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Pourquoi le futur n'a pas besoin de nous

Les technologies les plus puissantes du XXIe siècle – la robotique, le génie génétique et les nanotechnologies – menacent d’extinction l’espèce humaine. Par Bill Joy – Magazine Wired, 2000 Mon implication dans le développement des nouvelles technologies s’est toujours accompagnée de préoccupations d’ordre éthique, et ce depuis le premier jour. Cependant, ce n’est qu’à l’automne 1998 que j’ai pris conscience des graves dangers que nous faisait courir le XXIe siècle. Les premiers symptômes de ce malaise profond sont apparus le jour de ma rencontre avec Ray Kurzweil, l’inventeur, au succès bien légitime, de maintes choses extraordinaires, dont le premier appareil permettant aux non-voyants de lire.

Ray et moi nous exprimions tous deux à la conférence  » Telecosm  » de George Gilder. Nos interventions respectives terminées, j’ai fait sa connaissance par hasard au bar de l’hôtel, où je me trouvais en conversation avec John Searle, un philosophe de Berkeley spécialiste de la conscience. C’est alors que Ray s’est approché, et qu’une conversation s’est engagée autour d’un thème qui, depuis lors, n’a cessé de me hanter.

J’avais raté l’intervention de Ray et la tribune qui avait suivi, dont John et lui étaient les invités. Or les voilà qui reprenaient le débat où ils l’avaient laissé. Ray affirmait que les progrès en matière de technologie allaient connaître une accélération de plus en plus rapide et que nous étions voués à devenir des robots, à fusionner avec nos machines ou quelque chose d’approchant. Soutenant qu’un automate n’est pas doué de conscience, John rejetait, quant à lui, cette idée.

Si ce genre de discours m’était relativement familier, les robots doués de sensation restaient pour moi du domaine de la science-fiction. Or, là, sous mes yeux, un individu qui présentait toutes les garanties de sérieux affirmait avec beaucoup de conviction l’imminence d’une telle perspective. J’étais interloqué. Surtout connaissant la capacité avérée de Ray à non seulement imaginer le futur, mais aussi à l’inventer de manière concrète. Qu’il fût alors devenu possible de refaire le monde en s’appuyant sur des technologies nouvelles comme le génie génétique ou les nanotechnologies2, cela n’était pas une surprise pour moi. Par contre, inscrire dans un avenir proche un scénario réaliste de robots  » intelligents « , voilà qui me laissait perplexe.

Ce genre de découvertes capitales perd vite de son piquant. Chaque jour ou presque, un bulletin d’informations nous informe d’une avancée supplémentaire dans un domaine ou un autre de la technologie ou des sciences. Reste qu’en ce cas précis, la prédiction se détachait du lot. Là, dans ce bar d’hôtel, Ray m’a remis un jeu d’épreuves extraites de son livre, The Age of Spiritual Machines, alors sur le point de paraître. Dans cet ouvrage, il traçait les grandes lignes d’une utopie visionnaire : une utopie selon laquelle, en s’unissant à la technologie robotique, l’être humain devenait une créature quasi immortelle. Au fil des pages, mon sentiment de malaise allait croissant : non seulement Ray, à coup sûr, minimisait les dangers d’une telle voie, mais il réduisait également l’importance de ses potentiels effets dévastateurs.


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