Santé publique et droit du travail

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vendredi 4 novembre 2005

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Par Marie-Angèle Hermitte, Marthe Torre-Schaub (Chercheurs au Centre de recherches sur le droit des sciences et des techniques, Paris I – CNRS)

Toutes les affaires de santé publique qui ont fait l’actualité des trente dernières années ont un point commun : entre le moment où les premiers indices de l’existence d’un risque sont repérés et le moment où le risque est publiquement reconnu, une période de temps s’écoule, entraînant la réalisation ou l’aggravation des dommages. Les causes de la perte de temps sont multiples. Parmi elles, on trouve la difficulté à parler ou à se faire entendre, rencontrée par les salariés qui repèrent le risque. On pense ici très précisément, non pas au salarié qui craint pour sa santé ou celle de ses collègues, mais celui qui, n’étant pas spécialement chargé d’une mission ayant trait à la sécurité, suspecte un risque pour le public ou l’environnement. Que l’on soit dans le cadre d’une entreprise privée ou dans celui de l’organisation publique de la veille sanitaire 1, le circuit légal consiste à faire remonter l’information par la voie hiérarchique, les instances dirigeantes étant seules habilitées à prendre la décision du moment et du contenu de sa divulgation. Or, dans un certain nombre de cas, l’employeur préfère taire cette suspicion par prudence scientifique parfois, par intérêt dans d’autres hypothèses.
Le schéma hiérarchique est bien intégré et l’on a peu d’exemples de salariés qui aient choisi d’affronter leur hiérarchie pour divulguer une information importante pour la santé publique, sans que l’on puisse distinguer ce qui tient à la peur du licenciement de ce qui relève d’une culture corporatiste incitant à resserrer les rangs pour faire face au danger venu de l’extérieur. Pour inciter les salariés à signaler les phénomènes inquiétants, le droit américain dispose d’un texte spécial, le whistle blower protection Act, traduit en français par l’idée de protection du lanceur d’alerte 2. Il protège les salariés contre les mesures de rétorsion de leur employeur dans le but d’assurer l’effectivité du droit de l’environnement et de la santé, dont la mise en œuvre dépend de la vigilance et de la coopération des salariés au contact des risques … Il a été souvent appliqué dans le domaine du nucléaire, de la protection de l’environnement ou encore dans l’affaire de la navette spatiale 3.
Le droit français n’ayant pas introduit un tel mécanisme de lutte contre les phénomènes d’autocensure, on peut se demander si le droit commun du travail suffit à assurer une protection adéquate. Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Nancy le 17 juin 1998 incite à se poser la question : pour affirmer que le refus d’obéissance d’un cadre en désaccord avec sa direction sur la manière de traiter l’évaluation d’un risque pour la santé publique ne constituait pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, la Cour d’appel a posé le principe, confirmé le 11 octobre 2000 4 par la Cour de cassation, du  » respect de l’indépendance due aux professionnels de la santé au travail « . Cette protection de l’indépendance intellectuelle des salariés s’inscrit dans une lente évolution du droit du travail qui tend à limiter le caractère discrétionnaire du pouvoir de direction et à recomposer  » l’ordonnancement des relations du travail  » en fixant les  » rôles  » de chacun, l’employeur, les actionnaires, les salariés 5. L’arrêt du 11 octobre fait entrer dans ce schéma un tiers inattendu, le public dont il s’agit de protéger la santé. La liberté d’expression qui eut pour ambition de permettre une  » citoyenneté  » tournée vers la défense des intérêts des travailleurs, est utilisée ici dans l’intérêt des tiers ; il s’agit, en favorisant l’expression des conflits au sein de l’entreprise, de fragiliser la loi du silence qui unit les salariés et la direction, face au reste de la société. Cette jurisprudence peut être analysée comme l’une des contributions du droit du travail à l’élaboration du nouveau droit de la sécurité sanitaire.

L’affaire Cicolella : lanceurs d’alertes et règlement des différends scientifiques et techniques

L’affaire mit en scène un ingénieur travaillant sur la toxicité des éthers de glycol pour le compte de l’INRS, organisme chargé de l’évaluation de certains risques encourus dans le cadre professionnel. Le conflit se noua entre le salarié et sa direction sur la manière de mener la recherche et d’en divulguer les résultats, la dangerosité de cette famille de produits étant controversée sur de nombreux points. Le conflit se termina par un licenciement pour insubordination grave et réitérée. La nature scientifique du différend et ses implications pour la santé seront prises en compte par la Cour de cassation qui y voit la justification d’un lien de subordination propre aux métiers de la santé.

A. La nature scientifique du différend

L’Institut National de Recherche sur la Sécurité (INRS), créé en 1968 sous l’égide de la CNAM qui le finance, est une association soumise au régime de la loi de 1901 ; il a une mission d’intérêt général -contribuer au plan technique à l’amélioration de la prévention des maladies professionnelles. Il est à ce titre chargé de l’évaluation de la toxicité de certains produits au contact des salariés, de la diffusion auprès des employeurs et des organisations syndicales de fiches documentaires préconisant les modalités d’utilisation des produits dangereux, de propositions de classification, d’emballage, d’étiquetage. Il est géré de manière paritaire par des représentants des employeurs et des représentants syndicaux. Ce type d’organisation fut longtemps vanté en raison du caractère hybride de sa composition, destiné à permettre des consensus à partir d’intérêts réputés divergents… Le modèle est aujourd’hui critiqué pour la raison qui avait fait son succès, le caractère hybride étant désormais analysé comme une menace pour l’indépendance 6 : l’un des principes fondateurs du nouveau droit de la sécurité sanitaire est précisément l’indépendance des institutions d’évaluation et de contrôle des risques par rapport aux opérateurs économiques 7
A.Cicolella, ingénieur chimiste, entre à l’INRS en 1971, dans le laboratoire d’évaluation de l’exposition aux substances chimiques. En1988, il propose à la direction qui accepte, de prendre en charge un programme d’évaluation des premiers signaux d’alerte sur la toxicité des éthers de glycol, famille de solvants d’une grande importance économique car les produits sont très répandus, dans des biens de consommation courante (peintures, produits de nettoyage) et dans des processus de fabrication (les puces utilisées dans les ordinateurs par exemple). Au fil des années, les indices de dangerosité de certaines des molécules se précisent (par contact cutané ou inhalation) : on suspecte des cancers, des troubles neurologiques, des malformations foetales, des troubles de la fertilité chez l’homme. Certains dangers sont avérés de manière expérimentale chez l’animal et à la suite d’études épidémiologiques chez les travailleurs exposés ; d’autres restent plus controversés.
En 1994, le climat se tend entre A.Cicolella et son employeur. Le chercheur a préparé un symposium destiné à servir de base d’expertise, incontestable car internationale, indépendante et multidisciplinaire, l’objectif étant d’aboutir à l’interdiction de certaines molécules. En effet, si l’INRS a prodigué des conseils de prudence dès 1983, rédigé une fiche documentaire en 1992, toutes les molécules sont encore sur le marché et couramment utilisées par les salariés dans les processus de fabrication. Avant le colloque, A. Cicolella fait part à son employeur d’un ensemble de résultats préliminaires qui confirment les indices de dangerosité. Mais l’une des études qu’il a commanditées recèle une erreur, et la publication qui en résulte est contestée par un représentant de l’industrie chimique (CEFIC) et par une équipe de l’INSERM. L’INRS met en question le déroulement du colloque et la participation de son salarié, alors que celui-ci estime que cela ne doit pas remettre en cause l’ensemble de l’opération, et principalement les résultats d’une enquête épidémiologique de l’INSERM montrant une corrélation entre l’exposition professionnelle de femmes enceintes et des malformations foetales.

