la discussion des choix de recherche. Tout au plus son soutien est-il demandé de temps à autre pour « sauver la science » (comme prochainement pour la Marche pour la science du 22 avril) ou pour cautionner l’acceptabilité d’innovations non demandées. Mais quelle science soutenir quand la recherche actuelle n’a pas comme objectif premier le bien commun, mais encourage la fuite en avant vers les technosciences et nous entraîne dans une impasse sociale et écologique globale ?
Un nouveau contrat entre la science et la société doit être passé
Partant de cet ensemble de constats, l’association Sciences citoyennes dénonce cette conception de la science qui a pour corollaire une irresponsabilité assumée, tout autant que le système d’organisation actuel de la recherche qui la perpétue. Elle récuse l’affirmation selon laquelle les dégâts causés par la technoscience seront corrigés par les futures recherches de cette même technoscience. Elle dénonce une forme d’impunité dont bénéficient ceux qui, d’un côté, vantent les promesses d’une innovation afin d’obtenir le financement de leur recherche, mais qui ne se sentent plus concernés par les dégâts ultérieurs de cette même innovation, dégâts qui peuvent être irréversibles… La responsabilité doit donc être imprescriptible et proportionnelle au savoir de chacun. Nul ne peut s’exonérer de sa responsabilité au nom de son impuissance s’il n’a pas fait l’effort de s’unir à d’autres, ou au nom de son ignorance s’il n’a pas fait l’effort de s’informer.
Une page doit se tourner pour que les chercheurs et les institutions scientifiques admettent leurs responsabilités et prennent part à la transition écologique et sociale vers des sociétés durables et de bien-être. Pour cela, un nouveau contrat entre la science et la société doit être passé. Une recherche scientifique responsable se caractérise par l’élaboration démocratique des objectifs généraux et du budget de la recherche, par le développement de la recherche participative, par l’ouverture de l’expertise et de l’évaluation scientifique, et par l’autonomie et la réflexivité critique des chercheurs. Pour permettre cette transition, nous devons engager les changements qui s’imposent dans les missions des chercheurs et les fonctions des institutions de recherche.
Tribune publiée le 11 avril sur le site Reporterre.