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Tantôt David contre Goliath, tantôt Galilée…

QUOTIDIEN : samedi 28 juin 2008. http://www.humanite.fr/node/48026 [1]

Nous sommes tous des lanceurs d’alerte… C’est à n’en pas douter l’une des expressions en vue du moment, comme le furent, en leur temps, l’altermondialiste ou le « bourgeois bohème ». Aujourd’hui, il faut en être ou en connaître : un lanceur d’alerte. Des salles de rédaction aux bancs de l’Assemblée nationale, chacun essaie de revêtir la panoplie du Zorro sociétal, environnemental ou sanitaire pour ajouter une estampille « Grenelly correct » à son message. Pourtant n’est pas lanceur d’alerte qui veut et c’est la plupart du temps de souffrance et de lutte dont il s’agit et non de mode ou d’effet de manche. Autrement dit, il ne faudrait pas laisser cette notion récente être dévoyée avant même d’avoir été « fondée ». Le lanceur d’alerte ne doit pas devenir l’antimondialiste de la fin des années 1990 ou alors les médias dits dominants et autres commentateurs de la vie publique auront tôt fait de l’assimiler à un délateur ou à un prophète de malheur. Car, passé le temps de l’empathie, ce type de nouvelles notions subit généralement un galvaudage médiatique et politique aussi long à effacer que les dernières traces d’amiante à l’université de Jussieu.

Aussi, la Fondation sciences citoyennes, s’appuyant sur les travaux des sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torny, propose une définition de ce qu’est un lanceur d’alerte : « Citoyen, salarié ou scientifique travaillant dans le domaine publique ou privé, le lanceur d’alerte se trouve, à un moment donné, confronté à un fait pouvant constituer un danger potentiel pour l’homme ou son environnement, et décide dès lors de porter ce fait au regard de la société civile et des pouvoirs publics. Le temps que le risque soit publiquement reconnu, il est souvent trop tard. Les conséquences pour le lanceur d’alerte, qui agit à titreindividuel parce qu’il n’existe pas à l’heure actuelle en France de dispositif de traitement des alertes, peuvent être graves : de la mise au placard au licenciement, de la maladie au procès dans certains cas, il se retrouve directement exposé aux représailles dans un système qui ne le soutient pas car souvent subordonné à des intérêts financiers ou politiques. » Tantôt David contre Goliath, tantôt Galilée, le lanceur d’alerte peut aussi être un salarié qui se soustrait au pouvoir de subordination de son employeur. Dans l’actualité récente, citons le cas de Véronique Lapides qui, pour avoir pris à partie le maire de sa commune dans un tract alors qu’elle représentait un collectif de riverains s’interrogeant sur le nombre anormalement élevé de cas de cancers d’enfants allant à l’école sur un ancien site industriel, s’est vu intenter un procès en diffamation par le maire lui-même. Autre cas emblématique, le biologiste Christian Vélot qui, pour tenir des propos critiques sur les OGM lors de conférences publiques, a subi des représailles « administratives » jusqu’à une éviction de son institut de recherche programmée en 2009. Le choix d’un biais détourné constitue un moyen efficace pour dissuader, railler voire détruire un individu isolé ne disposant pas d’un arsenal juridique approprié. Quel poids une personne seule peut-elle avoir face à un groupe industriel, face à un licenciement annoncé, face à une hiérarchie à la fois juge et partie ?

Pour toutes ces raisons et parce que les lanceurs d’alerte bénéficient d’une protection juridique en Grande-Bretagne (le Public Interest Disclosure Act évite notamment aux lanceurs d’alerte d’être victimes de licenciement ou de pressions) et, sous des formes différentes et souvent complexes, aux États-Unis (le traitement juridique dépend de l’origine de l’alerte), en Nouvelle Zélande et en Afrique du Sud comme l’ont rappelé le 27 mars dernier au Sénat les chercheurs Marie-Angèle Hermitte et Christine Noiville, il apparaît aujourd’hui indispensable de définir un statut pour protéger les lanceurs d’alerte. Les engagements 194 et 195 du Grenelle de l’environnement et le rapport de Corinne Lepage sur la gouvernance écologique sont là pour rappeler aux responsables politiques que la protection des lanceurs d’alerte doit être inscrite dans la loi et ne doit pas être mise à la marge comme dans le projet de loi de programme du Grenelle environnement. La Fondation sciences citoyennes envisage à ce sujet de proposer une loi à l’automne prochain à l’occasion des développements applicatifs de la loi Grenelle environnement. Les lanceurs d’alerte sont des citoyens responsables… mais pas coupables.

http://www.humanite.fr/node/48026 [1]