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Si les citoyens se mêlaient de recherche…

Un paysan hostile aux OGM, un biologiste plutôt favorable, une sénatrice verte, un biologiste qui réclame des « conférences de citoyens » pour dire aux chercheurs où chercher, un militant altermondialiste mais pas du tout convaincu de la pertinence de cette proposition… Par Sylvestre HUET Le tout dans un sous-sol du campus de Jussieu (Paris Ve), mercredi soir, avec le titre ­ un tantinet ambitieux ­ de « Forum social de la recherche ». Souterrain, discret, pétri de contradictions, c’est le débat dissimulé sous la lutte pour les crédits, sous la négociation de la réforme : la recherche pour qui ? Pour quoi ?

« Technoscience ». Un débat qui interroge non les moyens de la recherche publique mais ses objectifs. Et qui, souvent, met en cause le consensus politique feutré, entre académiciens, directeurs de laboratoires, industriels, ministres. Consensus fondé sur l’idée que toute science est bonne, surtout si elle permet le développement économique et industriel et que le pékin, trop ignorant, doit se contenter d’applaudir.

A la tribune, il y a Jacques Testart [1] biologiste du premier bébé fivete (fécondation in vitro et transfert d’embryon) français ­ qui milite pour des « conférences de citoyens qui participeraient à la programmation de la recherche votée au Parlement », manifestement dans l’espoir qu’elles limitent une « technoscience » envahissante. Mais aussi René Louail (Confédération paysanne), qui veut bien construire des projets de recherche avec l’Inra (recherche agronomique) mais continuera « à faucher les champs d’OGM. » Ou Marie-Christine Blandin, sénatrice écologiste, qui souligne qu’au Parlement tout le monde est pour une recherche « forte » mais que peu militent pour qu’elle soit « indépendante ».

Yannick Jadot, pour Greenpeace, réclame de pouvoir participer aux « orientations de recherche » afin d’en diminuer les crédits dans le nucléaire ou les OGM et de les augmenter dans les énergies renouvelables. Claudia Neubauer, de Sciences citoyennes, propose de financer sur fonds publics des recherches proposées en commun par une association et un laboratoire.

A la même tribune, le biologiste Alain Trautmann, animateur du mouvement des chercheurs au printemps, n’est pas du tout convaincu. « Il est très dangereux de justifier la recherche fondamentale par son utilité marchande, mais tout autant par son utilité sociétale… » Tout simplement « parce que la recherche fondamentale n’est pas programmable, ni prévisible, et, surtout, la connaissance n’est pas segmentable », explique son collègue Françis-André Wollmann. Autrement dit, nul ne sait, au moment où les scientifiques soulèvent un pan d’ignorance, à quoi les mécanismes ou les phénomènes découverts vont servir. Impossible, alors, de privilégier tel ou tel domaine en fonction des retombées espérées.

Illusion de maîtrise. « On réitère l’erreur du plan Nixon sur le cancer, explique un chimiste . Certains des plus grands progrès de la médecine, comme l’imagerie, proviennent de recherche en physique dont personne ne pouvait anticiper les retombées. » Finalement, remarque Christophe Bonneuil (Sciences citoyennes), l’exigence d’une participation citoyenne à la définition de la politique de recherche pourrait bien relever d’une « illusion de maîtrise du monde symétrique de l’illusion du pilotage technocratique ».

Souvent confus, ce débat a déjà pointé son nez dans la préparation des Etats généraux de la recherche qui doivent se tenir jeudi et vendredi prochain à Grenoble. Lors des réunions des comités locaux, de jeunes scientifiques ont porté le fer sur « l’indépendance de la recherche publique » vis-à-vis des entreprises privées, la nécessaire « liberté de recherche », le refus de breveter gènes ou logiciels… Un peu interloqués, les académiciens Etienne-Emile Beaulieu, Edouard Brézin et les animateurs du mouvement Sauver la recherche vont devoir en tenir compte. Pas facile, alors que leur tâche essentielle consiste à présenter des propositions de réformes et de financement susceptibles d’obtenir des gestes positifs d’un gouvernement qui a massacré la recherche publique tant que l’opposition à cette politique ne lui a pas semblé trop chère payée… jusqu’aux régionales de 2004.