- Sciences Citoyennes - https://sciencescitoyennes.org -

Lettre ouverte à François de Rugy : la France doit dire « non » à la géo-ingénierie.

Monsieur le Ministre,

Lors de la quatrième session de l’Assemblée des Nations Unies pour l’Environnement (UNEA-4), qui se tiendra à Nairobi, Kenya, du 11 au 15 mars 2019, une proposition de résolution sur la gouvernance globale de la géo-ingénierie est mise à l’agenda par la Suisse, et soutenue par le Burkina Faso, les États Fédérés de Micronésie, le Mali, le Mexique et le Niger.

Le terme géo-ingénierie désigne les technologies d’intervention à large échelle sur les océans, les sols et l’atmosphère terrestre dans le but d’atténuer certains des symptômes des dérèglements climatiques. Le terme comprend deux grandes catégories de techniques : la gestion du rayonnement solaire (Solar Radiation Management, SRM en anglais) et la captation du dioxyde de carbone (Carbon Dioxide Removal, CDR en anglais).

En l’état actuel des connaissances et du fait des conséquences potentielles pour l’ensemble de la population mondiale, l’association Sciences Citoyennes s’oppose fermement au déploiement et aux expérimentations des techniques de géo-ingénierie « à ciel ouvert » (en incluant les expériences marines). Nous exigeons donc un moratoire pour l’arrêt immédiat de toutes les expérimentations de géo-ingénierie en milieu non confiné.

La géo-ingénierie menace la paix et la sécurité mondiale. Certaines des technologies destinées à manipuler la météo ou le climat trouvent leur origine dans la recherche militaire et ont un potentiel réel d’usage à des fins guerrières. Le déploiement des techniques de gestion du rayonnement solaire, en particulier, pourrait créer un nouveau déséquilibre géopolitique mondial, en générant des positions de gagnants et de perdants dans la course à la mainmise sur le thermostat de la planète. Ces techniques sont également vivement critiquées par le fait qu’elles pourraient très probablement perturber les régimes de pluies, en particulier dans les régions qui souffrent déjà le plus des effets du changement climatique.

Les projets de captation du dioxyde de carbone, qui reposent sur des plantations à très grande échelle de monocultures d’arbres à croissance rapide ou de biomasse, impliquent eux aussi des effets indésirables sur l’usage des sols, l’eau, la biodiversité, les cultures vivrières traditionnelles ou encore la sécurité alimentaire. Ils présentent également l’effet pervers de pérenniser le secteur des énergies fossiles, alors même que les accords de Paris impliquent une transition urgente. Depuis de nombreuses années, les industries fossiles ont développé des recherches, des brevets et assuré la promotion de ces techniques de géo-ingénierie – comme par exemple la captation et le stockage géologique du CO2 en sortie de centrale thermique – dans le seul but de sauvegarder le rôle dominant des énergies fossiles dans l’économie mondiale. Les travaux de recherche les plus récents démontrent justement comment ces techniques de géo-ingénierie pourraient paradoxalement contribuer à augmenter les émissions de CO2 en nous enfermant dans des infrastructures destinées aux énergies fossiles pour les décennies à venir.

Indubitablement, la géo-ingénierie constitue une approche contre-productive pour répondre à la crise climatique. Nous appelons donc à une interdiction des expérimentations et du déploiement de ces techniques en milieu non confiné, ainsi qu’à l’adoption d’un système de gouvernance global, transparent, multilatéral, participatif et placé sous le contrôle des Nations Unies. Le moratoire de facto sur la géo-ingénierie adopté par la Convention sur la Diversité Biologique en 2010 ou l’interdiction de la géo-ingénierie marine par le Protocole de Londres constituent une base pour de futures discussions de gouvernance de la géo-ingénierie sous l’égide des Nations Unies.

Au cours de la quatrième session de l’Assemblée des Nations Unies pour l’Environnement, nous vous demandons d’exprimer une opposition ferme aux tentatives agressives de légitimer la géo-ingénierie comme réponse aux changements climatiques. Les intérêts et investissements importants des industries fossiles pour les technologies de géo-ingénierie laissent peu de doutes sur le fait que la géo-ingénierie soit loin d’être une solution, mais bien plus une menace de s’enfoncer un peu plus dans une économie toujours plus dépendante aux énergies fossiles. Si au demeurant une évaluation des risques et impacts associés aux technologies de géo-ingénierie devait être considérée par l’Assemblée des Nations Unies pour l’Environnement, il deviendrait crucial que la composition du comité ou groupe chargé de cette mission ne soit pas restreinte aux seuls experts scientifiques, mais qu’elle inclue des représentants indépendants de la société civile, des peuples autochtones, des paysans, la jeunesse, ainsi que des communautés possiblement affectées. Les personnes ou organisations ayant des intérêts directs ou commerciaux à la géo-ingénierie devront être exclues de cette composition. Il est essentiel qu’une politique forte concernant les conflits d’intérêts soit adoptée afin de protéger l’intégrité du processus et les résultats de l’évaluation de la géo-ingénierie sous l’égide de l’Assemblée.

Cette demande est partagée par plus de 200 organisations, ONG et mouvements populaires à travers le globe qui ont rejoint la campagne H.O.M.E. (Hands Off Mother Earth – Ne touchez pas à Mère Nature)[1] [1]. En tant que représentant d’un gouvernement chargé de protéger l’environnement et la population française, nous plaçons une forte attente dans votre soutien à cette demande en soutenant les positions présentées ici à Nairobi.

 

L’association Sciences Citoyennes

Lettre à François de Rugy (format PDF) [2]

 

[1] [3] http://www.etcgroup.org/sites/www.etcgroup.org/files/files/home_manifesto_english_.pdf