Le retour du tirage au sort

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mardi 13 décembre 2011

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Pourquoi une pratique  quasiment abandonnée depuis 2500 ans revient-elle en surface de la démocratie ? Appliqué à Athènes pour le gouvernement de quelques dizaines de milliers de personnes, le tirage au sort des dirigeants était le fait des citoyens  mâles, et donc sollicitait directement toute la population à l’exclusion des femmes et des esclaves.Après des siècles de dictature des riches et des rois, la Révolution a réinventé la république en promouvant la nomination par élection des représentants du peuple. Aujourd’hui cette pratique de « démocratie électorale » a montré ses limites : professionnalisation du politique, cumul des mandats, accaparement des pouvoirs par quelques partis, non respect des engagements, compromissions avec des intérêts économiques,….De plus, à ces carences fréquentes chez les politiciens légitimés par le vote s’ajoute, dans le champ en évolution rapide des technosciences, une incompétence de ces élus pour prendre les décisions conformes à l’intérêt commun. Cette carence de savoirs scientifiques et techniques est mise à profit par les lobbies concernés afin d’obtenir les solutions qui leur conviennent.Finalement, les périls écologiques grandissants obligent à affronter avec audace la question démocratique[1].

Les conséquences néfastes du système électoral ont stimulé dans la période récente diverses propositions soit pour remplacer tout ou partie des élus par des citoyens désignés par le sort , soit pour adopter des procédures ponctuelles  qui confieraient à des citoyens tirés au sort et plus ou moins éclairés le soin de formuler des avis indépendants de toute pression  Certains proposent de remplacer la démocratie délégataire actuelle par un régime évitant les prébendes des responsables autant que  leur éloignement du peuple et où la clérocratie (désignation par le sort) deviendrait déterminante. D’autres proposent de tirer au sort une Assemblée référendaire qui se réunirait plusieurs fois chaque année pour examiner les recours de l’opposition et éventuellement s’autosaisir d’autres questions.Une proposition plus aboutie consisterait  à remplacer le Sénat par une chambre des citoyens [2]dont les membres seraient tirés au sort. Cette structure partage certaines vues exprimées par D Bourg et K Whiteside [3] qui proposent un sénat de l’écologie , mais dont les membres tirés au sort  proviendraient majoritairement d’une « liste d’experts » , reflétant la prépondérance donnée au technique sur le politique…et finalement le manque de confiance dans la capacité des citoyens à se saisir de tout objet qui concerne la vie des gens ordinaires…

Ces propositions ont en commun de combiner la démocratie directe avec la démocratie représentative, ouvrant ainsi des voies intéressantes pour le renouveau politique. Pourtant, des critiques violentes du tirage au sort  sont portées, en particulier  par Raoul-Marc Jennar [4]qui pose que la question du pouvoir ne peut pas se résoudre à celle de la gestion administrative et qu’ « il n’y a pas de démocratie si l’entièreté du peuple n’est pas associée aux choix » ou encore qu’ « on prétend remédier aux maux qui affectent la représentation en la supprimant. On crée l’illusion d’une démocratie directe en confiant à des inconnus le sort du peuple». D’autres en rajoutent en évoquant  sur la toile « le sens quasi diabolique qu’on peut attribuer au tirage au sort qui vient du mystère d’un avenir inconnu. (jeter un sort ?) » ou encore que  l’anonymat des tirés aux sorts « fait penser à une forme d’anarchie ou au moins de cacophonie »…Nous nous intéresserons ici aux procédures ponctuelles plutôt qu’aux modes de gouvernement.

