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La société en mal de science

Des malades collaborent avec les chercheurs. Mais les expériences de participation des citoyens aux orientations de la recherche restent rares. Quatre-vingt-dix-huit millions d’euros. C’est le nouveau record de promesses de dons établi par l’édition 2004 du Téléthon, au bénéfice de la recherche sur les maladies génétiques. Cet élan de solidarité constitue la contribution du public la plus manifeste – en tout cas la plus médiatisée, ceci expliquant peut-être cela – à la recherche scientifique.

Une telle mobilisation est bien sûr utile. Depuis 1987, l’Association française contre les myopathies (AFM), initiatrice de ce marathon télévisuel, a permis des avancées significatives dans la lutte contre les maladies d’origine génétique, qui touchent 3 millions de personnes en France : réalisation des premières cartes du génome humain ; découverte des gènes impliqués dans plus de 750 maladies ; premières percées thérapeutiques pour certaines affections rares, comme le déficit immunitaire et la maladie de Huntington.

L’appel à la générosité des particuliers, sur laquelle s’appuient aussi la recherche contre le cancer et, plus largement, toute la recherche biomédicale, ne constitue toutefois pas le seul mode d’implication des citoyens. Ni, peut-être, le plus fécond.

D’autres modalités d’interaction entre recherche et société existent. La lutte contre le sida en a été un terrain d’expérimentation exemplaire. « L’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) a permis le développement de collaborations fructueuses entre les malades et les chercheurs », souligne Act Up. Ce rapprochement s’est traduit par la définition commune de protocoles d’essais thérapeutiques de nouvelles molécules. Entre 10 % et 15 % des 70 000 séropositifs suivis à l’hôpital participent aujourd’hui à une recherche. Grâce à ces coopérations, note l’association, « la France se situe au 4e rang mondial pour la publication d’articles scientifiques sur le VIH et le sida ».

L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) est, lui aussi, à l’origine de plusieurs initiatives pionnières. L’affaire du sang contaminé l’a d’abord poussé à organiser des expertises collectives sur des questions de santé publique ou d’environnement, avec la participation d’associations de malades. En dix ans, une cinquantaine de thèmes ont été abordés, des psychothérapies aux handicaps liés à la naissance, en passant par le pronostic à long terme du cancer.

L’Inserm a ensuite mis sur pied, en 2003, un groupe de réflexion avec les associations de malades. « Les associations font preuve d’extraordinaires capacités de mobilisation, à la fois pour communiquer et pour soutenir la recherche. Elles sont devenues des interlocuteurs légitimes », estime la présidente de ce groupement, Ketty Schwartz.

Des associations de patients ont participé cette année à quatre programmes nationaux de recherche, sur les affections cardio-vasculaires, le diabète, les problèmes osseux et articulatoires, ainsi que la nutrition. Un nouveau programme est en préparation, sur le handicap. En outre, près d’une centaine d’associations ont reçu une formation à la lecture d’un protocole de recherche clinique. Et deux chercheurs de l’Inserm ont été mis à la disposition, le premier, de l’Union nationale des amis et familles de malades mentaux, le second, de l’Organisation européenne pour les maladies rares.
« Ces actions concrètes montrent que des partenariats avec les associations sont possibles. Mais on peut faire beaucoup plus, commente Christian Bréchot, directeur général de l’Inserm. La recherche doit être ancrée dans la demande sociale, même si ses résultats ne peuvent être programmés. »

Le secteur de la santé, auquel le public est le plus sensible, est l’un des rares où des expériences aient été tentées pour associer la société civile aux orientations de la recherche scientifique. Sur ce terrain, la France se montre moins imaginative et moins volontariste que beaucoup d’autres pays. Le CNRS, symbole de la recherche publique, en est encore à s’interroger sur la meilleure façon d’être à l' »écoute des attentes de la société ». Il envisage, de façon plutôt vague, de « mettre en place une charte de l’expertise collective, afin de donner un cadre à l’appui à la décision publique sur certains sujets concernant la science ». Quant aux deux conférences de citoyens qui se sont tenues, la première sur les OGM, en 1998, la seconde sur le climat, en 2001, elles sont restées sans lendemain.

Les récents Etats généraux de la recherche (Le Monde du 30 octobre) ont fait preuve sur cette question d’une certaine frilosité, en mettant en avant l' »autonomie » de l’activité scientifique vis-à-vis de toute demande extérieure.

« Les citoyens attendent de la science la solution à des problèmes sociaux de toute nature : le chômage, l’épuisement du pétrole, la pollution, le cancer… Le chemin qui conduit vers la réponse à ces questions n’est pas aussi direct que veut le laisser croire une vision programmatique de la recherche », souligne le rapport de synthèse. Et d’insister : « La science ne peut fonctionner qu’en élaborant elle-même ses propres questions, à l’abri de l’urgence et de la déformation inhérente aux contingences économiques et sociales. »
Cette « sanctuarisation » de la recherche laisse sur leur faim certains militants associatifs, partisans d’un « dialogue permanent entre usagers et chercheurs ». C’est la position que défend la fondation Sciences citoyennes. « Les citoyens sont assez mûrs pour être consultés sur les grandes orientations de la recherche, plaide son secrétaire, Christophe Bonneuil, historien des sciences. Les priorités que se fixe la nation doivent faire l’objet d’un vrai processus démocratique. Faut-il, par exemple, continuer à affecter 40 % des dépenses de recherche aux secteurs militaire, nucléaire et spatial ? »

Il ne s’agit pas d’instaurer une « démocratie directe », qui verrait le public décider lui-même de la politique scientifique. Mais plutôt, préconise la fondation, « d’organiser, par des procédures telles que les conférences de citoyens, un débat démocratique sur lequel le Parlement appuierait ses choix », en même temps que « d’inventer de nouveaux dispositifs favorisant le partenariat entre les chercheurs et le monde associatif ».

Le chantier est vaste. La future loi d’orientation et de programmation de la recherche pourrait être l’occasion de l’ouvrir.

Pierre Le Hir