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OGM, Europe et démocratie

A quelques semaines des élections européennes, la levée du moratoire sur les OGM pose autant un problème politique que scientifique, autour de trois questions : les aliments génétiquement modifiés font-ils courir plus de risques aux consommateurs que les aliments traditionnels ? Apportent-ils des bénéfices aux consommateurs, dans les pays industrialisés comme dans les pays du tiers-monde ? Leur développement peut-il se faire de manière distincte des filières conventionnelles, depuis le champ jusqu’à l’assiette ? Les réponses ont évolué depuis la décision du moratoire.

Sur le risque, on peut considérer qu’on dispose de plus de recul et que la marge d’incertitude s’est réduite. On sait aussi désormais reconnaître que les études préalables à la mise sur le marché ne permettent pas de répondre de manière absolue sur d’éventuels risques faibles à long terme. Sur le bénéfice, c’est le chemin inverse. Dans les années 90, on expliquait que les OGM étaient pleins de promesses pour la santé et la nutrition. Aujourd’hui, les constats sont plus nuancés. Il n’existe pas d’OGM pour lesquels la démonstration irréfutable de leur intérêt pour le consommateur ait été faite. A ceux qui disent que le risque est hypothétique, on peut rétorquer que le bénéfice est virtuel. D’où la nécessité, comme pour les médicaments, de s’engager dans une rigoureuse évaluation bénéfice/risque, sachant que, pour l’instant, le rapport bénéfices/risques est epsilon sur epsilon.

Sur la troisième question, celle de la distinction des filières, un changement radical de perspective s’est opéré. Au moment où le moratoire a été décidé, la question qui se posait était celle d’autoriser des OGM de manière marginale, au sein d’une culture et une alimentation qui devaient rester majoritairement conventionnelles. L’enjeu, désormais, consiste à savoir s’il sera possible de préserver des filières sans OGM.

Ce changement modifie les termes du débat. Tant que les OGM pouvaient être considérés comme des produits distincts, utiles aux consommateurs, et bien évalués sur le plan scientifique, on pouvait à la limite concevoir que la question de leur autorisation se pose dans des conditions techniques analogues à celles qui prévalent, sans controverse, pour les médicaments issus des biotechnologies. Personne ne demande un grand débat sur la justification du passage des néfastes hormones de croissance d’origine hypophysaire aux hormones de synthèse. En revanche, dès lors que la question est celle de savoir si on bascule dans un univers avec OGM, elle devient éminemment politique et ne peut donc être résolue que dans un cadre démocratique clair.

C‘est là que le bât blesse. On dit parfois que les experts confisquent le pouvoir des politiques dans nos démocraties. Or sur la sortie du moratoire, on assiste à l’inverse : ce sont les politiques qui hésitent à assumer leurs responsabilités. On s’attendrait à un processus de décision transparent et le plus démocratique possible, d’autant que l’on invoque régulièrement le principe de précaution dont la première règle est de déterminer qui est responsable de quoi.

A-t-on demandé au Parlement européen ou aux parlements nationaux s’ils étaient en faveur de la culture et de la commercialisation des OGM ? Non. Au Parlement européen, on a soumis des questions collatérales sur l’étiquetage et la traçabilité. Aux parlements nationaux, on n’a pas posé la question directe « allons-nous cultiver et manger des OGM ? ». On sait les raisons de cette ambiguïté : les responsables politiques n’ignorent pas que leurs mandants ne sont pas favorables aux OGM, mais que retarder la sortie du moratoire expose à des pénalités dans les contentieux auprès de l’Organisation mondiale du commerce et à des handicaps pour certaines entreprises.

Pas de décision réelle des ministres non plus qui n’ont pas trouvé de majorité qualifiée pour autoriser et ont renvoyé sur la Commission. Résultat : pas de responsable ! Les parlements pourront dire qu’ils n’ont pas eu à voter, les ministres qu’ils n’ont pas donné de feu vert et la Commission que la décision ne lui appartenait pas, puisque les gouvernements auraient eu la faculté de s’y opposer. Quant aux Européens, ils n’auront pas été appelés à se prononcer comme citoyens, ni réellement à même de le faire comme consommateurs.

Ce processus est subtilement déresponsabilisant. Il était primordial de clarifier les règles de l’expertise scientifique, il reste urgent de reconsidérer les règles de décision politique dans ce domaine. C’est un bel enjeu pour le scrutin européen. Comment s’étonner de la méfiance à l’égard des institutions ? Comment être surpris que l’opinion publique soupçonne encore ses représentants de préférer les intérêts économiques aux considérations sanitaires et environnementales ? Comment déplorer qu’on accuse les instances européennes de tous les maux quand on s’arrange pour leur faire endosser les décisions embarrassantes ?

Pourquoi ne pas procéder à un référendum européen ? Dans les vingt-cinq pays, les citoyens seraient appelés à se prononcer sur la culture et la commercialisation. Après avoir créé le marché unique, on demanderait aux consommateurs ce qu’ils veulent voir circuler dans ce marché. A défaut, un vote explicite du Parlement nouvellement élu serait la moindre des choses. Non plus sur l’étiquetage, mais sur la question éludée. Les citoyens pourraient demander aux différentes listes de s’engager à exiger un tel vote et aux candidats quelle serait leur position. Le Parlement européen pourrait se prononcer sur la consommation des OGM, sur leur culture et le cas échéant sur la reconnaissance de zones sans OGM, ce qui permettrait de faire le lien entre la dimension européenne et commerciale de cette question et ses enjeux locaux de coexistence de cultures. Et, sur le plan local, des consultations pourraient être organisées légalement sur les zones de culture d’OGM, à l’instar de celles qui ont été faites en Californie.

Les experts pourraient alors aider à formuler les questions auxquelles les citoyens ou leurs représentants auraient à répondre. Ceci aurait le mérite de sortir de cette fausse querelle entre progrès et obscurantisme pour ouvrir un vrai débat sur la dimension démocratique de l’espace européen.

Martin Hirsch, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation (Afssa)