Le tirage au sort des jurys

Il s’agit de constituer des groupes  temporaires ( panels ) de personnes indépendantes auxquelles on confie la mission ponctuelle de s’informer, délibérer et aviser sur un sujet controversé, le plus souvent à propos d’une innovation.Parmi de nombreuses variantes[5], la forme la plus  prometteuse de tels groupes est la conférence de citoyens (CdC) utilisée depuis 20 ans par le Parlement danois pour s’enquérir des choix de la population sur des questions  d’innovation technologique ou de gestion de l’environnement et introduite en France en 1998 sur le thème des plantes transgéniques[6], à l’initiative de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques(OPCSET). Cette procédure a essaimé largement dans le monde sous des formes variées, nombre d’organisateurs de CdC profitant de l’absence d’un protocole précis mais contraignant pour promettre, au meilleur coût démocratique,  une ouverture de la société à la « participation ».Ainsi se réclament du label CdC des procédures perverties (recrutement de « citoyens »professionnels des enquêtes d’opinion, orientation de la formation favorisant une tendance ou des intérêts particuliers,…) ou allégées à l’extrême (expédiées en quelques heures)[7]. Convaincus du potentiel démocratique unique de la CdC, quelques juristes et sociologues ont répondu à la demande de la fondation Sciences Citoyennes d’en définir les modalités les plus favorables. Ce travail multidisciplinaire a conduit à proposer un protocole susceptible de convaincre la société civile comme les élus que la CdC peut être un outil rationnel au service du bien commun. C’est pour se démarquer de pratiques confuses ou malhonnêtes que nous avons choisi de renommer une telle CdC convention de citoyens[8].

Comme le tirage au sort des élus, les CdC font l’objet de critiques auxquelles j’esquisse ici quelques réponses:

Représentativité d’un groupe restreint. L’expérience des sociologues montre qu’un groupe constitué d’une quinzaine de personnes permet d’assurer l’expression de toutes et de réduire les conflits internes.Ce groupe est issu des listes électorales (tirage au sort d’environ 200 personnes) puis se réduit par le refus de certains d’assumer cette lourde tâche, ou par leur exclusion (en particulier si certains sont en conflit d’intérêts avec la thématique), et le panel final est constitué pour contenir la plus grande diversité. S’il est exact qu’un tel groupe ne peut pas être représentatif au sens statistique (il faudrait 1000 personnes), il est cependant assez  varié pour avoir une signification sociologique : le psychosociologue Guy Amoureux s’est ainsi étonné d’avoir animé le « même » groupe en 2003 (CdC sur les changements climatiques) et en 1998 (CdC sur les PGM) …

Incompétence du citoyen lambda. C’est un argument d’autorité émis par les tenants du pouvoir ( ceux désignés par la « démocratie élective ») ou les porteurs d’intérêts (industriels, chercheurs, experts…) mais aussi par des leaders associatifs parvenus à un niveau d’expertise reconnu…donc par beaucoup de monde ! Quand ces arguments  proviennent de démocrates ils contredisent fondamentalement leur foi exprimée dans « le pouvoir du peuple », lequel est susceptible d’apprendre et de comprendre pourvu qu’on en  produise les conditions .

Acquisition rapide de connaissances suffisantes. Comme constaté dans toutes les analyses de  chercheurs spécialisés (voir en particulier les travaux de Michel Callon[9]) et rapporté dans un ouvrage synthétique [10] , une personne « ordinaire » et motivée  recèle des capacités souvent insoupçonnées pour acquérir des connaissances et atteindre un niveau de pertinence et de critique qui n’a rien à envier à celui des experts officiels. En ce sens, il faut souligner que les conditions d’acquisition (ou plutôt de révélation) de ces qualités cachées placent la CdC à l’opposé des procédures utilisées pour connaître l’opinion de personnes non préparées (sondages) ou insuffisamment éclairées (la plupart des référendums).

Représentativité de l’élu du sort.La critique est presque risible dans un système où les députés sont souvent élus par 30% des électeurs potentiels si on prend en compte les non-inscrits et les abstentionnistes…Evidemment la question de la diversité se pose (sexe, âge, région, catégorie socio-professionnelle,…)mais c’est une question technique (dont l’importance dépend de la taille et de la neutralité de la population dans laquelle on réalise le tirage au sort ) pour laquelle il existe des réponses techniques et sérieuses.

Volontariat. Bien plus que dans un  jury d’assise, le membre du panel d’une CdC doit consacrer à cette mission beaucoup de temps (3 week ends en général) et d’énergie (réunions, lectures, échanges,…). Aussi le volontariat permet de ne retenir que les citoyens motivés, dévoués au bien commun . Toutefois ce volontariat doit être postérieur au tirage au sort pour éviter l’intrusion de porteurs d’intérêts masqués…De même, le  bénévolat des membres du panel est nécessaire pour éviter la « professionnalisation » et des motivations économiques : seule l’indemnisation des frais engagés  est assurée.