B. Le particularisme du lien de subordination en matière de santé au travail

Convoqué par son supérieur hiérarchique à une  » réunion exploratoire avec les partenaires de l’INRS  » pour s’expliquer sur l’erreur commise, A.Cicolella refuse de s’y rendre par trois fois et reçoit notification de son licenciement pour faute grave le 10 mai 1994. Son refus est analysé comme une  » insubordination délibérée et réitérée incompatible avec le fonctionnement normal d’une entreprise  » et avec sa qualité d’ingénieur soumis à l’autorité hiérarchique du Dr.Vogt plutôt que de chercheur. Le salarié demande sa réintégration et, à défaut, le paiement de ses indemnités et de dommages-intérêts pour  » procédure intervenue dans des conditions brutales et vexatoires, et entrave à la liberté d’expression « . Il fait valoir qu’il menait de manière autonome depuis 1990 un programme multidisciplinaire sur les risques toxiques des éthers de glycol, que ce programme était jugé original par la communauté scientifique concernée, que  » l’existence d’une relation salariale ne pouvait priver les chercheurs et professionnels de la santé au travail, de l’indépendance technique et scientifique qui leur est notamment reconnue par l’article 17 du code d’éthique internationale adopté par la commission internationale de santé au travail « , et que son refus de participer à la confrontation du 30 mars 1994 ne justifiait pas la remise en cause de la tenue du symposium international, ce qui aurait eu pour effet de le discréditer auprès de la communauté scientifique à laquelle il appartenait.
La Cour d’appel de Nancy suivra de près son raisonnement, reprenant tout d’abord l’idée qu’il a effectivement la qualité de chercheur du fait de sa position de  » responsable scientifique  » du projet éthers de glycol dont la conception est jugée exceptionnelle et originale par un ingénieur de recherche du CNRS. Elle en déduit à titre liminaire que l’INRS n’était pas fondé à lui dénier sa qualité de chercheur 8 ;  » que, malgré l’existence d’un rapport de subordination inhérent à tout contrat de travail, l’employeur devait, en l’espèce, exercer son pouvoir hiérarchique dans des limites compatibles avec la nature des responsabilités confiées à l’intéressé et dans le respect de l’indépendance due aux professionnels de la santé au travail « . Pour caractériser la spécificité des relations de travail dans le domaine de la recherche scientifique, la Cour d’appel s’appuie sur une note interne de l’INRS définissant  » le rôle des membres de la commission scientifique et technique en cas de divergence de vue d’ordre scientifique sur une étude ou une recherche :  » si le pouvoir de décision demeure bien de la compétence de la hiérarchie, il importe que celle-ci s’assure d’avoir bien compris le point de vue de l’agent et qu’elle s’attache à être bien informée sur les motifs et les justifications de ses propositions et positions ainsi que sur le contexte scientifique dans lequel elles se situent. A cette fin, il est utile de pouvoir recueillir l’avis d’un groupe de personnes reconnues compétentes sur le ou les sujets concernés « . La Cour de cassation confirme l’analyse de la Cour d’appel :  » en l’état de ces constatations, elle a pu décider que le comportement de M.Cicolella (…) ne constituait pas une faute grave « .
Cette jurisprudence incite à faire le point de la spécificité du lien de subordination auquel est soumis un chercheur qui s’occupe de la  » santé au travail « , et à se demander si les solutions qui se dessinent doivent être étendues aux salariés en général, dès lors qu’ils s’occupent de santé au travail mais aussi de santé publique et de protection de l’environnement. On constate que deux sources de droit sont utilisées par la Cour d’appel : elle utilise le droit commun en rappelant que le pouvoir hiérarchique s’exerce toujours dans  » les limites compatibles avec la nature des responsabilités confiées  » au salarié, en l’occurrence un rôle protecteur de la santé, et une note interne de l’INRS spécifiquement consacrée aux divergences de vues d’ordre scientifique 9. Admettant que cette note était postérieure au licenciement, elle estime que  » cette exhortation à la prudence s’inspirait des principes de règlement des différends scientifiques en usage au sein de l’INRS « . A l’inverse, la Cour ne mentionne pas le code d’éthique international qui affirme l’indépendance technique et scientifique des professionnels de la santé au travail ; on ne peut toutefois pas occulter le fait que les deux documents tendent au même résultat, permettre une procédure contradictoire pour le  » règlement des différends scientifiques « .. A ce titre, ils insistent sur le traitement juridique qu’il convient de réserver à cette phase si importante et si souvent passée sous silence de la construction de la connaissance scientifique, la phase d’incertitude scientifique qui se caractérise par la coexistence d’hypothèses multiples et, dès lors, la nécessité du débat contradictoire. L’incertitude scientifique impose l’idée, très processuelle, d’une procédure de règlement des différends, et semble avoir des conséquences sur la qualité du lien de subordination et le droit du licenciement 10.

