Stratégie du choc et gouvernement de la peur

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vendredi 12 mars 2021

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Nous sommes en guerre

Il y a un an, le 16 mars 2020, E. Macron sonnait la mobilisation générale : « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire certes. Nous ne luttons ni contre une armée ni contre une autre nation, mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, et qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale. Nous sommes en guerre. Toute l’action du gouvernement et du Parlement doit être désormais tournée vers le combat contre l’épidémie, de jour comme de nuit. […] Nous sommes en guerre. J’appelle tous les acteurs politiques, économiques, sociaux, associatifs, tous les Français à s’inscrire dans cette union nationale qui a permis à notre pays de surmonter tant de crises par le passé. ».

Le ton est donné, et il est martial. « Il fallait créer un électrochoc pour sauver des vies », dira-t-il le 16 décembre. « On se rendra compte que les conséquences économiques, sociales, psychologiques seront équivalentes à celles d’une guerre ».

Depuis, ce vocabulaire guerrier militaire est repris par les politiques et les média : front anti Covid-19, travailleurs de première et seconde ligne, héros du quotidien, participation à l’effort du pays, économie de guerre, alliés de guerre, défaitistes, armée de l’ombre, pont aérien, etc.

Mais cela va bien au-delà d’un effet de langage et de la seule protection des personnes : il porte avec lui une suspension des règles communes, la construction d’un ennemi à abattre, l’idée que la violence – qu’elle qu’en soit la forme précise – constitue la norme de la vie collective.

Il a pour effet de faire paniquer les gens, les mettre au garde à vous et les faire défiler la seringue au fusil. C’est tout le contraire qui aurait dû s’imposer en faisant appel à l’intelligence collective.

État de choc et sidération

Le virus est là, sournois, il circule partout avec ses variants… On ne le voit pas… On n’est pas responsable car c’est quelqu’un d’autre qui nous le donne et on se sent coupable de le transmettre.

Pendant des semaines, les compteurs à décès, à contamination, à hospitalisation tournent en boucle comparant les scores des différents pays et décrivant des statistiques catastrophiques sans qu’on nous dise d’ailleurs sur quelles données précises, quelles analyses elles reposent. Le matraquage des chiffres, des courbes, des images des hôpitaux saturés, devient le point focal obsédé par les tendances, l’objectif d’aplatir les courbes pour justifier les mesures liberticides et imposer sans débat démocratique les mesures de confinement. Maintenant ce sont les statistiques de progression des variants du virus, de l’état des vaccinations qui font la une développant l’angoisse, l’anxiété générale, la peur de la pénurie : chaque jour devant être plus inquiétant que le jour précédent. La famille se tient à distance, les amis sont devenus des pixels, l’autre est un danger et les réunions virtuelles. Le voisin devient un agent potentiel de la Cinquième Colonne du général Coronavirus, le quidam qui promène son chien un traître, comme la personne qui va courir autour du pâté de maison ou qui rentre de commission. C’est en frôlant les murs qu’on rentre chez soi après le couvre-feu.

La répétition du même message à l’infini, base d’une propagande guerrière, est reprise par les médias qui ont tous participé à cette campagne : la télé, les radios, développent quotidiennement une véritable hypnose, phobie collective en multipliant les messages anxiogènes tous les soirs aux JT ou aux flashs d’information.

La population sidérée fait ce qu’elle peut dans des conditions difficiles pour faire face en attendant le remède miracle technoscientifique de sortie de crise pendant que les effets collatéraux du confinement font des ravages sur la santé, la culture, l’enseignement, la vie sociale.

La fabrique du consentement

Les esprits sont suspendus au bon vouloir du Prince et de ses ministres obsédés de formater et de mobiliser l’opinion publique pour obtenir l’union nationale derrière le gouvernement.  La peur, l’anxiété de la population développe l’inhibition de l’action : quelqu’un qui a peur reste paralysé, incapable d’agir et prêt à accepter tout et n’importe quoi. La fabrique du consentement tourne à plein régime relayée par les médias faiseurs d’opinion et porte-paroles du gouvernement, les déclarations (souvent contradictoires) des « experts » et des « médecins » qui défilent sur les plateaux TV alors que les scientifiques eux-mêmes avouent leur ignorance. Les élus s’effacent devant les préfets version moderne des intendants de l’ancien régime.