Evitement des conflits d’intérêts. Il suffit de refuser, après tirage au sort, des personnes qui, par leurs liens familiaux, professionnels, financiers ou idéologiques s’efforceraient d’orienter la position du panel dans une direction prédéterminée. Cette identification est assez aisée quand  la CdC traite d’un problème à portée générale (OGM, nucléaire,…) mais devient d’autant plus difficile que le thème est local (intérêt de riverains, projets personnels,…). C’est pourquoi la CdC n’est pas applicable aux problèmes locaux, sauf à définir des règles particulières.

Objectivité de la formation donnée au panel. Une des règles importantes que nous avons introduites est le rôle déterminant d’un comité de pilotage, distinct du comité d’organisation, comportant des personnes connues pour leurs positions  variées et parfois contradictoires sur la question traitée (puisqu’il s’agit en général de controverses publiques dont plusieurs acteurs sont connus). Celles-ci (experts académiques, personnalités publiques, mais  éventuellement représentants d’associations)  ont mission d’aboutir à un consensus sur le programme de formation (nature et durée des exposés, identité des formateurs , sélection des cahiers d’experts sollicités auprès du public…) . C’est le dépassement consensuel des contradictions au sein du comité de pilotage qui garantit la plus grande objectivité possible de la formation.

Pressions externes sur le panel. Elles sont réduites à l’impondérable pourvu qu’un protocole précis soit respecté à chaque étape. Les citoyens sont anonymes et leur contact avec les formateurs (exposés, questions) se réduit strictement au temps décidé par le comité de pilotage La procédure est entièrement filmée pour vérification ultérieure . Les citoyens rédigent eux-mêmes l’avis final.

Responsabilité des décisions. Etre élu c’est passer un contrat moral avec l’électeur, ce que ne réalise pas l’élu du sort.Le tirage au sort priverait donc les autres citoyens du droit de demander des comptes. C’est exact et c’est pour cette raison que la convention de citoyens tout comme la chambre des citoyens (voir plus haut) ne prétend pas établir la loi mais éclairer complètement le législateur élu.Il faut noter toutefois que les citoyens tirés au sort et acceptant  une situation de responsabilité, pour une période assez brève qui évite l’accoutumance, démontrent une conscience civique et des compétences exceptionnelles qu’on aimerait trouver chez tous nos élus…

Suite des avis. C’est le point essentiel . Il doit recevoir une réponse législative pour en finir avec les leurres démocratiques [11]et c’est pour qu’une telle  reconnaissance soit possible qu’il fallait d’abord définir la procédure en proposant  des règles pour assurer son efficacité et son objectivité, c’est à dire sa crédibilité. Il est impératif que l’organisateur d’une CdC s’engage à en respecter les conclusions ce qui signifie deux choses. D’abord que le mouvement associatif , ou une administration, ou un pouvoir quelconque , ne devrait pas organiser une CdC s’il est dépourvu des moyens d’en assumer concrètement les suites. Ensuite que la puissance organisatrice compétente, dans l’idéal le Parlement, doit examiner chaque proposition des citoyens de la CdC lors d’un débat suivi d’un vote transparent. C’est dire que l’élu est seul habilité à légiférer mais qu’il doit engager clairement sa responsabilité devant l’avenir s’il s’oppose aux propositions de ces citoyens indépendants et avertis. De plus, les citoyens ayant contribué à la CdC, et le public en général, doivent être tenus informés régulièrement des effets de leurs avis.D’où le rôle important que devraient avoir les médias, jusqu’ici peu intéressés par ces procédures d’où sont absentes les vedettes habituelles et dont ils sont exclus par souci de confidentialité jusqu’à la remise de l’avis.