Le particularisme du lien de subordination d’un salarié au contact de la santé publique

Le travail est exécuté  » sous l’autorité d’un employeur qui a pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » 11, mais l’emprise du pouvoir de direction sur les salariés a été limitée à ce qui est  » nécessaire à la marche de l’entreprise « . De larges sphères d’autonomie ont été ainsi reconnues à la personne du salarié, qu’il s’agisse de protection de sa vie privée, de sa santé au poste de travail, de la défense de ses libertés personnelles. Mais c’est de tout autre chose qu’il s’agit ici, puisque le salarié entre en conflit avec la direction pour défendre un intérêt général, celui de la santé publique en l’occurrence 12. On peut, et A.Cicolella n’avait pas manqué de le faire, insérer le conflit d’ordre scientifique dans le cadre général de la liberté d’expression ; c’est un nouveau terrain d’application pour cette liberté, jusqu’ici cantonnée aux questions politiques, religieuses ou syndicales. C’est également à rattacher à la liberté reconnue aux salariés, dans certaines limites, de critiquer la stratégie de l’entreprise, en tenant compte d’un relatif paradoxe : autant les cadres sont tenus à un devoir spécial de réserve et de loyauté qui les rend plus solidaires de la direction que n’ont à l’être les salariés de base, autant les cadres au contact de la santé publique et travaillant dans les secteurs de l’incertitude scientifique paraissent devoir bénéficier d’une large autonomie qui serait la marque de la spécificité du secteur.. Jusqu’où peut aller cette autonomie, peut-elle déboucher sur le lancement d’une alerte publique ?

A. La libération progressive de l’expression des salariés

La doctrine a analysé l’entreprise comme un véritable  » ordre juridique secondaire  » caractérisé par le pouvoir de direction qui s’exprime à travers le règlement intérieur et l’application casuistique du pouvoir de commandement et de sanction. Ce pouvoir de direction du chef d’entreprise s’exerce sur la personne du travailleur, dont le corps et l’esprit sont sommés de se mettre à disposition de l’action collective dirigée vers le processus de production. Mener une telle analyse sur le modèle de l’ordre juridique étatique, incitait à limiter le pouvoir de l’employeur, à l’origine discrétionnaire, comme le droit avait limité le pouvoir de l’Etat ; c’est ce qui explique l’utilisation d’expressions comme  » libertés publiques  » ou  » principe de légalité des peines « , inattendues dans le cadre de l’entreprise 13. L’action conjointe du législateur et du juge a donc eu pour objectif de fixer la limite du pouvoir de l’employeur à ce qui est nécessaire à la marche de l’entreprise, libérant par voie de conséquence une sphère d’autonomie pour le salarié. L’effort du droit a porté d’abord sur la limitation des pouvoirs que l’employeur exerce sur le salarié, n’intervenant que fort peu sur ses pouvoirs de direction économique. On peut constater un changement : sur le fondement de la liberté d’expression, les juridictions déclarent abusifs certains licenciements décidés à la suite de l’expression d’une divergence de vues entre un salarié et son employeur sur les choix stratégiques de l’entreprise.

1. Le pouvoir de direction sur la personne du salarié : des limites stabilisées

Les lois Auroux ont eu pour objectif de changer la nature du règlement intérieur et plus largement, du droit disciplinaire : la liberté civile du travailleur sera le principe, ce qui limite le pouvoir de l’employeur qui y fait exception.  » L’employeur n’a pas un pouvoir discrétionnaire en matière de liberté publique … des limitations peuvent être apportées aux libertés par l’employeur, mais elles ne tireront leur licéité que de la nécessité de défendre l’entreprise contre les effets nuisibles de l’exercice des libertés  » 14. Le moyen de cette transformation fut la généralisation d’un  » contrôle de proportionnalité et de finalité à travers des exigences de justification des motifs des décisions patronales « , la subordination étant limitée à ce qui est strictement nécessaire à l’exécution du contrat de travail 15. De cette nouvelle conception du pouvoir de direction résultèrent de multiples limitations du pouvoir de direction sur le salarié 16. Institué en même temps,  » le droit au retrait  » dont jouit le salarié pour protéger sa santé, va plus loin ; en effet, même si la marche de l’entreprise exige qu’il continue à travailler, la croyance raisonnable qu’il a en l’imminence d’un danger suffit à justifier son retrait. Mais cette liberté ne lui est ouverte qu’en cas de danger pour sa santé ; le législateur n’a pas étendu ce droit aux risques courus par le public ou l’environnement 17. Or dans de nombreux cas, un procédé de fabrication sans risque particulier pour les salariés, entraînera des déchets toxiques ou des produits commercialisés qui, eux, pourront être dangereux. L’hypothèse du retrait du salarié, d’une sorte de clause de conscience pour la sauvegarde d’un intérêt général, n’est pas prévue par le législateur.
Les réformes de 1982 poursuivaient des objectifs divers partageant un point commun : il s’agissait toujours de protéger la personne du salarié dans ses comportements (vie familiale, loisirs, expression d’opinions) ou dans son être même (sexe, race). Certes, depuis l’affaire Clavaud 18, le salarié avait conquis le droit de s’exprimer, y compris dans les médias, sur les conditions de travail dans l’entreprise. Mais ces conditions le concernent directement, il s’agit encore de protéger la sphère personnelle du salarié contre une immixtion de la direction de l’entreprise. Le droit est en train de franchir une nouvelle étape en étendant cette fois sa protection au salarié qui s’immisce dans les affaires de l’entreprise.

