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Organiser la controverse sur les enjeux scientifiques

André Cicolella est toxicologue. Avec d’autres scientifiques, dont Jacques Testart, il a créé la Fondation Sciences citoyennes, pour impliquer les citoyens dans les débats qui les concernent, comme les OGM, l’amiante ou le nucléaire.

par Fabrice Nicolino

La science aurait donc aussi besoin des citoyens ?

André Cicolella : Elle est devenue un enjeu essentiel de la démocratie. Dans un pays où le niveau de connaissance et de formation n’a jamais été aussi élevé, on ne peut plus dire aux gens : « Faites-nous confiance. » Cela ne marche plus. Dans la science aussi, il faut passer de la démocratie représentative à la démocratie participative. L’exemple de la lutte contre le sida est passionnant du point de vue des relations entre les associations et la recherche thérapeutique. Le schéma traditionnel – disons celui de la Ligue contre le cancer -, où l’association se contente d’appuyer le grand spécialiste pour qu’il obtienne des fonds, est en crise profonde. Or, je suis convaincu qu’il existe, dans tous les domaines de la science, des gens porteurs de cette problématique nouvelle. D’où, d’ailleurs, le colloque que nous avons organisé le 29 mars à Paris, consacré à la protection des « lanceurs d’alerte ».

Il s’agit d’acteurs – individus ou associations – qui prennent conscience avant tout le monde qu’il existe un problème, par exemple sanitaire ou environnemental, risquant d’avoir de lourdes conséquences. Pourquoi faut-il les protéger ?

Quand un chercheur se voit contraint d’agir contre l’avis de son institution, lorsqu’un salarié dénonce des manquements graves de la part de son entreprise, ils subissent le plus souvent des représailles, sans pour autant être entendus. Dans la plupart des grands scandales de sécurité sanitaire et environnementale, les « lanceurs d’alerte » ont connu des difficultés telles que des mesures pourtant nécessaires ont été retardées de plusieurs mois dans le meilleur des cas ou plusieurs décennies dans le pire. Pendant ce temps-là, les victimes souffrent, et parfois meurent.

Quand la Fondation est-elle née ?

On sentait depuis quelque temps que la situation était mûre. Ces questions passionnent le mouvement associatif, et je m’en suis rendu compte notamment au moment d’un colloque organisé en novembre 2001 par Ecorev, la revue Mouvements et Le Monde diplomatique, dont le thème était : « Quelles sciences pour quelle société ? » Il y avait là 300 personnes, très fortement intéressées, et nous avons été quelques-uns à penser qu’il serait dommage d’en rester là. Ne fallait-il pas créer un lieu permanent où seraient pensés les liens entre la science et la société ? Pendant environ un an, nous avons réfléchi autour d’un projet de charte (voir encadré) et à l’automne 2002, avec quelques amis dont Jacques Testart et Jean-Paul Gaudillière, de l’Inserm, nous avons lancé cette fondation.

Ses trois principaux responsables, dont vous-même, sont des chercheurs. Où sont les citoyens ?

Au conseil d’administration ! Nous avons voulu des représentants des « deux mondes ». Des associations comme la Crii-Rad, un syndicat comme la Confédération paysanne en font donc très logiquement partie. L’un de nos axes principaux est en effet de favoriser le développement de l’expertise citoyenne. Celle-ci existe déjà autour de certaines questions, comme le nucléaire, avec la Crii-Rad. Mais pas sur la question fondamentale du risque chimique, par exemple, malgré le travail d’une association comme le Cniid (1) sur l’incinération des déchets et la dioxine. Ce qui manque plus que tout, c’est le lien. Certains problèmes très importants pour tous ne sont pas réellement pris en compte.

Il y a plusieurs années, vous vous êtes fait le défenseur d’une grande agence publique de sécurité sanitaire environnementale. Mais malgré la présence des Verts – dont vous êtes membre – au gouvernement Jospin, ce projet a été enterré. Pourquoi ?

C’est un échec collectif. Le mouvement associatif, en l’occurrence, que ce soit l’Institut national de la consommation ou Que Choisir, n’ont même pas pris position sur cette question essentielle d’une grande agence. Ce n’est pas un reproche, c’est un constat.

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