Le tirage au sort et les militants

Le problème permanent pour les militants  (qui aujourd’hui refusent  presque tous la violence) est de gagner du terrain avec leurs propositions, c’est à dire de persuader une majorité des citoyens du bien-fondé de ces propositions mais aussi de transformer cette avancée intellectuelle en avancée concrète. Le souhait populaire non faussé, tel qu’il est  exprimé lors d’une CdC ,  est souverain par le seul fait qu’il n’est pas faussé mais il se trouve qu’il conforte le plus souvent les arguments de ceux qui prétendent au bien commun, comme la plupart des associations. Ainsi, il n’était pas écrit d’avance que de telles procédures  valoriseraient la précaution et le respect des droits humains plutôt que l’exacerbation de pulsions égoïstes et xénophobes, qu’elles poseraient la précaution comme prioritaire par rapport à la compétition.Ainsi, parmi les 36 propositions de la  CdC organisée en 2002 sur les changements climatiques[12] figurent  la sortie du nucléaire, la création d’un « fonds mondial d’indemnisation des catastrophes naturelles », le contrôle des permis d’émission de GES par un « organisme supranational indépendant des intérêts économiques des pays du Nord », une taxe sur le kérosène ou le contrôle du FMI,de la Banque mondiale et de l’OMC par une ONU où les pays en développement auraient plus de poids …. C’est que l’émulation qui naît dans ce petit groupe par l’acceptation d’une mission d’intérêt public s ‘ajoute à la conscience universaliste de ceux qui ne combattent pas pour prendre ou garder le pouvoir, permettant ainsi de révéler le meilleur de l’humanité, une situation rare dont tout humaniste devrait se réjouir.Aussi, il est regrettable que la plupart des ONG préfèrent le referendum à la CdC pour trancher une question grave, par exemple les centrales nucléaires[13].Il est encore plus grave que beaucoup ne souhaitent un referendum que là où les sondages laissent prévoir un résultat conforme à leurs positions…Il ne peut pas y avoir de procédure à la carte en fonction du projet de certains : ou bien la procédure est de qualité démocratique ou bien elle ne l’est pas, quelle que soit la question traitée.

Bien sûr, il est encore exceptionnel qu’une procédure participative modifie  un projet qui est souvent préétabli par le pouvoir politique en liaison avec les pouvoirs économiques. L’engouement des gouvernants pour  les débats publics découle de leur avantage considérable pour les porteurs d’intérêts : en ne permettant pas  de connaître précisément les choix des citoyens[14] ,  ils sont susceptibles d’être utilisés pour justifier le fait du prince… Pourtant, quand ces choix sont clairement énoncés comme dans une CdC, et même si l’organisateur en est le Parlement lui-même, les députés ne tirent pas toujours le meilleur profit des avis qu’ils ont  sollicités (voir, en France, la CdC sur les OGM en 1998) .Ce gaspillage  démocratique n’est pas propre à la France puisque  la même chose arrive quand un jury de paysans refuse l’agriculture industrielle en Inde : le gouvernement d’Andhra Pradesh en est renversé mais les propositions du jury ne sont pas suivies[15],  et on pourrait citer de nombreux exemples du même type. Un tel déni démocratique devenant systématique, cela doit nous amener à obtenir la prise en compte obligatoire des avis issus de procédures irréprochables , une mesure qui  devrait être plus aisément arrachée sur le plan des principes  que lors d’une procédure particulière, moment  où des intérêts puissants sont aux aguets.C’est pourquoi la société civile devrait se mobiliser sans retard pour que des règles génériques soient adoptées dans la Constitution et accompagnent obligatoirement toute procédure participative.