2. Le pouvoir de direction économique et l’émergence d’un droit de critique

La nature discrétionnaire du pouvoir de direction économique paraissait difficile à ébranler 19, l’exercice d’un droit de critique par les salariés pouvant être rapproché d’un partage du pouvoir de direction peu conforme à l’organisation traditionnelle du système de production. Il est pourtant des hypothèses où le pouvoir de direction économique et le pouvoir sur le salarié s’entremêlent, lorsque le salarié s’opposant aux choix stratégiques de l’employeur, se trouve finalement licencié. Ce fut le cas dans l’affaire Cicolella où le différend sur la stratégie à adopter au regard des résultats des recherches sur les éthers de glycol conduisit à un refus d’obéissance.
Dans son premier moyen de cassation, l’INRS avait bien posé le problème :  » alors qu’il n’appartient pas à un salarié en présence d’une contestation, soulevée par un organisme extérieur mettant en cause tant ses propres travaux que le fonctionnement même de l’entreprise qui l’emploie, de se faire juge de la stratégie à adopter pour mettre un terme à la contestation et de tenter d’imposer à sa hiérarchie sa propre conception de la marche à suivre …  » ; et de poursuivre :  » l’arrêt attaqué a autorisé le salarié à substituer son propre pouvoir d’appréciation à celui de son supérieur hiérarchique et a violé ce faisant l’article L.121-1 du Code du travail « . La Chambre sociale de la Cour de cassation approuvera au contraire la Cour d’appel d’avoir retenu la qualité de chercheur d’A.Cicolella, et d’en avoir déduit que l’employeur devait exercer son pouvoir hiérarchique dans le respect de  » l’indépendance due aux chercheurs « .. Ce faisant, elle reconnaît aux chercheurs, une liberté d’expression et de comportement à l’égard des choix stratégiques de la direction de l’entreprise. Cette affirmation s’inscrit dans un courant jurisprudentiel récent qui a institué une liberté d’expression de l’individu sur la marche générale de l’entreprise, alors que la faculté de critique était jusqu’ici cantonnée aux canaux classiques du syndicalisme, du droit de grève, et de la procédure encadrée et collective de l’article L 461-1 20. Il ne s’agit plus ici de l’interdiction faite à l’employeur de déborder sur la sphère d’autonomie propre à la personne du salarié, c’est au contraire celui-ci qui intervient dans la sphère d’autonomie du chef d’entreprise. Il y a une sorte de renversement.

On peut ainsi remarquer un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 7 octobre 1998 retenant la loyauté d’un directeur de département d’une entreprise qui, en désaccord avec la direction générale sur le rapprochement entre la société et des partenaires français et étrangers, choisit de ne plus participer à ces tractations tout en continuant d’assumer pleinement ses autres fonctions. Le licenciement est donc jugé sans cause réelle et sérieuse 21. Puis l’affaire Pierre, jugée le 14 décembre 1999, qui concerne un cadre  » chargé d’une mission administrative, comptable et financière de très haut niveau  » ayant distribué une lettre critiquant la nouvelle organisation du travail aux membres du comité directeur dont il faisait partie, ce que l’employeur analysa comme un manquement à l’obligation de réserve 22. La Cour de cassation établit au contraire que ce comportement relève du droit de libre expression tel qu’il est reconnu par l’article L 120-2 du code du travail 23. La liberté d’expression rencontre alors une double limite. La première porte sur la forme de la critique qui ne doit comporter aucun terme injurieux, diffamatoire ou excessif 24. La seconde vise la justification de l’entrave à la liberté d’expression ; elle doit correspondre à la nature de la tâche à accomplir et être proportionnée au but recherché. Il semble qu’il s’agisse là d’une première application à l’art. L 120-2, du principe de proportionnalité qui avait servi à limiter le pouvoir de direction sur le salarié 25. Le juge, qui avait longtemps disjoint ses modes d’intervention à l’égard des deux objets du pouvoir de direction, les rapproche. En protégeant la liberté d’expression du cadre de haut niveau, il écarte le traditionnel devoir de réserve renforcé qui leur était spécifiquement imposé 26. Ce choix juridique qui avait pour conséquence de protéger la loi du silence dans l’entreprise, est donc peut-être en train de se modifier au profit d’une vision plus ouverte au débat, voire au conflit. C’est particulièrement important pour les salariés membres d’une profession libérale, médecins, journalistes, experts comptables… L’apport principal de l’arrêt Cicolella est d’étendre cette protection aux salariés non médecins, au contact de la santé publique.

Au regard des problèmes des lanceurs d’alertes qui peuvent être obligés de dénoncer l’entreprise soit aux autorités sanitaires soit directement au public, l’affaire Pierre comportait une limite importante puisque la lettre critique avait gardé un caractère interne, ayant été distribuée au seul comité de direction. Dans d’autres affaires récentes, la critique déborde plus ou moins l’intérieur de l’entreprise. Dans l’affaire Deglane, l’employeur reprochait à la Cour d’appel de Bordeaux de n’avoir pas considéré que la divergence de vues entre l’employeur et l’un de ses cadres conduisait à un conflit d’autant plus grave qu’il se jouait à un niveau élevé dans l’entreprise, ce qui aurait dû justifier la cause réelle et sérieuse d’un licenciement, quand bien même aucune faute ne pourrait être reprochée au salarié 27 : on ne pouvait revendiquer plus clairement le caractère discrétionnaire du pouvoir de direction économique. La Cour de cassation va opposer à cette demande le principe de la liberté générale d’expression des salariés, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise, tout en réservant l’abus résultant de l’utilisation de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ; tel était le cas dans une seconde affaire jugée le même jour, où la Cour d’appel d’Angers avait retenu comme motif de licenciement, les  » critiques virulentes émises par le salarié auprès d’un client important sur la qualité du travail accompli par le personnel et sur la compétence des dirigeants de la société « .
L’affaire Pitron va plus loin. La Cour de cassation a reconnu qu’en adressant une lettre à l’Inspecteur du travail pour dénoncer des malversations, manipulations de caisse et détournements de fonds, la salariée n’avait fait qu’exercer son droit de critique protégé par la loi ; or elle l’avait exercé à l’extérieur de l’entreprise, même si l’inspecteur du travail est son interlocuteur naturel, comme le fait remarquer le commentateur 28. La Chambre sociale prend soin de préciser que le droit d’expression s’exerce tant sur les faits susceptibles de qualification pénale que sur ceux qui ne le sont pas, ce qui exclut la simple application de l’obligation générale de dénoncer les infractions pénales 29.
La tendance est donc assez nette : le salarié de haut niveau dispose d’une certaine liberté de critique de la stratégie générale de l’entreprise, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise, sans que l’on sache si cela peut aller jusqu’à une dénonciation publique dans les médias. Il doit être d’autant plus mesuré qu’il s’exprime à l’extérieur du cercle de l’entreprise, et particulièrement devant des clients. Qu’en est-il si cette critique est faite au nom de la protection d’un intérêt général ?

