L’intervention de Jérôme Santolini sur l’engagement scientifique à l’Assemblée Générale INRAE-Biogeco (14 mars 2022)

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lundi 28 mars 2022

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Jérôme Santolini, membre du bureau de notre association, intervenait le 14 mars 2022, à l’Assemblée générale INRAE-Biogeco aux côtés notamment de Didier Swingedow (co-rédacteur du GIEC)
Tamara Ben Ari (Labo 1.5) et
Laure Teulières (Atecopol) sur la question de l’engagement des scientifiques.

« Sciences citoyennes est une association qui fêtera ses 20 ans cette année et dont l’objectif est de remettre les sciences et les scientifiques en société. Démocratiser les sciences que cela soit au niveau de la définition des savoirs dont nous avons besoin, de leur production et de leurs usages. Nous pensons que les sciences et les savoirs sont des objets éminemment politiques et notre plaidoyer porte sur le rôle des sciences dans les crises climatiques, écologiques et sociales, sur la responsabilité sociale des scientifiques et sur leur engagement politique.

Sciences citoyennes est une association qui fêtera ses 20 ans cette année et dont l’objectif est de remettre les sciences et les scientifiques en société. Démocratiser les sciences que cela soit au niveau de la définition des savoirs dont nous avons besoin, de leur production et de leurs usages. Nous pensons que les sciences et les savoirs sont des objets éminemment politiques et notre plaidoyer porte sur le rôle des sciences dans les crises climatiques, écologiques et sociales, sur la responsabilité sociale des scientifiques et sur leur engagement politique.

Il y a quelques mois j’assistais au colloque des Sentinelles du Climat qui s’intitulait « un colloque pour passer à l’action ». Les Sentinelles du Climat est une initiative portée par la région Nouvelle-Aquitaine et qui regroupe des scientifiques de nombreux laboratoires de recherche, conservatoires et associations naturalistes. Le colloque visait à faire le point sur l’impact du réchauffement climatique sur la biodiversité en Nouvelle-Aquitaine, et le constant fut effroyable : la perte de biodiversité prévue pour les années à venir était massive, sans précédent. A la fin du colloque, et pour reboucler avec son intitulé « passer à l’action », je suis intervenu pour poser une question à tous ces scientifiques : « Vous qui voyez en première ligne l’impact du réchauffement climatique et l’effondrement de nos écosystèmes, qu’allez-vous faire ? Allez-vous vous contenter de documenter, accompagner la catastrophe, ou allez-vous lutter contre cette situation ? ». Je n’ai eu aucune réponse…

Cette attitude est générale, et le GIEC en est une parfaite illustration. Cela fait plus de trente ans que les scientifiques du GIEC posent le même diagnostic sur le climat, un travail essentiel qui alerte toujours davantage sur la catastrophe en cours. Pour quel résultat ?

  • Au niveau politique, il est nul. Tous les rapports, discours, alertes n’ont pas réussi à infléchir la trajectoire : nous produisons toujours plus de GES, il y a toujours plus de CO2 dans l’atmosphère.
  • Au niveau scientifique, l’échec de leur discours nous laisse, nous scientifiques, prostrés sans réaction. François Gémenne critiquait récemment notre posture de pleurnichards, à nous plaindre sans arrêt de ne pas être écoutés, mais ne faisant rien d’efficace pour l’être

Nous sommes victimes du Syndrome de Cassandre
Nous documentons, prédisons la catastrophe avec un degré de précision jamais égalé. Mais cela ne change rien à la course de l’histoire et nous nous retrouvons piégés dans ce statut de prophète de malheur.

Face à ce constat plutôt négatif, la question désormais qui se pose et que je souhaitais vous poser c’est : qu’est ce qu’on fait ? Est-ce qu’on se mobilise réellement (car ce n’est pas nécessairement acquis) et si oui, comment ? Pour tenter de répondre à cette question, je voulais vous proposer quatre pistes de réflexions, quatre questions subsidiaires

  • Quels savoirs devons-nous produire ?

