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Couleuvre avalée, Allègre adoubé

La France nucléaire, allègre ment.Finalement, pour Claude Allègre, le climat n’a rien à voir avec l’écologie… C’est en tous cas tout le sens des statuts de la fondation Ecologie d’avenir portée par l’ancien chercheur. C’est une sacrée couleuvre que le trublion de l’Académie des sciences a dû avaler pour bénéficier du très chic label « Institut de France ».

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le lancement ne s’est pas fait en grande pompe, et comme le rappelait ce matin Terra Eco, de nombreux membres de l’Académie des sciences l’ont appris en lisant un billet d’Hervé Kempf [1] dans le Monde du 27 septembre, tandis que l’adoubement officiel a eu lieu en juin dernier. Inutile de dire qu’il y a des dents qui grincent… «Scandaleux», dit une chercheuse. «Les bras m’en tombent», dit un académicien. Les miens aussi… Voir accoler le nom de la prestigieuse institution à celui d’un homme qui traine les climatologues dans la boue… ça laisse rêveur.

L’accord avec l’Institut de France interdit à la fondation Ecologie d’Avenir toute évocation des questions climatiques… Ça va être coton de parler d’écologie sans climat. Biodiversité, hydrologie, agriculture, etc… ça en fait des sujets qui seront traités de manière incomplète. Mais c’était ça ou se contenter d’une banale association loi de 1901, sans le patronage de l’Institut de France. Et surtout vivre de maigres ressources car, forte de ce label, Ecologie d’Avenir va pouvoir faire les poches des entreprises, qui pourront déduire 60% de leurs dons de leur impôt.(1) A noté que la paranoïa d’Allègre se loge jusque dans les détails: le site internet d’Ecologie d’avenir [2] est réalisé en quasi totalité en Flash, ce qui interdit d’en recopier facilement le contenu…

Chercheur de pétrole. La fondation se dote d’un Comité d’orientation, qui sera présidé par Allègre. Il rassemble notamment quelques fidèles amis climato-sceptiques de l’ancien ministre, comme le géophysicien Vincent Courtillot, la journaliste Véronique Anger-de Friberg, le démographe Hervé Bras, qui m’avait dit l’an dernier tout le bien qu’il pense d’Allègre et de ses thèses climatiques, les philosophes Dominique Lecourt et Luc Ferry… On trouve aussi le chimiste Christian Amatore, auteur d’un discours à l’Académie des sciences [3] en janvier dernier, très virulent vis à vis des journalistes qui traitent des questions climatiques. Parmi les industriels, notons la présence d’un chercheur de pétrole, un industriel de la betterave, un céréalier, un constructeur de voitures de sport, un responsable de Peugeot… Et toute une brochette de scientifiques de renom, certains nobélisés, dont beaucoup ne partagent pas les vues sur le climat de Claude Allègre.

Muselée sur le climat, à quoi pourra donc servir la fondation Ecologie d’avenir? Lisons le préambule de Claude Allègre [4] : «A une époque où l’écologie est trop souvent synonyme de vision catastrophiste et perçue comme un frein à la croissance économique, voire une incitation à la décroissance, il nous a semblé important de créer un lieu de réflexion, de débat et d’innovation fondé sur la science, le savoir et la confiance dans le progrès, ouvert aux acteurs de la recherche académique et du monde de l’entreprise.Tout en développant une écologie de progrès et de croissance, notre démarche vise à éclairer les citoyens sur les enjeux et les perspectives qui se profilent pour l’homme et la société. Parce que je crois en la capacité de l’homme à s’adapter, à innover en s’appuyant sur la science et le développement technologique.» Sacré programme. Mais les intellectuels qui ont choisi d’adouber Allègre risquent fort de se retrouver condamnés à défendre les valeurs de l’entreprise… Se sont-ils faits piéger par ce qui ne pourrait n’être qu’un lobby? On jugera sur pièces. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que les responsables de l’Institut auraient mieux fait de tourner sept fois leur crayon —ou à tout le moins de surseoir— avant de signer ce qui a tout l’air d’un chèque en blanc. Un lobby estampillé du sceau de la vénérable maison? Voilà bien de quoi ruiner un prestige vieux de plus de deux siècles.

(1) La déduction est de 66% pour les particuliers.

NB. Merci à Denis Delbecq, journaliste indépendant, d’avoir accepté que nous reproduisions son article sur notre blog. Nous vous invitons vivement à visiter son site : Effets de terre [5].
Le dessin de Maëster a déjà été posté sur ce blog le 15 mars 2011 [6].