B. La protection d’un intérêt général par le droit d’expression d’un salarié

L’entreprise a des obligations au regard de l’intérêt général 30. Elles résultent de réglementations protégeant l’environnement et la santé humaine contre les dommages venant du processus de production ou des produits mis sur le marché. La direction est responsable des dommages créés par l’entreprise, même s’ils ont été provoqués par l’acte d’un salarié, assumant ainsi l’une des rares responsabilités pénales du fait d’autrui ; c’est d’ailleurs l’une des justifications du pouvoir de direction de l’entreprise que de contrôler le respect de cette réglementation par les salariés 31. Un salarié peut donc être licencié s’il fume sur les lieux de travail alors que des explosifs y sont entreposés, s’il ne respecte pas les règlements de sécurité sur un site nucléaire, faisant encourir des risques aux autres salariés. L’exercice du droit de grève peut être limité en raison du caractère dangereux des produits utilisés 32. Il s’agit là de cas limites où le juge sanctionne la mise en danger du public à travers celle des salariés. On trouvera plus rarement des cas dans lesquels le pouvoir disciplinaire est exercé pour assurer la seule protection du consommateur – ainsi le licenciement d’un salarié qui n’avait pas effectué la vérification de la date de péremption de produits alimentaires, laissant à la vente des produits périmés 33.
Mais ce n’est pas, en principe, au salarié de faire respecter, contre l’avis de sa hiérarchie, les réglementations protégeant l’intérêt général. Certes, le lien de subordination ne l’oblige pas à exécuter un ordre illicite ou immoral, tel que falsifier des documents comptables, adopter des comportements dolosifs à propos de ventes de voitures d’occasion 34. Dans le cas de péril pour la santé publique, le salarié sera donc toujours protégé s’il refuse d’exécuter un ordre illégal. Mais le lanceur d’alerte va généralement dénoncer une simple suspicion, un fait scientifique controversé et non un fait avéré déjà constitué en illégalité. Or A.Cœuret se demandait, en 1995 encore, si le délégataire en charge de la santé -ou de l’environnement-, disposait  » du droit d’affirmer contre sa hiérarchie le respect de la légalité  » …  » il faut que la Chambre sociale de la Cour de cassation soit prête à considérer comme nul le licenciement du délégataire qui a voulu respecter et faire respecter les textes contre la volonté plus ou moins affichée des dirigeants de l’entreprise  » 35. Il n’en était pas certain pour des illégalités avérées, qu’en serait-il pour des suspicions ?

1. Le juge est-il sensible à la protection de la santé publique ?

Est-ce au salarié de s’occuper de la santé publique contre l’avis de la direction ? Le juge répondit par la négative dans une affaire opposant des laborantines à leur direction, sur les risques potentiellement liés à la pratique du poolage du sang des clients en matière de test de dépistage du sida ; seuls les lots positifs faisaient l’objet d’une vérification individuelle. Elles dénoncèrent la pratique publiquement, ce qui provoqua la fermeture administrative du laboratoire. A la réouverture, elles furent licenciées et la Cour de cassation retint la cause réelle et sérieuse du licenciement, les laborantines ayant  » abusé  » de leur liberté d’expression 36. On peut se demander ce qu’il en sera de l’affaire de Fumel, qui se situe sur un autre terrain juridique. Un collectif de chômeurs avait décidé de neutraliser un incinérateur d’ordures ménagères qui fonctionnait en dehors des valeurs limites fixées par la réglementation. Après de nombreuses demandes restées lettres mortes, le collectif détruisit l’installation électrique, empêchant le fonctionnement de l’équipement. Les participants à cette voie de fait furent aussitôt mis en détention provisoire. Trois d’entre eux y restèrent 32 jours pour avoir fait, dans l’illégalité, le travail qu’aurait dû faire l’administration 37.

2. L’apport et les limites de l’arrêt Cicolella

A l’examen de la jurisprudence antérieure, on réalise l’apport et les limites de l’affaire Cicolella. Le conflit entre la direction et le salarié portait bien sur la stratégie à adopter au regard de la production et de la divulgation de données scientifiques qui venaient conforter la thèse des partisans de l’interdiction d’un certain nombre de formes d’éthers de glycol, décision importante sur le plan économique. Pour un organisme comme l’INRS, comprenant une représentation industrielle importante qui participe au financement de l’Institut, il s’agissait bien d’une question stratégique. Depuis, un certain nombre de suspicions ont été confirmées dans l’expertise collective réalisée par l’INSERM et rendue publique le 21 octobre 1999. Le 8 novembre 2000, la Commission de sécurité des consommateurs a demandé l’interdiction totale de la plupart de ces éthers, considérant après bien d’autres que  » l’usage contrôlé  » qui résulte des arrêtés Aubry de 1999 était insuffisant 38. En 1994, il s’agissait pour A.Cicolella, de laisser le colloque se dérouler et d’en publier les actes pour disposer de résultats scientifiques permettant de fonder l’interdiction de l’usage de certains éthers de glycol aux fins de protéger la santé des travailleurs et des consommateurs. Cela le conduisit à désobéir à sa hiérarchie qui souhaitait organiser une rencontre avec ceux qui contestaient la validité de ces résultats. Le licenciement est déclaré abusif en ces termes :  » Que dès lors, l’employeur devait exercer son pouvoir hiérarchique dans le respect des responsabilités confiées à l’intéressé et de l’indépendance due aux chercheurs ; qu’il devait respecter les procédures de concertation et qu’il ne devait pas imposer une rencontre avec une autre équipe que le salarié pouvait considérer comme prématurée et de nature à compromettre le déroulement du symposium ; qu’en l’état de ces constatations (la cour d’appel) a pu décider (…) que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse … « .
On peut donc considérer raisonnablement que dans des affaires intéressant la santé publique, le cadre dispose d’une liberté d’expression et d’action (ici le refus de se rendre à une réunion), justifiant un refus d’obéissance. Les formulations utilisées insistent sur le fait que le supérieur hiérarchique ne pouvait pas imposer la rencontre si le salarié la jugeait prématurée, ce qui aboutit à faire prévaloir le point de vue du salarié sur celui de la direction, et l’on remarquera que l’intérêt de l’entreprise, parfois évoqué par le juge pour justifier les licenciements, est totalement évacué. Il faut toutefois admettre que l’arrêt ne dit pas comment le juge réagirait à l’annonce publique d’un dysfonctionnement de l’entreprise, puisque le conflit était resté confiné à un cercle limité de personnes au sein de l’INRS. Il est probable que la dénonciation d’un fait avéré ne justifierait pas le licenciement. Mais, la plupart du temps, le conflit commence pendant la phase d’incertitude scientifique qui est le moment où doit s’appliquer le principe de précaution. Dans une telle hypothèse, il est rare qu’une solution s’impose clairement contre une autre, et la tâche du juge sera difficile. Enfin, cet arrêt de la chambre sociale ne résout pas le problème des fonctionnaires, astreints au devoir de réserve. On ne dispose à cet égard d’aucun élément jurisprudentiel permettant d’affirmer qu’ici aussi, une relative protection du lanceur d’alerte est en train de se constituer. Or il est fréquent que des fonctionnaires aient en leur possession les éléments du débat scientifique, et c’est souvent, en France plus encore qu’ailleurs, un fonctionnaire qui devrait être le lanceur d’alerte sanitaire.
Ces limites sont importantes et font regretter qu’une protection légale ne soit pas envisagée, donnant au lanceur d’alerte le même statut qu’au salarié protégé 39. Il faut donner son autonomie à celui qui est en charge de la santé publique, qu’il s’agisse d’organiser l’indépendance des experts, de doter d’un statut protégé celui qui, dans l’entreprise, assume une fonction qui peut aller à l’encontre des intérêts économiques immédiats de l’entreprise. C’est le cas en droit belge de celui qui assure la gestion des déchets toxiques (loi du 22 juillet 1974 et arrêté du 9 avril 1992) ; ce sera peut-être le cas des travailleurs de l’aviation civile qui signalent incidents et défaillances, annonciateurs d’accidents 40. Il s’agit ici de solutions ponctuelles et non d’une générale.
***
On réalise bien que cet arrêt de la Cour de cassation n’est pas intervenu dans un contexte vide. L’idée que les salariés auraient quelque chose à dire de la santé publique et de l’environnement, c’est-à-dire des effets du processus de production à l’extérieur de l’entreprise, suscite une certaine méfiance, tant de la part des dirigeants que de la part des syndicats 41. Mais elle avance malgré tout, soit dans des textes spécifiques, soit par la voie d’accords de groupe créant des commissions de sécurité et environnement 42. Elle est d’ailleurs dans la logique des efforts de prise en considération de la personne et du citoyen dans le travailleur. On peut toutefois se demander si la protection du lanceur d’alerte sanitaire ne comporte pas des risques ? On pense évidemment à un mécanisme dont les abus conduiraient à une société de la délation 43. Mais les travaux qui ont évoqué cette dérive, tant dans l’histoire qu’à la période actuelle, soulignent que la dénonciation peut, aussi, renforcer le lien social à la condition de porter sur la protection de valeurs communément admises, la santé publique faisant l’objet d’un consensus, plus que l’environnement.