Bien des militants associatifs devenus compétents, et parfois experts, sont réticents à l’idée que des profanes plutôt qu’eux-mêmes puissent représenter la population auprès des décideurs politiques. Cette attitude confond le temps long du travail militant avec l’instant démocratique de la décision : certes le  militantisme est indispensable pour l’élaboration , la communication et la défense de positions affirmées mais c’est un abus de pouvoir pour telle association de prétendre que ses positions sont, comme naturellement, les plus conformes au bien commun, une conviction qui montre ses limites dans les divergences inter-associatives. Produire des textes, manifester, mobiliser patiemment, et pourquoi pas servir d’expert dans une CdC, c’est la raison d’être de tout courant de pensée un peu activiste . Mais un jury citoyen doit absolument éviter d’être constitué avec des partisans pour la triple raison qu’il existe des partisans variés (lesquels reconnaître comme « légitimes » ?), que  les citoyens devenus éclairés révèlent souvent  des choix et des propositions que nul n’a encore exprimés, et que les décideurs profiteraient de la présence de militants pour dénoncer le « sectarisme » de la procédure  et négliger le message de la CdC.Pour qui n’a pas d’intérêt particulier à défendre il n’est rien à craindre des citoyens « ordinaires » pourvu qu’on leur offre le temps et les moyens de savoir et de choisir. La vocation de la CdC n’est pas d’aboutir à un consensus plus ou moins forcé mais d’indiquer la nature et le poids de différentes options possibles. En ce sens la procédure répond à l’affirmation que « la démocratie n’est pas une méthode pour exprimer un consensus mais pour trancher les dissensus »[16].Une erreur fréquente est d’ailleurs de confondre les CdC avec les conférences de consensus qui réunissent un jury d’experts pour décider du meilleur mode technique d’intervention (souvent médicale) sans aucun rapport avec une prétention démocratique.

Dans l’éventualité où un doute existerait sur la qualité, l’objectivité ou la rationalité des réponses apportées par une CdC rien n’empêche de mener plusieurs procédures indépendantes sur le même thème afin d’en confronter les résultats, comme il est d’usage dans une expérimentation à prétention scientifique .  Imaginons trois  ou quatre CdC simultanées conduisant à des conclusions voisines : comment  négliger ces avis obtenus  par une approche unique et précieuse de l’objectivité dans les choix populaires ?

La dimension pédagogique de la CdC ne doit pas être négligée: outre l’impact recherché sur les décideurs, quel message plus crédible pour chaque membre de la société que celui émis par des personnes qui sont ses semblables, c’est à dire dépourvus d’intérêt particulier, mais dont l’intelligence, le savoir  et l’altruisme ont été exceptionnellement exaltés ?

C’est la méconnaissance de la vertu  unique des CdC pour révéler et exacerber les qualités humanistes de personnes « ordinaires » qui banalise cette procédure dans l’arsenal technique de la  démocratie participative . Malgré leur pouvoir  informatif ou  cathartique, aucune des autres procédures « participatives » n’est capable de transformer, au moins le temps d’élaboration d’un avis, un être banal en citoyen responsable. C’est surtout ce phénomène qui fait l’originalité d’une CdC et il  nous semble découler d’une levée soudaine de la chape oppressive qui inhibe au jour le jour l’intelligence, la volonté de savoir et décider. La CdC est l’occasion d’une rébellion paisible mais intégrale contre la domestication.En ce sens, si elle ne suffit pas pour conduire une révolution sociale impliquant la majorité de la population, elle donne à espérer dans les capacités humaines pour réaliser de véritables changements.Les militants se désolent de voir que les  gens qui peuplent nos sociétés, et qu’ils prétendent défendre, sont rarement admirables : souvent lâches, bêtes et égoïstes ils ne sont que la forme inhibée d’homo sapiens comme la chenille rampante contient le papillon. Permettre la métamorphose, même dans un bref échantillon, c’est constater que l’imago vaut mieux que la larve et qu’il peut  s’épanouir chez le plombier ou la ménagère, le bourgeois ou le travailleur précaire, l’apolitique ou l’électeur de droite…Il s’agit d’une espèce de miracle, que connaissent bien ceux qui ont organisé ou participé à une CdC, et qui n’est peut-être rendu possible que par la sélection  des seuls volontaires parmi les personnes sollicitées pour accomplir cette mission (environ 2 sur 3 des tirés au sort refusent ce mandat) . C’est pourquoi il importe de maintenir le volontariat et le bénévolat des jurés de CdC (mais il est faux de parler d’ élitisme quand ce sont les élus du sort eux-mêmes qui valident leur participation).Un tel « miracle » qui fait surgir l’intelligence avec l’empathie se réalise aussi  lors de certaines actions de groupe  (Résistance, grèves dures, mai 68, mouvement des indignés …). Mais, sauf coup de force qui contredirait la volonté démocratique, de telles actions ne suffisent pas pour des changements politiques, d’autant qu’elles mobilisent de moins en moins la population là où existe une apparence de liberté. C’est pourquoi, sans délaisser les autres modes d’action, les associations devraient s’investir pour la reconnaissance juridique de jurys citoyens clairement définis, type CdC, et exiger la prise en compte de leurs avis.