On parle de solidarité alors qu’on nous gave de discours médiatiques qui divisent, culpabilisent et accusent :

On fustige les comportements sociaux plutôt que l’inefficacité d’une politique de santé publique

On dénonce les jeunes, les voyageurs comme responsables de la hausse des cas positifs

On menace contre les laisser aller de l’été, de Noël : « si vous voulez porter la responsabilité d’un décès, fêtez Noël et le Nouvel An ! » (La Meuse, 28/11/2020), « si nécessaire, la police sonnera aux portes de Noël » (Le Soir, 22/11/2020), « si vous n’arrivez pas à vous tenir aux règles ? Très bien, mais ne venez pas à l’hôpital » (Le Vif, 31/12/2020), « vous refusez le vaccin contre le coronavirus ? Alors restez confinés à vie » (Dhnet, 19/11/2020)

Cette stratégie ne supporte aucune dissidence, aucun développement d’opinions différentes et pousse à restreindre les libertés (presse, réunion, manifestations, etc.) pour sacrifier à la cause. Elle tente de nous enfermer dans un monde binaire (populiste-anti-vaccins contre progressistes soucieux « quoi qu’il en coûte » de la vie et de la santé) excluant toute forme de nuance, de discussion critique, de formation de citoyens éclairés. Taxer de complotisme devient l’insulte qui permet d’éteindre toute pensée critique et tout questionnement, de faire taire et d’empêcher de poser les questions qui dérangent.

Comme dans toute situation de guerre on sacrifie la liberté de penser face à une information monolithique sans contre poids et à des mesures militaro-administratives (contrôles, attestations dérogatoires, amendes, etc.).

État d’urgence et démocratie

« Face à une pandémie, c’est un inconvénient d’être dans une démocratie et encore plus dans une démocratie contestataire. On le voit très bien, cette exigence de ne pas se plier à quelques préconisations sanitaires ou autres, que ce soit chez les mouvements de résistance aux États-Unis d’Amérique, en Allemagne aussi bien ou en France, ce sont des phénomènes qui nuisent à l’efficacité des mesures sanitaires. La démocratie, de ce côté-là, peut être un avantage pour énormément de choses mais pas d’un point de vue sanitaire par rapport au virus. » (Axel Kahn, L’Invité(e) des Matins, France Culture, 6 octobre 2020)

« Nous devons accepter de restreindre certaines de nos libertés auxquelles nous sommes attachés » (Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, en présentant le texte devant les députés mardi 22 septembre.)

Créé en mars 2020 face à l’épidémie de Covid-19, l’état d’urgence sanitaire sert notamment de base juridique au couvre-feu national à 18 heures. Ce régime de dérive autoritaire donne carte blanche au 1er ministre pour prendre les mesures les plus restrictives des libertés individuelles :  restriction ou interdiction de déplacements, des rassemblements ou des ouvertures des établissements, sur tout ou partie du territoire, ainsi que des confinements partiels ou complets de la population.

L’urgence sanitaire a été en vigueur du 23 mars au 10 juillet, puis réinstaurée le 17 octobre. Le Parlement l’a prorogée une première fois jusqu’au 16 février, puis jusqu’au 1er juin.

La Défenseure des droits, Claire Hédon, souligne que plusieurs de ses dispositions sont « susceptibles de porter, directement ou indirectement, une atteinte disproportionnée aux droits et aux libertés, notamment à la vie privée et au principe d’égalité ». « La liberté d’aller et de venir, la liberté de réunion, le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle » peuvent ainsi être remis en question par une autorité administrative. Elle note que « cette situation n’est pas sans rappeler les prorogations successives de l’état d’urgence sécuritaire entre 2015 et 2017, qui ont conduit à l’adoption de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme du 30 octobre 2017 qui a intégré des mesures de l’état d’urgence dans le droit commun »

Allons-nous traverser toute l’année 2021 uniquement avec des mesures de confinement, de déconfinement, de reconfinement ou de couvre-feu ?

En avant vers le monde d’avant* ?

La lutte contre la crise sanitaire représente une véritable opportunité pour ceux qui rêvent de surprofits, de pouvoir fort et de peuple sage et nous préparent un monde d’après qui ressemblerait au monde d’avant mais en pire en justifiant et accélérant la fuite en avant néolibérale.

L’occasion est trop belle pour nous imposer la généralisation du télétravail, du téléenseignement, du règne sans partage des plateformes numériques, de la télésurveillance.

Sommes-nous condamnés à vivre à perpétuité masqués et survaccinés, passeport en poche, dans un monde déshumanisé, numérique, virtuel, technoscientifique répressif et hygiéniste ? Sommes-nous condamnés à vivre dans la précarité, l’incertitude, la pauvreté, les injustices et les inégalités, les aléas sanitaires et climatiques, ?

Ce rêve, véritable cauchemar orwellien, n’est pas le nôtre. Nous ne le partageons pas.

La pandémie de Covid-19 qui paralyse le monde révèle l’extraordinaire et effroyable vulnérabilité de l‘actuel « modèle de développement », la potentielle multiplication des risques systémiques combinés qui s’accumulent, la synchronisation et l’interaction des crises sanitaires, sociales, économiques, climatiques et écologiques. Ce modèle est condamné à mort et il nous entraînera avec lui, où que nous soyons dans le monde, si nous ne le changeons pas.

Refusons le retour à l’anormal !

Dominique Cellier

N.B. Ce texte est également disponible au format PDF.

* Titre emprunté au Monde diplomatique du mois de janvier 2021.