  1. M-A.Hermitte et C.Noiville : L’obligation d’information en matière de santé publique à la lumière de la loi du 1er juillet sur la sécurité sanitaire, Gaz.Pal.23 – 24 oct.1998, n° spécial sur le droit de la santé.
  2. F.Chateauraynaud et D.Torny : Les sombres précurseurs, Ed.. de l’EHESS, 1999. Les auteurs distinguent le prophète de malheur du lanceur d’alerte, établissent les différences de nature entre les phases qui vont du temps de l’alerte à la crise politique et illustrent leurs propos par l’étude détaillée de trois grandes crises, l’amiante, l’ESB et l’excès de leucémies dans le Nord Cotentin
  3. J-J.Salomon : Le risque technologique et l’aventure spatiale, in Zenon, n°2-1997, Ed. Milan
  4. Cass.soc.11 oct.2000 n°3716, pourvoi n°98-45.276
  5. A.Rouast : Les droits discrétionnaires et les droits contrôlés, RTDCiv.1944 p.1 ; F.Venin-Domenach : Pouvoir ou droit disciplinaire dans l’entreprise privée, thèse, Université Lyon II, 1973 ; A.Jeammeaud, M.Le Friant et A.Lyon-Caen : L’ordonnancement des relations du travail, D.1998, n°38 chron.359
  6. M-A.Hermitte : L’expertise scientifique à finalité politique. Justices, décembre 1997. A la suite des attaques dont l’INRS avait été l’objet, tant dans cette affaire que dans une campagne de presse portant sur la toxicité de certains usages de l’aluminium (France Soir 25 sept.1998), l’IGAS a été saisi d’un audit sur le fonctionnement de l’Institut. Le rapport, rendu en octobre 2000 relativise certaines critiques des médias, mais confirme une évaluation circonspecte, la pérennité de l’organisme étant reliée à sa capacité de s’insérer dans le  » cadre renouvelé  » de la prévention des risques. Il est donc recommandé de réformer l’organisation et le fonctionnement interne de l’INRS et d’améliorer l’indépendance de l’expertise. On peut trouver tous ces documents sur les sites Internet de l’INRS et de l’IGAS.
  7. Le principe est affirmé dans le rapport de C.Huriet sur la sécurité sanitaire (Sénat, 1996-1997, n°196 p.60)
  8. Ce point ne sera pas exploité clairement par la Cour d’appel ; cela suggérerait pourtant que la qualité de chercheur donne en soi une indépendance intellectuelle, hors de toute question de santé publique. On peut y voir une application sur un autre terrain de la distinction utilisée par F.Polleaud-Dulian entre opus et labor : Propriété intellectuelle et travail salarié, RTDcom. 2000 n°2 p.273-297
  9. On constatera d’ailleurs avec intérêt que cette procédure est conforme aux idées développées autour du caractère contradictoire de l’expertise, cf. D.Dormont et M-A.Hermitte : Le principe de précaution à la lumière de l’affaire de la vache folle, op.cit. p.369
  10. M-A.Hermitte et V.David : Le principe de précaution et l’évaluation des risques, Petites Affiches, numéro spécial sur le principe de précaution sous la direction de G.Viney, novembre 2000
  11. Cass.soc. 13 nov.1996, Dr.soc.1996 p.1067 note J-J.Dupeyroux ; pour A.Supiot, le lien de subordination est bien l’obstacle principal que rencontrent les salariés qui souhaiteraient lancer une alerte écologique, in Droit du travail et droit de l’environnement, SFDE – LITEC 1994. Il parle des salariés comme sujets passifs du droit de l’environnement car l’information écologique donnée par l’entreprise à ses salariés, quand elle est faite, va de haut en bas
  12. I.Vacarie invoque l’article L.230-3 du code du travail selon lequel il incombe à chaque salarié de prendre soin de sa sécurité et de sa santé, ainsi que de celle des autres personnes concernées du fait de ses actes ou omissions au travail. Il aurait effectivement pu être invoqué malgré sa grande généralité,  » L’implication écologique du salarié « , in Droit du travail et droit de l’environnement, SFDE -LITEC 1994
  13. A.Jeammaud, M.Le Friant et A.Lyon-Caen, op.cit. p.365
  14. P.Ardant : Introduction à la table ronde sur les libertés du citoyen dans l’entreprise, D.soc. mai 1982 p.428. G.Lyon-Caen : Les libertés publiques p.57 ; il date la claire distinction de la vie privée et de la vie professionnelle d’un arrêt de 1973 sur le licenciement d’un salarié qui n’avait pas fait état de sa qualité de prêtre, qualité jugée sans lien avec l’exécution du contrat de travail
  15. C’est l’idée qui fonde toute l’œuvre de G.Lyon-Caen depuis  » Une anomalie juridique, le règlement intérieur « , D.1969 chron.247, jusqu’au rapport sur les libertés publiques et l’emploi publié en 1992 à la Documentation française. Il montre comment le règlement intérieur, discrétionnaire, était un instrument de domination alors qu’il devient une limite du pouvoir patronal quand il s’appuie sur un socle d’ordre public contrôlé par l’administration du travail sous contrôle du juge. Pour D.Gutmann, cette mesure, ce minimalisme est une sorte de principe général qu’il nomme principe de pertinence, in Le sentiment d’identité, Etude de droit des personnes et de la famille, LGDJ, 2000, p.348 et sv. cf. aussi M-F.Mialon : Les pouvoirs de l’employeur, LGDJ, 1996, p.107 et C.Puigelier : Le pouvoir disciplinaire de l’employeur, Droit Poche 1997