Il n’aura échappé à personne, en en particulier à l’INRAE, que les sciences, la communauté scientifique dans son ensemble, portent une certaine responsabilité dans l’émergence des crises climatiques et écologiques auxquelles nous sommes confrontées
– soit indirectement, via l’alliance qu’elle a forgé avec un modèle de société basé sur l’exploitation effrénée et sans limite du monde
– soit directement en produisant les outils, dispositifs techniques responsables du saccage et de l’épuisement de ce monde.
Les savoirs sont un acteur décisif, primordial des mondes que nous construisons, alors

    • De quels savoirs avons-nous besoin aujourd’hui pour construire un avenir viable, désirable ?
    • Quels imaginaires, quels rapports au monde souhaitons-nous nourrir, accompagner ?
  • A quoi servent les savoirs que nous produisons ?

Les connaissances que nous produisons nous échappent très vite. Les savoirs scientifiques ont toujours fortement façonné le monde dans lequel nous vivons, influencé l’histoire et le devenir de nos sociétés. Et c’est de plus en plus le cas.
Il nous faut éviter aujourd’hui que les connaissances que nous produisons soient capturés au service d’une idéologie ou d’intérêts particuliers. Il faut remettre ces savoirs « au centre du village », au service de l’intérêt général.
Cela veut dire qu’il faut reconnaitre que ces savoirs sont « politiques », qu’ils participent à la vie de la cité, qu’ils véhiculent et conduisent à des choix de société qui nous concernent tous. Alors, comme objets politiques, ils doivent nécessairement être démocratiques.
Ainsi si on reprend le cadre de la crise climatique, quels savoirs voulons-nous produire.

  • Des connaissances au service du développement technologique (géo-ingénierie, manipulation du vivant, nucléaire…) qui poursuivent le même projet de société, avec les mêmes problèmes ?
  • Des connaissances qui nous permettent de mieux comprendre le milieu dans lequel on vit afin d’imaginer un avenir viable ?
  • Qui décide du monde de demain ?

Nous en faisons l’expérience chaque jour, les savoirs et techniques dessinent et surdéterminent le monde dans lequel nous vivons. Mais qui décide de produire ces savoirs et techniques, qui décide du monde dans lequel nous voulons vivre ? Pas les scientifiques !!! De quel droit seraient-ils chargés de définir le monde dans lequel nous allons vivre ? A quel moment leur a-t-on donné ce pouvoir ?
La démocratie dans nos sociétés libérales est une question brulante. Elle l’est tout autant lorsqu’il s’agit de définir les savoirs et techniques qui façonnent notre milieu de vie. Il est donc essentiel de démocratiser les sciences.

Ce n’est pas seulement un enjeu politique, c’est un enjeu civilisationnel. Depuis quelques décennies nous voyons augmenter la défiance des populations vis-à-vis de l’institution scientifique, ce qui jette de façon indifférenciée méfiance et discrédit sur toutes les connaissances scientifiques. Il n’y a pas eu d’épidémie d’irrationalité et de complotisme qui expliquerait ce retournement du rapport entre Sciences et Société. Cette défiance, nous l’avons méritée : elle est le résultat de ce rapport opaque parfois cynique que nous entretenons nous scientifiques avec le monde politique.

Alors que fait-on pour renouer les liens avec notre monde, pour mériter la confiance et l’écoute, pour éviter que l’on jette le bébé avec l’eau du bain ? Ce qui nous amène à la dernière question :

  • Qu’est ce que cela veut dire d’être scientifique aujourd’hui ?

Je propose ici deux mots :

  • Réflexivité
    Il nous faut prendre conscience de notre place dans la société, du rôle central que les savoirs y jouent, et il faut en assumer la responsabilité, accepter de rendre des comptes.
  • Engagement
    Cette responsabilité nous engage. Mais il n’y a pas de formes prédéfinies pour porter cette responsabilité, ni de mode opératoire pour l’engagement des scientifiques. Cet engagement prend de multiples formes, toutes légitimes. Que cela soit à sa paillasse ou dans la rue, dans les institutions de recherche ou dans l’arène politique, c’est à chacun, en conscience, de dessiner sa trajectoire. Et ce n’est pas facile

J’en parle car j’essaie, de façon désordonnée, de donner forme à cet engagement, de réaliser en moi cette responsabilité. Avec succès parfois, comme dans le cadre de la lutte contre les plastiques alimentaires, en essuyant des échecs douloureux, comme dans le cas des additifs nitrés, ou en me dispersant à tout-va comme sur la question du climat. C’est difficile mais chaque expérience est positive et doit être partagée, car c’est un pas de plus qui permet de construire une conscience collective et de nourrir le sentiment que nous ne pouvons plus ne pas agir. »