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La recherche sans la société ?

Comme en témoigne le succès des Partenariats institutions citoyens pour la recherche et l’innovation (Picri) organisés par le conseil régional d’Île-de-France (1), les chercheurs ont semble-t-il de la sympathie pour les organisations de la société civile. Malheureusement, cette sympathie se mue souvent en un paternalisme bienveillant lorsqu’il est question de « choses sérieuses ». Les associations co-signataires du communiqué de l’intersyndicale et de Sauvons la recherche (SLR) appelant à la mobilisation du 9 mars 2005 (2) -ce qui n’a pas été sans amener quelques réticences appuyées de certains syndicats- ont été tout simplement exclues des négociations engagées par la suite avec le ministère.

Les chercheurs ont beaucoup à gagner d’un renforcement du dialogue avec la société

Résultat : les contributions au débat sur l’avenir de la recherche en France se sont limitées au manque de moyens et de postes de la recherche publique et à la réforme des structures susceptibles d’améliorer la « productivité » de la science française. Et pourtant, les chercheurs auraient beaucoup à gagner d’un renforcement du dialogue avec la société. Dialogue qui ne peut se restreindre à la culture scientifique et technique. La crise de notre système de recherche, d’expertise et d’innovation est autrement plus profonde : les besoins de recherche de la société ne se limitent pas à ce qui peut déboucher sur des innovations profitables au marché. Ils incluent surtout la production de biens publics (connaissance ouverte, expertise plurielle et indépendante, innovation à but non lucratif ou pour des besoins sociétaux non solvables).

Exclues également du Comité d’initiative et de proposition constitué par des responsables de l’Académie des sciences et de SLR, les associations ont néanmoins fait part de leurs propositions lors des États généraux (3) pour démocratiser la prise de décision sur les choix scientifiques et techniques et pour faire des associations des acteurs et partenaires à part entière de la recherche. Car aujourd’hui, la production de savoirs et d’innovations socialement utiles n’est plus l’exclusivité des institutions traditionnelles de recher-che publiques ou privées. Depuis une quinzaine d’années, la révolution du logiciel libre, l’apport des paysans à la gestion de la biodiversité, la coproduction des savoirs thérapeutiques par les chercheurs et les malades dans le mouvement de lutte contre le sida et la montée de l’expertise associative sont autant d’exemples qui témoignent de l’importance de la société civile et de sa capacité à prendre en charge la production de connaissances et d’innovations.

Un pacte pour la recherche inacceptable

Inacceptable pour les chercheurs, le pacte l’est encore plus pour la société civile (4). Les bourses Craps, seul point positif de la version initiale, ont même disparu. Ce texte ne prévoit aucun dispositif pour démocratiser les choix scientifiques. Au lieu de cela, il amplifie la mise sous tutelle de la recherche publique via la création d’une flopée de nouvelles structures de pilotage répondant à des logiques de rentabilité financière de court terme : plus des trois-quarts des hausses de budgets prévues iront à l’innovation industrielle et à des dispositifs aidant les entreprises à piloter la recherche publique. Mais le pire est que s’il fait référence, dans son préambule, à la co-construction, aux besoins de la société, aux partenariats de recherche, ils sont complètement absents des propositions. Pas une fois, les besoins non marchands vis-à-vis de la recherche ne sont cités (même l’expertise, cinquième fonction donnée à la recherche, est seulement vue comme un appui aux entreprises). Pas une fois, les aspirations de la société civile à contribuer à l’orientation de la recherche ne sont prises en compte. Quant au Haut Conseil de la science et de la technologie, il reste un club de mandarins, sans que le le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT) ne soit élargi à des acteurs du monde associatif. Le rôle du Parlement est oublié et notre proposition de dispositifs délibératifs et prospectifs type « conférences de citoyens », pour préparer périodiquement les décisions sur les grandes priorités de recherche, est passée à la trappe.

Une autre politique de la recherche est possible !

Privilégiant sans surprise un « libéral-utilitarisme » au nom de la sainte compétitivité, le gouvernement appauvrit la recherche publique et se révèle incapable de répondre aux besoins de recherche, tout à fait réels mais orphelins, qui émanent d’acteurs à but non lucratif ou pour des populations non solvables.