  16. Pour un rappel rapide, cf. M-C.Escande-Varniol : La Cour de cassation et l’intérêt de l’entreprise, RJS 4/00 p.260 ; cf. le numéro spécial de la revue de droit social 1982, et particulièrement G.Bélier : Droit disciplinaire et citoyenneté dans l’entreprise dans la réforme des droits des travailleurs, D.Scoail mai 1982
  17. Pourtant, H.Seillan fait remarquer depuis longtemps que la sécurité doit être globalisée et qu’il est artificiel d’opposer le dedans et le dehors, Obligations et responsabilités en droit du travail et en droit de l’environnement, in Droit du travail et droit de l’environnement, SFDE, Litec, 1994 p.46 ; dans le même ouvrage, I.Vacarie évoque la liberté de conscience qu’elle semble limiter au chercheur souhaitant interrompre une recherche ou en taire les résultats s’il estime en conscience qu’elle conduirait à une  » utilisation inacceptable du vivant  »
  18. J-M.Verdier : Libertés et travail. Problématique des droits de l’homme et rôle du juge, Dalloz 1988, chron. 63
  19. M-C.Escande-Varniol : La Cour de cassation et l’intérêt de l’entreprise, RJS 4/00, p.264 et sv. :  » Le pouvoir de direction économique de l’entreprise reste une prérogative peu encadrée par le droit du travail  »
  20. On se reportera avec intérêt à l’exposé des motifs des lois Auroux qui, au chapitre sur l’expression des salariés, faisait état de l’augmentation du niveau de formation des travailleurs et de leur désir de s’exprimer et d’intervenir en vue de modifier les conditions quotidiennes de leur travail. Le texte respectait la fonction de médiatisation des institutions représentatives, mais faisait remarquer qu’elle n’était pas incompatible avec un droit d’expression directe et l’ouverture de l’entreprise au dialogue. Il reste que n’étaient envisagées queles questions qui concernaient les salariés,sous-entendu les conditions de vie dans l’entreprise. On est en train de franchir une étape avec la possibilité de s’exprimer sur des choix qui auront peut-être des répercussions sur ces conditions de travail, mais qui concernent au premier chef la conduite de l’entreprise elle-même, cf. le numéro spécial de D.soc. mai 1982, particulièrement G.Bélier : Droit disciplinaire et citoyenneté dans l’entreprise dans la réforme des droits des travailleurs, et p.414 ; à rapprocher du pouvoir d’alerte et d’investigation du comité d’entreprise qui a connaissance de faits de nature à affecter la situation de l’entreprise, art. L.432-5
  21. CA Versailles 7 oct.1998, 11ème ch., Giacometti, RJS 8-9/99 n°1194
  22. Cass.soc.14 déc.1999, RJS n°2/00 n°192
  23. On mesure le chemin parcouru depuis un arrêt du 28 avril 1994 :  » Mais attendu que le droit d’expression des salariés sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail s’exerce seulement dans le cadre de réunions collectives organisées sur les lieux et pendant le temps de travail ; que l’envoi d’une lettre par un salarié à son employeur ne peut légalement constituer l’usage de ce droit d’expression « , Cass. Soc. Bull. Vème Partie, n°159 ; on le mesurera aussi en lisant l’article de R.Vatinet, L’expression des salariés, in Les transformations du droit du travail, Etudes offertes à G.Lyon-Caen, 1989 p.395
  24. Dans le cas d’un journaliste réalisateur d’émissions de télévision, la CEDH a au contraire admis que, dans le contexte particulier d’un conflit du travail doublé d’un débat public passionné sur la télévision publique, les critiques du salarié, même émaillées de propos grossiers et impolis revêtaient un intérêt général. Dès lors le licenciement était disproportionné, CEDH 29 fév.2000, Fuentes Bobo c/ Espagne, Dalloz 2001 n°7, 576, note J-P.Marguenaud et J.Mouly
  25. RJS 2/00 p.128 et 129 ; cf. J -C.Javillier : L’obligation de loyauté des cadres, Dr. ouvrier 1977, 133
  26. A.Gardir : Une illustration de l’insubordination du salarié : le refus d’exécuter une tâche. D.soc. 4 avr.1996, p.363
  27. Cass.soc.25 janv.2000, F-J.Pansier : Liberté d’expression du salarié et instance d’énonciation, Les cahiers sociaux du Barreau de Paris, n°119, 2000 p.499 ; dans le même sens, la Cour d’appel de Paris estime qu’un cadre qui explique en termes mesurés à ses supérieurs hiérarchiques que certains éléments extérieurs à son secteur nuisent à son bilan d’activité, est dans le cadre de l’exercice normal du droit d’expression individuel, CA Paris, 8 octobre 1998, Robert, RJS 8-9/99 n°1193 ; cf. toutefois, mais la décision est antérieure, la chambre sociale retient l’atteinte à l’autorité des dirigeants et à la bonne marche de l’entreprise, Mme F. ayant dénigré plusieurs d’entre eux devant deux médecins entretenant des rapports professionnels avec le laboratoire qui l’employait : Cass.soc.27 mai 1992, n°90-43183 ; cf. aussi une enseignante qui porte à la connaissance de ses collègues les différends qui l’opposaient à la direction, Versailles 4 mai 1993, RJS 7/93 n°824, cf. M.Buy : Libertés individuelles des salariés et intérêts de l’entreprise, un conflit de logiques, in Les droits fondamentaux des salariés face aux intérêts de l’entreprise, Colloque du 20 mai 1994, PUAM p.9
  28. Cass.soc.14 mars 2000, Pitron c/ Cuneaz, RJS 4/00 p.283