« Ce n’est pas la rue qui gouverne ! » lancent ceux qui souhaitent que ce soit seulement les urnes, ces boîtes tranquilles dans lesquelles le peuple confie son pouvoir à la classe dominante grâce à des mécanismes rodés où règnent les médias, les modes de scrutin, les prérogatives des élus,…afin que rien, ou presque, ne change.Alors qu’un citoyen tiré au sort est toujours « dans » la vie ordinaire dont il a une connaissance approfondie, les élus du peuple, que leur  statut privilégié coupe des réalités,  ont souvent tendance à se prendre pour le peuple élu : un député auquel j’exposais les vertus de la CdC me rétorqua : « Les gens nous ont élus  parce que nous sommes plus compétents qu’eux pour régler tous ces problèmes… ». Pourtant, si nos dirigeants n’avaient pas la grosse tête et acceptaient d’être des gestionnaires honnêtes et dévoués ils n’auraient pas de meilleur outil que la CdC pour agir conformément au bien des citoyens.

Remarquons que la clérocratie pour décider (membres du sénat tirés au sort)  et celle pour aviser (CdC) se rencontrent  selon leurs promoteurs eux-mêmes : La chambre des citoyens pourrait recourir à des CdC afin d’être mieux éclairée tandis que le sénat de l’écologie ferait systématiquement appel à des CdC avant de faire ses propositions de loi. Aussi la CdC, inventée pour résoudre des questions techniques, environnementales ou sanitaires, pourrait prendre toute sa place par son élargissement aux thèmes  politiques. Et aussi par son adoption au niveau supra national puisque les grands thèmes débordent les frontières.La plupart des propriétés de la CdC sont  singulières et font de la convention de citoyens plus qu’une recette parmi d’autres procédures participatives et  plus qu’une technologie de la participation : elle est un creuset pour le renouveau d’une démocratie usurpée !


[1] Jacques Testart, Agnès Sinaï, Catherine Bourgain. Labo planète ou comment 2030 se prépare sans les citoyens. Mille et Une Nuits, 2011

[2] Jean-Claude Bauduret, Robert Joumard, Marc Brunet,  La Chambre des citoyens : faire du tirage au sort un élément d’une démocratie active : http://www.france.attac.org/spip.php?article11951

[3] Dominique Bourg et Kerry Whiteside .Vers une démocratie écologique, Seuil, 2010

[4] Raoul-Marc Jennar. Le tirage au sort : une chimère. République ! lettre N°50, 29 juin 2011

[5] Yves Sintomer. Le pouvoir au peuple. La Découverte, 2007

[6] http://www.annales.org/re/1998/re07-98/05%20OGM_05%20OGM.pdf

[7] http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte836

[8] https://sciencescitoyennes.org/projet-de-loi-concernant-les-conventions-de-citoyens/ voir aussi

http://www.encyclopedie-dd.org/Des-conventions-de-citoyens-pour et http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte854

[9] Michel Callon, Pierre Lascoumes,Yves Barthe. Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Seuil, 2001.

[10] Dominique Bourg, Daniel Boy.Conférences de citoyens, mode d’emploi.Charles Leopold Meyer, 2005

[11] J Testart. Le vélo, le mur et le citoyen. Belin, 2007

[12] Conférence de citoyens sur « changements climatiques et citoyenneté ». In  Réflexions pour un monde vivable.J Testart et coll. Mille et Une Nuits, 2003, 101-125

[13] Libération.fr, 1 avril 2011 ou  http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte883

[14] http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte839

[15] Altermondes hors série, Sciences et démocratie, 44-45, 2011

[16] André Bellon. Pas de démocratie sans conflit. Le Monde diplomatique, juin 2009