Ouvrons donc la recherche !

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vendredi 6 octobre 2006

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Lire la version publiée par Libération dans la rubrique « Rebonds » – Le 30 septembre, l’association « Sauvons la recherche » (SLR) a organisé à Fleurance dans le Gers une discussion dans le cadre de son Université d’Automne avec quelques personnalités présidentiables de gauche et du centre. Deux ans après le plus grand mouvement de chercheurs que la France ait connu, il s’agit pour SLR de faire un point sur la façon dont les représentants de quelques grandes organisations politiques du pays ont intégré la problématique scientifique en vue des échéances présidentielles. En effet, la question scientifique et technique concerne l’ensemble de la société puisqu ‘elle touche la nature des emplois qualifiés qui irriguent l’économie, les stratégies de développement territorial, une part non négligeable des investissements de la nation en termes de superstructures et d’infrastructures, l’organisation des institutions de l’enseignement supérieur, la gouvernance de la recherche et les choix « disciplinaires » et programmatiques en termes d’allocations de moyens financiers et humains, la fracture nord-sud. Bref les sciences ne concernent pas simplement les scientifiques, elles nous concernent tous et toutes.

Pourtant les contributions au débat de ces deux dernières années ont le plus souvent mis l’accent sur le manque de moyens et de postes de la recherche publique et sur la réforme des structures susceptibles d’améliorer la « productivité » de la science française. Rares sont les corporations qui évitent la pente naturelle du corporatisme obtus… Pour notre part, nous affirmons que la crise de notre système de recherche, d’expertise et d’innovation est autrement plus profonde. L’érosion tendancielle du degré de confiance de nos concitoyens envers « leurs chercheurs » le prouve.

Il est contre-productif de mettre au second plan trois transformations majeures que nos sociétés traversent et qui sont autant de défis pour nos institutions de recherche et leurs rapports avec la société : la marchandisation de la science « compétitive » ; la montée des aspirations citoyennes à participer ; les effets inédits de la technoscience sur la planète. Ces évolutions imposent, sinon une révolution dans nos institutions (notre culture conservatrice est un fait anthropologique avec lequel il convient de composer modestement), au moins l’intégration de nouvelles dimensions au contrat entre le monde professionnel de la recherche et la société. Il s’agit entre autres choses d’élaborer de nouvelles interactions avec les acteurs de la société civile qui sont porteurs de besoins et d’intérêts non marchands. Même si nous soutenons pleinement les demandes des chercheurs pour des moyens accrûs, nous souhaitons tout autant transformer les orientations, les modes de décision, les pratiques d’expertise, et les rapports entre la recherche et la société. Bref, nous appelons à un nouvel âge de la gouvernance de la recherche publique française et européenne.

Pour cela, nous proposons d’investir massivement dans les domaines clés du développement équilibré et de la santé publique, de focaliser les financements publics de la R&D privée sur des orientations technologiques liées à des objectifs socio-économiques clairs, collectivement choisis et répondant en majorité à des enjeux sociaux et environnementaux établis. Outre sa mission cognitive et sa mission de formation, la recherche doit contribuer à l’expertise publique comme à l’exploration de la pluralité des mondes socio-techniques possibles. Elle doit apporter son appui à l’innovation sans but lucratif et à la défense de la connaissance comme bien public. En d’autres termes, une nouvelle politique de la recherche en France doit promouvoir la diversité et non le développement d’une « mono-culture scientifique » où les nanotechs et la fusion nucléaire constitueraient, par exemple, l’alpha et l’oméga des fléchages de moyens. L’heure est aussi à la synergie entre sciences de la nature et sciences humaines et sociales, comme à l’analyse des effets des développements techno-scientifiques sur la santé et l’environnement. L’heure est à la science modeste.
Ces propositions nécessitent bien sûr la démocratisation des choix scientifiques et techniques. Avec la mise en débat (notamment autour de conférences de citoyens intégrées à la gouvernance globale) pour l’adoption tous les quatre ans (loi de programmation) d’un programme cadre national de recherche et développement définissant le volume et la répartition des efforts publics entre domaines de recherche et d’innovation. Le Parlement étant maître d’œuvre de ce débat, il est nécessaire de procéder au renforcement et à la réforme de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques (OPECST) de même qu’à la réforme du dispositif français de l’expertise.

Seule l’ouverture des structures de programmation de la recherche aux acteurs de la société civile permettra d’atteindre l’objectif de « société de la connaissance » : faire des aspirations et initiatives de la population un des moteurs de la recherche et de l’innovation plutôt que toujours réduire les citoyens à la condition de consommateurs d’information. Sur ce dernier point, laisser le monopole de l’expertise et du savoir à des institutions d’Etat nous maintient dans un Ancien régime insatisfaisant, d’autant que l’expertise officielle ménage largement les intérêts de puissants lobbies.

Nos propositions, explicitées dans la note n°2 de la FSC, sont destinées à ouvrir la recherche afin de la sauver (voir notre article paru dans Libération le 22 janvier 2004). Nous regrettons profondément que nos amis de SLR ne soient pas parvenus à intégrer explicitement, stratégiquement et prioritairement ces dimensions de la question à leurs travaux de ces derniers jours. Du chemin reste encore à parcourir et nous continuons à espérer que les associations et syndicats de chercheurs comme les chercheurs eux-mêmes parviendront à opérer un aggiornamento aussi profond que celui que la Confédération paysanne a su opérer en 30 ans, ouvrant la question paysanne bien au-delà du cercle des professionnels.

Lionel Larqué et Jacques Testart

Respectivement administrateur et président de la Fondation Sciences Citoyennes