  29. La faute grave ne fut pas admise à propos du refus d’un salarié d’exécuter des instructions contraires à l’intérêt du client, Cass.soc. 7 déc.1989, SARL La clé enchantée, c.Keumunian, Jurisclasseur travail, vol.IV, fasc.30-60, 1993 ; le mandataire a le devoir de désobéir à un ordre injuste de son mandant, faute de voir sa responsabilité engagée, A.Sériaux : Contrats civils, PUF, droit fondamental, 2001 p.348
  30. A rapprocher de l’article d’A.Supiot : Le travail et l’opposition public/privé, qui aborde à la marge la question de l’environnement dans le II, Travail et intérêt général, un lien à redéfinir, in Le travail en perspective sous la dir. d’A.Supiot, LGDJ 1998 p.340 sv. Sur la question générale de la sécurité et de l’entreprise, cf. H.Seillan : L’obligation générale de sécurité du chef d’entreprise, Dalloz 1981, particulièrement p.303 et sv.
  31. A.Cœuret et E.Fortis : Droit pénal du travail, Litec, 1998. Les auteurs font remarquer que cette responsabilité si spéciale n’est pourtant pas expressément organisée par le code du travail. Il n’est que certaines dispositions spécifiques, en matière de transport par exemple, qui incriminent  » toute personne qui, chargée à un titre quelconque de la direction ou de l’administration de toute entreprise ou établissement a, soit contrevenu par un acte personnel, soit en tant que commettant laissé contrevenir par toute personne relevant de son autorité ou de son contrôle à la présente ordonnance en ne prenant pas les dispositions de nature à en assurer le respect « . Ils font remarquer que c’est donc bien l’autorité et le contrôle qui déclenchent la responsabilité pénale.
  32. Cass.soc.11 juin 1998 n°96-42-244 ; Cass.soc.4 mars 1998 n°95-44-690 ; CE 12 nov.1990, AJDA 1991, 484, observ. X.Pretot ; CA Rouen, 3 mars 1987, Jp.Soc. UIPP n°88-503 p.244
  33. Cass.soc.17 juin 1998, n°96-42.328, Lamy social, cahiers de jurisprudence 2000 n°4744 ; c’est presque de manière inverse que l’on admet que le juge doit  » vérifier que des considérations d’intérêt général ne s’opposent pas au licenciement « , note A.Lyon-Caen, sous Cass.soc.13 oct.1977, D.1978 II p.350
  34. A.Gardir : Une illustration de l’insubordination du salarié : le refus d’exécuter une tâche. D.soc. 4 avril 1996 p.363
  35. A.Cœuret : Infractions aux règles d’hygiène et de sécurité du travail, délégation de pouvoirs et mise en danger, D.soc. n°4-1995 p.344
  36. cf. M-A.Hermitte et C.Noiville, op.cit. note 22 ; la suspicion s’est révélée non fondée, mais à l’époque de la dénonciation on n’avait pas de certitudes
  37. L’affaire de Fumel, action délictueuse ou citoyenne ? Préventique n°47-1999, il faudrait dire délictueuse et citoyenne…
  38. Libération, Le croisade d’A.Cicolella contre les solvants, Vendredi 10 novembre 2000
  39. Cela a été demandé sans succès dans deux rapports, celui de P.Kourilsky et G.Viney d’une part, celui de O.Grzegrzulka et A.Aschiéri, Propositions pour un renforcement de la sécurité sanitaire environnementale, Rapport au premier ministre, 16 novembre 1998. Les cas de conflit sont sûrement moins rares que ce qui apparaît officiellement ; cf. le licenciement suivi de réintégration d’E.Imbernon de la division des études épidémiologiques d’EDF, Le Monde 19 mars 1997, sans parler d’A.Nikitine qui avait été poursuivi en Russie pour avoir divulgué des informations secrètes sur l’état des sous-marins nucléaires russes à une organisation écologistes norvégienne, ou encore T.Fronte, ingénieur licencié d’une filiale de Framatome pour insuffisance professionnelle quand il a dénoncé des problèmes de fiabilité d’un système d’étanchéité de certaines centrales nucléaires, cf. Le Monde 24 mai 2000
  40. Position commune arrêtée par le Conseil le 18 juin 2001, JOCE du 20 août 2002 C 197 E/16. Le projet de directive concernant les comptes rendus d’évènements dans l’aviation civile fait remarquer que les accidents sont presque toujours précédés de défaillances qu’il est nécessaire de mieux prendre en compte en obligeant à les consigner et en assurant un échange d’informations. Mais ces informations sont très sensibles et il est donc nécessaire de protéger les sources pour donner au personnel la confiance requise. Les Etats seraient donc obligés de protéger, contre leurs employeurs, les salariés qui rendent compte de tels évènements (art.8-3)
  41. Droit du travail et droit de l’environnement. SFDE-LITEC, 1994. Cf.. particulièrement l’article de P.Bobe, qui fait part de l’opposition de la CFDT à la création d’une instance spécifique pour régler les problèmes d’environnement dans l’entreprise, ce qui faciliterait pourtant les choses, mais préconise effectivement le droit d’intervention des salariés, ce qui les laisse tout de même plus isolés, et mieux, l’octroi d’un  » statut  » à la protection de l’environnement dans les conventions collectives, p.62.
  42. A.Supiot, même ouvrage
  43. On peut citer le négationnisme comme exemple d’utilisation abusive de la liberté d’expression des chercheurs, cf. la révocation de S.Thion, chargé de recherche au CNRS, en date du 4 octobre 2000, pour avoir manqué à l’obligation de réserve par la remise en cause de l’existence des crimes commis contre l’humanité … « , Le Monde, 27 oct.2000 ; J-F.Gayraud : La dénonciation, PUF, Politique d’aujourd’hui, 1995 ; D.Lochak : La dénonciation, stade suprême ou perversion de la démocratie, in L’Etat de droit, Mélanges Braibant, Dalloz, 1993